Tuesday, October 16, 2018

3- Maoistroad Special PCm France speech International meeting May/June 68 - Paris 24/6/2018


Mai 68, les « maos » et la Gauche Prolétarienne

La vie du peuple, la vie des masses, est parfois ponctué d’événements extraordinaires, de mouvements puissants, qui rentrent dans l'histoire. En quelques mois, ce sont des années de travail politique qui se matérialisent ; c'est une prise de conscience aussi violente que rapide. Pourtant, ces événements extraordinaires ne naissent pas spontanément. Car la vie du peuple est avant tout marquée par la répétition de gestes, de tâches, de fêtes ; l'oppression coince les masses dans un quotidien violent ; cette oppression forge le cœur et le corps des masses, et voit naître une culture des opprimés.

C'est le processus dialectique : l'accumulation de quantité provoque un saut qualitatif ; ce saut, ce sont les grands mouvements, ce sont les révolutions.

L'oppression des ouvriers à fait les « événements de mai » et la violence de juin, il y a cinquante ans, la culture des opprimés à forgé la conscience et la volonté de révolte, et le grand mouvement de masse à balayé toute la merde révisionniste accumulée depuis des décennies.

« L’opportunisme n’est pas un effet du hasard, ni un péché, ni une bévue, ni la trahison d’individus isolés, mais le produit social de toute une époque historique. Cependant, tout le monde ne médite pas suffisamment sur la signification de cette vérité. L’opportunisme est le fruit de la légalité. »
Lénine, La faillite de la IIe Internationale, 1915

« Les Communistes analysent toujours l’Histoire afin que le passé serve le futur. Le territoire de l’État français a été traversé par de nombreuses périodes de lutte de classe aiguë. Parmi celles-ci, nous donnons priorité à l’étude de la Commune de Paris ; la lutte partisane contre l’occupant nazi et le régime de Vichy ; Mai 68 et la décennie qui a suivi ; la révolte des banlieues de 2005. »
Textes de Base du Parti Communiste Maoïste, 2015-2016

Dans l’État français, les événements de 1968 ont marqué le mouvement ouvrier en général, avec des grèves de plus de dix millions de salariés, et le mouvement maoïste en particulier, avec l’émergence d’organisations s’appuyant sur la Pensée Mao Zedong ou s’inspirant des événements contemporains de l’autre côté du monde, dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne chinoise. Ces révoltes et les organisations qui y ont participé contiennent évidemment un double-aspect, et il est commun dans l’État français que la bourgeoisie et ses laquais n’évoquent « Mai 68 », ou « l’esprit 68 » que comme un caprice d’étudiants petits-bourgeois luttant pour la libération sexuelle et contre les idées conservatrices de leurs parents.

Évidemment, faire de cet aspect spécifique des événements de 68 l’aspect principal des luttes qui ont animé le pays, c’est un choix politique de la part de la bourgeoisie. C’est un choix politique idéaliste, car il ne prend pas en compte la réalité d’un pays où la production est arrêtée par les grèves et les occupations d’usines. C’est également un choix politique mécaniste, car il refuse de voir l’ensemble des processus révolutionnaires qui ont déferlé sur le monde à cette époque, à commencer par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine en 1966. Ce choix ignore, dans l’État français, le déroulement de 68 sur le temps long, c’est-à-dire sur le mois de Juin en plus de Mai, car c’est pendant ce mois-ci que la classe ouvrière a connu ses martyrs lors des affrontements les plus déterminés. Plus de 7 camarades ont trouvé la mort en 68, tous après le 24 mai, alors même que le gouvernement et les directions syndicales négociaient les Accords de Grenelle pour le retour au calme. Ceux-ci se nomment Gilles Tautin, lycéen maoïste de 17 ans noyé dans la Seine le 10 juin 1968 alors qu’il soutenait la lutte à l’usine Renault-Flins avec ses camarades, Philippe Mathérion, retrouvé mort le 24 mai sur une barricade à Paris, mort d’une grenade, Pierre Beylot, ouvrier serrurier de 24 ans tué par un CRS d’une balle de 9mm à l’usine Peugeot de Sochaux-Montbéliard, et Henri Blanchet, 49 ans, lui aussi assassiné par une grenade offensive de la police dans la même usine qui le fait tomber d’un parapet.

Contre cette analyse idéaliste et juste bonne à remplir l’imaginaire des bourgeois sur l’histoire de la lutte qu’ils craignent, la lutte des classes, nous avançons une compréhension matérialiste dialectique, qui saisit 1968 comme un mouvement prolétarien, prolongé et internationaliste.

Pour les maoïstes, pour les communistes de notre époque, les années 60-70 sont la plus grande bataille révolutionnaire menée par les masses en direction de la Révolution mondiale ; c'est la grande bataille d'après-guerre ; ce sont les expériences les plus abouties dans la lutte contre le capitalisme au stade impérialiste et le révisionnisme moderne, basées sur l'expérience de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine Populaire.

Dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux, ce sont des Guerres Populaires qui ont succédé à ce mouvement, comme l’insurrection de Naxalbari de 1967 en Inde, la fondation du TKP/ML en Turquie, la révolution menée par le Parti Communiste des Philippines depuis bientôt 50 ans, ainsi que la reconstruction du Parti et la lutte armée prolongée dirigée par le Parti Communiste du Pérou à partir des années 1970-80, alors que le capitalisme semblait triomphant sur le socialisme factice de l’URSS révisionniste. Dans les pays impérialistes cependant, comme l’État français, il faudra attendre les grandes explosions dans les quartiers populaires, dans les années 1990-2000, pour inverser la tendance. En effet, ces révoltes, bien que non menées par des Partis Communistes, ont prouvé une nouvelle fois au masses qu'elles peuvent repousser l’État Bourgeois, combattre violemment sa police, et que la révolution est toujours possible et nécessaire dans les pays impérialistes.

Dans cet article, nous allons analyser le mouvement des « maos » en France, qui commence au milieu des années 60, est bouleversé par les « événements de Mai » et les grands affrontements de Juin, et qui termine dix ans plus tard. Le but est de tirer, à partir d'une analyse marxiste-léniniste-maoïste, des conclusions utiles pour la lutte révolutionnaire aujourd'hui dans l’État français et dans tous les pays impérialistes.

Dans le monde, « le fond de l'air est rouge »

Mai 68 en France n'est pas un événement isolé. Dans le monde des années 1960, la tempête révolutionnaire souffle, depuis l'après-guerre, de plus en plus fort.

En Asie, au cœur de la tempête, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne Chinoise est à la tête de cet immense mouvement qui mobilise les masses de toute la planète; l'expérience des masses populaires de Chine, dirigées par le Parti Communiste Chinois, approfondit l'expérience soviétique. En Chine, tous les aspects capitalistes de la société sont remis en cause, ce qui amène à la prolétarisation des masses paysannes, à la hausse du niveau de vie du prolétariat et au changement total des rapports sociaux ; l'effondrement de la division du travail amène à la remise en cause du patriarcat, l'institution policière s'éteint, remplacée par les masses en armes.

Au Vietnam, le Parti Communiste mené par Ho-Chi-Minh mène la lutte de libération nationale depuis des décennies, contre les impérialistes français, japonais, puis américains. La guerre populaire du peuple vietnamien est soutenue partout dans les métropoles impérialistes et provoque de nombreux mouvements de masse ; le slogan « Victoire pour le Vietnam ! » est la ligne rouge entre révolutionnaires et révisionnistes qui eux scandent « Paix pour le Vietnam ». C'est un slogan impérialiste, car les impérialistes voudraient la paix, et non la libération, dans les colonies et les semi-colonies.

En URSS, le vieil appareil d’État révisionniste, social impérialiste, est ébranlé par la révolte des masses populaires ; en 1968, ce sont les chars d'assaut soviétiques qui sont obligés d'intervenir à Prague et Varsovie pour écraser la révolte.

A Cuba, le Che et Fidel Castro dirigent la lutte des masses populaires pour la libération nationale ; en Algérie, c'est le FLN qui dirige la lutte populaire ; politisant indirectement la jeunesse populaire de France. En Inde, en Turquie, aux Philippines, les grandes révoltes paysannes et ouvrières provoquent la création de Partis marxistes-léninistes basés sur la pensée Mao Zedong, qui développent la guerre populaire prolongée dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux.

Dans les pays impérialistes, cette tempête révolutionnaire provoque la création de nombreux Partis et mouvements anti-révisionnistes : la jeunesse étudiante allemande fonde son Parti, aux Etats-Unis, le Black Panther Party et le Weather Underground organisent différents secteurs des masses ; en Italie, les mouvements armés se développent à partir des révoltes prolétariennes parties des grandes usines.
En Espagne, le mouvement de masse naît de cette période et aboutira à la révolte contre Franco. Les mouvements de libération nationale gagneront en puissance pendant toute la période ; Euskadi Ta Askatasuna fera par exemple trembler l’État fasciste Espagnol en assassinant Carrero Blanco.

La lutte contre le révisionnisme en France

En Mai 68, il existe deux organisations anti-révisionnistes en France: le PCMLF (financé par la Chine populaire), et l’UJC(ml).

Le PCMLF est issu des « amitiés Franco-chinoises », ensemble de groupes se revendiquant proche de la pensée de Mao et de la révolution en Chine au sein du PCF révisionniste; ils seront exclus de ce dernier en 1964 à cause de leur lutte antirévisionniste. Les dirigeants de la mouvance partiront en Chine Populaire la même année, puis viendra la fondation du MCMLF en 1966, après un affrontement entre Service d’ordre "mao" et Service d’ordre du PCF à la suite d'une manifestation contre l'intervention impérialiste au Vietnam. Ce mouvement se cristallise et se construit autour de sa défense contre les attaques violentes systématiques du PCF : par exemple, jusqu'à plusieurs centaines de membres du PCF outillés attaqueront un meeting de soutien au Nord-Vietnam en 67. En décembre 1967, 114 délégués représentant plusieurs centaines de membres fondent le PCMLF et le Mouvement est alors transformé en Parti lors d’un congrès lui-même attaqué par les révisionnistes.

Toutefois, la ligne stratégique du PCMLF est simplement de combattre la direction du PCF, de se réclamer comme "nouveau PCF" légitime ; il n'y a pas de réel combat contre le révisionnisme en tant que tel, mais simplement contre les formes qu’il prend dans le vieux Parti.

Au contraire, l'UJC-ML a une ligne différente et se constitue d'abord comme centre idéologique pour combattre le révisionnisme. Dans l'Union des Étudiants Communistes liée au PCF naît une tendance "anti Italienne", qui combat le liquidationnisme de la direction qui veut suivre le modèle du Parti Communiste Italien, et qui s’organise autour des "cahiers du marxisme-léninisme". En juillet 66, une poignée d'étudiants fondent une nouvelle organisation autour d'une ligne anti révisionniste, "l'Union des Jeunes Communistes – Marxiste-Léniniste"; elle sera active dans la lutte antifasciste et pro nord-vietnamienne. Elle a décidé d'aller vers les masses et de travailler avec la classe ouvrière et les paysans pauvres le plus possible, de s'inspirer de la Révolution Culturelle en Chine, avec les mots d'ordre "Servir le Peuple", "Combattre le révisionnisme" et "Descendre de son cheval".

Les actions des "maos" visent à élèver le niveau théorique, idéologique et politique des larges masses, tout en se basant sur des pratiques préexistantes, de manière embryonnaire ou plus massive. Aux yeux des maos, la lutte contre le révisionnisme passe avant tout par la pratique. Par les mots, on peut tout dire, mais c’est dans la pratique qu’on trace des lignes de démarcation. C'est aussi par une pratique juste que l'on gagne les larges masses à une ligne anti-révisionniste, en obtenant leur confiance et en montrant que l'on ne lance pas des grandes phrases en l'air, mais qu'on applique réellement sa théorie.

Il y eu de nombreuses tentatives de construire ces embryons de front de masse sur diverses questions, toujours en partant d’élément positifs préexistant dans les masses.
Les premières, ce sont les organisations pour le Vietnam et la Palestine, à l’initiative de l'UJC(ml). Début 1967 elle tient son congrès, puis appelle à créer des Comités Vietnam de Base (CVB), qui naissent en février et auront un succès très grand dans la jeunesse populaire. En mai sort Victoire pour le Vietnam, organe qui aura six numéros jusqu'en mars 1968.

L'UJC(ml) est également habituée aux bagarres de rue contre les fascistes. Elle dispose de « Groupes de Protection et d'Autodéfense », extrêmement militarisés et formant des groupes de choc antifascistes.

Le but est à chaque fois, pour la Palestine comme pour le Vietnam, de se lier largement aux masses les plus avancées, de synthétiser ce qu'il y a de juste et de renforcer le mouvement, "par en haut et par en bas", via la direction communiste mais en partant toujours des besoins concrets des masses.
Le début de l'année 68 – un printemps chaud

Le mouvement révolutionnaire ne se fonde pas sur du vide ; il est relativement important, déjà avant 68, car les masses sont en mouvement. Dès la fin de la guerre, les révoltes ouvrières se multiplient :les automnes de 47 et 48, 20 ans plus tôt, voient naître des grèves armées et des violents affrontements. Alors qu'en 2018 nous nous entendons régulièrement des références aux grandes grèves de 95, 20 ans avant 68 ce sont les ouvriers issus de la résistance qui agissent contre le pouvoir des patrons.

Il y a eu également l'expérience de l'Algérie Française : moins de dix ans plus tôt, l’État Français à montré à Paris, sous la direction de l'ancien dirigeant collabo Maurice Papon, son vrai visage. En Algérie même, les mouvements indépendantistes ont été réprimés dans le sang par l’État colon.

Depuis 63, et avec une intensification depuis 67, les luttes ouvrières se multiplient et se radicalisent violemment, particulièrement dans l'ouest de la France.
Enfin, Mai arrive dans un contexte d'agitation virulente pour le Vietnam, les actions antifascistes contre les fascistes partisan du sud Vietnam se multiplient, les groupes gauchistes font leurs armes dans des bagarres de rue du quartier Latin.

Un exemple de ces actions arrive le dimanche 28 avril 1968 à Paris, rue de Rennes. Une exposition d'extrême droite fait la promotion du régime fantoche du Sud Vietnam, soutenu par les USA. Cela fait des mois que les fascistes harcèlent les étudiants révolutionnaires qui ont décidé de ne plus se laisser faire. Ce jour-là, à l'heure du déjeuner, une 4L pile devant la salle. Cinquante jeunes déboulent, ouvrent le coffre, en sortent des manches de pioche et se ruent sur les fascistes au cri de "FNL vaincra!" Ce sont trois commandos des Groupes de Protection et d'Autodéfense, le service d'ordre de l'Union des Jeunesses Communistes (marxistes-léninistes). La salle est prise et l’exposition est ravagée après un combat bref mais très violent. Occident promet de se venger, et les "maos" s'organisent en conséquence en se préparant à défendre les universités visées par les fascistes. L'escalade des menaces, des manifestions et de la répression policière est alors la cause directe de l'explosion de Mai 68.

Ainsi, Mai 68 n'arrive pas comme un orage dans un ciel sans nuage. Ce n'est pas une histoire de liberté de circulation ou d’exprimer sa sexualité qui déclenche les événements, mais une accumulation de luttes violentes contre l'impérialisme français. En fait, l'historiographie bourgeoise ne comprend pas les liens entre les différents éléments. En janvier 68, de violentes émeutes ont lieu à Nanterre contre l'expulsion du territoire de Daniel Cohn Bendit, allemand, qui à participé à des altercations sur la question de la liberté sexuelle. Toutefois, il n'y aurait pas eu ces émeutes sans toutes les luttes anti impérialistes. Il s'agit d'une des multiples étincelles qui mettent le feu à la plaine. Mais la plaine se serait, d'une façon ou d'une autre, embrasée.

En février 68, des grèves violentes à l'usine Saviem de Caen font 200 blessés, les ouvriers manifestent dans l'usine et cassent tout.
Si, au début du mois, l’attaque du meeting pour le Sud-Vietnam à la salle de la Mutualité à Paris échoue, la détermination militante culmine dans l’affrontement de 300 activistes contre les CRS, et le 21 février 1968, où les CVB parviendront à hisser un drapeau du FNL du Vietnam sur la façade de l'ambassade du Sud Vietnam. En mars, il existe 120 CVB en Île-de-France et 150 en province.

Le 20 mars, 300 étudiants dont de nombreux « maos » occupent à la suite d'une manif du Comité Vietnam National, le siège de l'Américan Express. Deux jours plus tard, le 22 mars, une assemblée générale étudiante appel à la libération des 6 arrêtés du 20 mars. 

Le 1er mai, le mouvement du 22 mars organise un cortège violent qui affronte la police au sein du défilé des révisionnistes. Dans le même temps, les Comités Vietnam de Base appellent à la contre manifestation contre un meeting d'occident pour le Sud Vietnam autorisé à Nanterre le 3 mai. Les maos occupent le campus de manière militaire et stockent des cocktails Molotov, des casques et des bâtons, pour empêcher les fascistes d'accéder au campus. Ce même 3 mai, le groupe fasciste Occident est soupçonné d'avoir déclenché un incendie en dessous d'un local occupé par des étudiants gauchistes à la Sorbonne. Pendant les affrontements entre étudiants et ouvriers (prêts à faire intervenir leurs bulldozers) et policiers, on apprend l'arrestation de 8 étudiants de Nanterre suite aux événements du 1er mai.

Le mouvement du 22 mars et l'UNEF, alors « gauchiste », appellent à une manifestation anti-répression le 6 mai. Mai 68 est lancé. L'agitation ouvrière rejoint le mouvement étudiant, et les maos dirigent la lutte contre l'impérialisme et pour la victoire du peuple Vietnamien.

Pourtant, l'UJC(ML), qui dirige plus ou moins les CVB, passera à coté du mouvement. Ses dirigeants produisent plusieurs textes contre la grève. Le 13 mai, l'UJC(ML) déclare que le mouvement en cours est un mouvement social-démocrate contre révolutionnaire et appelle le 14 à un réel mouvement révolutionnaire contre le régime gaulliste. Pourtant, la base militante de l'UJC(ML), ouvrière comme étudiante, participe massivement aux grèves et affrontements, qu'elle a en partie déclenché dans la lutte anti-fasciste et anti-impérialiste.

Le mouvement étudiant culminera par la nuit des barricades. Dans le même temps, la main passe aux ouvriers : la grève appelée par la CGT au lendemain du 14 devient générale. Les usines les plus virulentes sont occupées les unes après les autres, de manière spontanée. Le 16 et le 17 mai, les ouvriers d'usines multiplient les séquestrations de dirigeants et de cadres, pratique qui réapparaît depuis le début de l'année 67. C'est le cas à Sud-Aviation, à Nantes.

Petit à petit, les affrontements deviennent plus violents, là ou la lutte est la plus dure depuis le plus longtemps. En effet, dans l'ouest industriel, les contacts entre étudiants « gauchistes » et grévistes sont nombreux et anciens, car les étudiants ont participé à de nombreuses reprises aux grèves dures et aux affrontements entre ouvriers et policiers ou maîtrise. Le mouvement est beaucoup plus fort. C'est souvent le cas dans l'Est également, comme à Sochaux ou Besançon. Le comité de grève de Besançon déclare qu'à partir du 20 mai, les étudiants seront accueillis pour discuter de la condition ouvrière sous le capitalisme.

A partir du 24 mai et pendant dix jours, un comité de grève CFDT-CGT-FO-FEN est crée qui dirigera pendant dix jours la ville. Le 30 mai, le comité est ouvert aux paysans et étudiants suite à d'importantes manifestations. Le comité n'est plus un comité d'organisations mais deviens un comité ouvrier-paysan-étudiants. Le 1er juin, les étudiants et ouvriers unis repoussent 500 contres révolutionnaires gaullistes qui tentent d'envahir le centre EDF-GDF de Nantes, centre de la contestation. Des organisations militarisées fleurissent pour repousser les commandos d'extrème droite et la police un peu partout ou les usines sont occupés.

En fait, avant le 30 mai et la manifestation gaulliste, les grévistes n'appliquent pas la violence contre les bourgeois, seulement contre les flics. C'est seulement après, quand la violence contre révolutionnaire se met en place, que les ouvriers vont commencer à être vraiment violents. En effet, les syndicats commencent à voter la reprise du travail, souvent sans les ouvriers eux mêmes ! Alors que la classe ouvrière est massivement en grève, les directions syndicales la trahissent, les affrontements entre ouvriers grévistes, étudiants et jaunes prennent une grande ampleur.

Les affrontements dureront 4 jours autour de l'usine Renault Flins, où la situation ne se calmera pas avant des années. 1000 policiers envahissent l'usine le 5, pendant que des milliers d'ouvriers et des centaines d'étudiants, 8000 personnes, assistent à un meeting à 10 km de là, à Elisabethville. Le bassin de la seine est en état de siège du 8 au 10 juin, et le lycéen mao Gilles Tautin sera retrouvé mort noyé. Autour de l'autoroute, les affrontements sont sanglants.

Plus tard, à Sochaux, la situation explosive voit les ouvriers prendre des armes et poursuivre les CRS. En déroute, ces derniers tuent deux ouvriers. On raconte même qu'un ou deux CRS ont finis dans les cuves en fusion de l'usine...

Ces occupations et grèves ont principalement lieu au nord de la Loire, dans la France industrielle, et beaucoup moins dans le sud, moins ouvrier. Au final, les étudiants sont souvent bien accueillis par les ouvriers. Parfois, les consignes de la CGT sont appliquées, et les étudiants renvoyés chez eux. Au contraire, ce sont parfois les ouvriers qui sollicitent les étudiants, et ces derniers, encadrés par l'UNEF, qui refusent. Partout où les grèves virent à l'affrontement, le sang froid et l'expérience des étudiants d'organisations « gauchistes », en particulier «maos» ou anarchistes, sont vus par les ouvriers comme un point central qui leur à permis de résister.

Mai-Juin, un soubresaut dans la luttes des classes

Mai ne s'arrête pas brusquement le jour de la grande manifestation gaulliste, comme le prétendent les historiens bourgeois. Mai n'est pas une erreur de l'histoire, un événement incompris, mais un sursaut de la lutte entre les classes. A la reprise du travail naît une nouvelle forme d'organisation ; les comités de base. Toutefois, sans Parti, sans Quartier Général de la Révolution, l'expérience ouvrière est peu ou mal synthétisée ; d'autant plus que le manque d'essence et de communications empêche un contact massifs entre les différentes zones de grèves. L'immense majorité des ouvriers ignore ce qu'il s'est passé dans les autres entreprises. Sans un reportage national, personne n'aurait su comment les accords de Grenelle ont été accueillis à Renault-Billancourt et personne n'aurait refusé ses accords.

La Gauche Prolétarienne est alors créée en septembre 1968 par une quarantaine de militants et militantes du mouvement du 22 mars et de l'UJC-ML. Elle permettra de développer le journal "La Cause du Peuple", véritable organe de propagande mao qui regroupe autour de lui des comités issus des masses, et qui est souvent prétexte à des affrontements violents : diffuser la Cause du Peuple et mettre une raclée aux révisionnistes et aux flics fait partie du même acte, du même mouvement pour "prendre" un marché ou un quartier populaire, une usine...

Les maos insistent toujours sur l'aspect de la violence révolutionnaire, et de la justice populaire : l'idée est simple, dans les organisations de masse fondée par la Gauche Prolétarienne, ou dirigée par elle, des organisations militarisées se forment permettant des actions "coup de poing", faisant monter d'un cran l'antagonisme social.

Le premier exemple, c'est le pillage d'un magasin Fauchon, grand magasin de luxe, par un commando étudiant de plusieurs dizaines de membres ; les produits sont redistribués dans un bidonville de Nanterre. Le message est clair : prenez par la force ce que la société vous refuse !

Plus tard, c'est l'Usine de Renaut Flins, dans les Yvelines à l'ouest de Paris, qui est attaquée par un commando de 200 "GPistes" équipés, qui mettent une volée à la maîtrise et à la sécurité de l'usine et tiennent un meeting sauvage un an après la mort de Gilles Tautin, jeune militant assassiné le 10 juin 1968 à Flins. S'échappant par un ruisseau, ils parviendront à partir malgré la présence d'hélicoptères de police, avec seulement une petite poignée d’arrestations.

Cette violence, c'est selon les maos "la dictature du prolétariat en acte", c'est le pouvoir populaire qui se construit. Quelques exemples de cette politique sont à noter : campagne à Renaut Billancourt (45 000 ouvriers) pour le métro gratuit qui finit en immense bagarre avec la police, puis par la redistribution des tickets de métro ; mise en place des Groupes Ouvriers Anti Flics (GOAF) qui tabassent les petits chefs les plus détestés des usines ; Groupe Antifascistes Multinationaux qui tournent dans les quartiers du nord de Paris pour empêcher les crimes racistes de la police et des fascistes, etc.

Les maos de l'époque n’utilisent quasiment pas de moyens légaux, et se tournent vers le "gauchisme". Ils déblayent, développent des pratiques anti révisionnistes et tracent des lignes de démarcation entre eux, la gauche révolutionnaire, et les révisionnistes du PCF et de la CGT, même quand ceux-ci sont "durs" dans leurs revendications.

Pour se lier aux masses, au-delà de la violence prolétarienne, les maos utilisent "l'établissement" : il s'agit d'aller en usine, à l’entrepôt ou au champ pour comprendre et apprendre des ouvriers eux même, de leur travail et de leur lutte.

Cette stratégie mise en place par la Gauche Prolétarienne développe une véritable base parmi les jeunes ouvriers, notamment immigrés. Les militants mettent en avant qu’il faut comprendre les masses et s’identifier à elles. De cette manière, le mouvement révolutionnaire peut s’implanter et construire ses bases dans les quartiers et les usines, et par extension les universités quand elles existent.

La liquidation

L’échec essentiel des luttes du peuple de 1968 et des organisations comme la Gauche Prolétarienne tient en général à l’absence d’un Parti communiste capable de donner une direction juste et à même de mener les luttes du peuple, et en particulier du refus des organisations maoïstes à construire ce Quartier Général du prolétariat dans le feu de la lutte des classes - en témoigne le spontanéisme de la Gauche Prolétarienne. Dans cette organisation spécifiquement, le parasitisme de dirigeants petits bourgeois pour qui les carrières bourgeoises étaient à portée de main, contrairement aux nombreuses et nombreux militants de terrain prolétaires ou établis, a conduit à l’abandon de toute perspective révolutionnaire au cours des années 1970. En novembre 1973, la direction opportuniste de la Gauche Prolétarienne, menée par une clique, organise sa dissolution et sa liquidation et abandonne la base ouvrière combative.

Cette façon de fonctionner ne sort pas de nulle part : dès 1967, l'UCJ-ML, dans ses objectifs stratégiques, refusait la construction d'un Parti « par en haut » et préconisait la création de noyaux capable de former « par en bas » le Parti. Dans son document Édifions le Parti Communiste à l'époque de la révolution culturelle, l'UJC(ML) explique qu'aucun parti ne peut être fondé avant que le mouvement communiste ait la direction du mouvement de masse, et que, sinon, il ne peut se proclamer Parti. Or, c'est un modèle anti-dialectique, qui ne vois pas que le Parti ne peut se construire qu'en même temps que la lutte de masse. Ainsi, sans Parti, la direction petite-bourgeoise de la jeune Gauche Prolétarienne délite et se coupe de sa base prolétarienne qui n'a pas bâti d'outil pour assurer sa direction.

Conclusion : quel héritage ?

Pour les camarades refusant cette trahison, les années qui ont suivi ont été des moments de lutte héroïque. En quête d’une théorie juste et d’une pratique nouvelle ayant tiré inspiration des victoires et échecs des « maos » de 68 et d’après, certains se dirigent vers l’autonomie, tandis que d’autres retournent au marxisme-léninisme anti-révisionniste. Dans une période de reflux de la lutte prolétarienne, peu nombreux sont ceux qui réussissent à tenir une ligne rouge. Le cas de notre Camarade Pierre, mort en décembre dernier et dirigeant de premier plan dans le Parti Communiste maoïste, est marquant. Bien que militant déterminé de la base de la Gauche Prolétarienne, son apprentissage du marxisme-léninisme-maoïsme n’a pu être accompli que par l’assistance résolue des camarades étrangers en exil sur le territoire français. L’implantation et le développement de la synthèse communiste actuelle, le marxisme-léninisme-maoïsme, n’a donc pu commencer que des années après 68 et la Gauche Prolétarienne, et elle se nourrit des succès et échecs des luttes de cette période pour mener les luttes de notre temps.

Quelques lectures recommandées :
Les nouveaux Partisans, une histoire de la Gauche Prolétarienne
Le Peuple Français, n°2, 2e série, avril-juin 78
Les cahiers de Mai, série complète








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