Aujourd'hui, l’État turc est traversé par des puissantes contradictions : une fraction (de nouvelles couches) de la bourgeoisie, revendiquant l’héritage ottoman et musulman du pays et cherchant à ‘diversifier’ les tutelles impérialistes ou expansionnistes (comme le Qatar), se voulant elle-même ‘expansionniste’, ‘regarde vers l’Orient’, en particulier vers le Machrek arabe, dans une démarche ‘néo-ottomane’ (‘crime’ pour lequel le premier ministre Menderes, par ailleurs totalement pro-occidental et europhile, avait été destitué et pendu en 1960, ouvrant l’ère sinistre de l’État sous supervision militaire sous laquelle mourra, affreusement torturé, le camarade Ibo) ; tandis qu'une autre, la fraction ‘kémalo-militaire’, veut que la ‘Turquie’ reste un ‘poste avancé de l’Occident’ – hier contre le ‘péril rouge’, le nationalisme arabe et le social-impérialisme soviétique, aujourd’hui contre les ‘nouvelles menaces’ de l’Iran (derrière lequel se tiennent le ‘redressement’ russe et l’‘émergence’ chinoise), le national-islamisme arabe ‘djihadiste’, etc. En raison de cela, l’Occident impérialiste et en particulier les impérialistes européens, qui en faisaient hier encore leur ‘premier de la classe’, lui ferment aujourd’hui la porte au nez pour entrer dans l’UE. La crise syrienne, dans laquelle l’État turc est profondément impliqué, va certainement pousser ces contradictions à un degré d’acuité intenable ; tandis que pour la classe ouvrière, la paysannerie pauvre, le peuple kurde et les forces révolutionnaires (guérilla kurde, MKP, TKP/ML, MLKP, DHKP-C), il n’est toujours pas question d’‘indulgence’, de la part ni d’une fraction oligarchique ni de l’autre.
Ibrahim Kaypakkaya, appelé fraternellement ‘Ibo’ par les communistes de là-bas, est le théoricien révolutionnaire qui a rendu vie au mouvement communiste révolutionnaire dans l’État turc, en révélant correctement, pour la première fois, la nature du kémalisme : un régime bourgeois antipopulaire, assassin, fasciste et à la solde de l’impérialisme. Le kémalisme n’a rien été d’autre, en réalité, que le parachèvement de la ‘révolution bourgeoise’ des Jeunes-Turcs (1908) : une ‘révolution’ visant simplement, pour la bourgeoisie et autres grands possédants turcs, à éliminer la bourgeoisie compradore d’alors, intermédiaire depuis des siècles (dans les ‘échelles du Levant’) du Capital européen, et qui était principalement non-turque (grecque, ‘judéo-espagnole’ ladino, arménienne, arabe chrétienne ‘syriaque’ etc.) ; pour prendre sa place. Elle ne visait NULLEMENT à briser le fond féodal de la société (par une révolution agraire), ni une quelconque libération nationale. Dans ce but, les Jeunes-Turcs se lièrent à l’impérialisme allemand, qui cherchait à étendre son influence vers le Golfe arabo-persique (où ‘fleurait’ déjà l’odeur du pétrole) ; les Alliés franco-anglo-russes soutinrent alors les mouvements nationaux, arabe (avec ‘Lawrence d’Arabie’), grec, arménien (qui subiront alors le premier génocide du 20e siècle) etc. ; et l’Empire ottoman fut entraîné par l’Allemagne dans sa défaite, et démembré par le terrible Traité de Sèvres (1920). Mustafa Kemal (bientôt surnommé ‘Atatürk’, le ‘père de tous les Turcs’) fut simplement le ‘dernier des Jeunes-Turcs’, qui mena contre les Alliés vainqueurs de 1918 une guerre nationaliste, pour finalement aboutir à un Traité (de Lausanne, 1923) moins inique, qui fonda l’État turc que nous connaissons. Dans le contexte des traités iniques d’après-Première Guerre mondiale, cette lutte nationale pouvait éventuellement revêtir un certain caractère objectivement progressiste, et fut saluée comme telle par l’Internationale communiste, mais cela s’arrête là et ne signifie nullement une nature ‘progressiste’ en soi du kémalisme – ce qui fut pourtant l’erreur du mouvement communiste turc, dès le début (coûtant la vie à ses fondateurs, dont Mustafa Suphi) et jusqu’à Kaypakkaya. Le kémalisme, héritier des Jeunes-Turcs, tenta de garder le ‘lien fondamental’ avec l’impérialisme allemand, y compris sous le nazisme (Istanbul devint alors la ‘plaque tournante’ de la diplomatie et de l’espionnage nazis pour tout l’Orient), puis, à partir de 1943-44, il se rangera résolument dans le camp occidental, alors que se dessine la Guerre froide. Il réprime avec une extrême brutalité les nationalités non-turques, notamment les Kurdes qui ont 'entrevu' l'indépendance en 1920, ainsi que les rescapés du génocide arménien (massacres du Dersim, 1937-38).
Sur ce point, comme le rappellent les camarades de l’OC-FR, Kaypakkaya a beaucoup parlé de la question kurde, et de la question des nationalités en ‘Turquie’ en général ; en fait, pour nous qui nous voulons également des révolutionnaires de libération occitane, il est absolument fondamental : il a en effet expliqué que les réalités nationales apparaissent avec l’aube du capitalisme, soit en Europe au ‘Bas-Moyen-Âge’ (11e-15e siècle), et non à l’apogée de celui-ci, contrairement aux élucubrations thorézo-trotskoïdes à la ‘Voie Lactée’ sur de prétendues ‘nations en formation’ – comme en… Afghanistan, quelques jours avant que leurs compères de l’OOA (MLM-pM) ne sortent leur texte… parlant d’État regroupant plusieurs nationalités, ce qui est la thèse juste et celle du grand maoïste afghan (hazara) Akram Yari. Il ne s’agit pas pour nous de nier la communauté de destin historique qui nous unit, depuis plus de 220 ans (d’abord derrière la bourgeoisie la plus avancée et démocratique, puis ‘à notre propre compte’), contre un État donc un ennemi commun et parfois contre des envahisseurs réactionnaires étrangers (1792-93, 1870-71, 1940-44), aux autres masses populaires de l’Hexagone, que ce soit des corons du Nord, des landes de Bretagne ou des quartiers populaires d’Île-de-France ; et qui nous unira encore dans la lutte révolutionnaire à venir, pour le socialisme ; mais cela ne veut pas dire accepter que l’on nous nie comme réalité nationale, alors qu’au milieu du 19e siècle un Jules Michelet ou un procureur impérial (de Napoléon III) dans le Var nous considéraient encore comme ‘pas la vraie France’, comme des ‘sauvages’ devant être ‘civilisés’ par le Nord, et qu’en 1942 le ‘bon docteur’ Céline nous qualifiait encore d’‘infect métissage négrifié’. Une négation qui est, pourtant et malheureusement, omniprésente dans le ‘marxisme’ hexagonal, y compris chez des ‘maoïstes’ comme les sus-cités…
Le ‘modernisme’ (‘progressisme’ pour certains...) dont fit preuve le kémalisme est en réalité un ‘pilier’ de son idéologie, qui considère que la ‘Turquie’ est un pays européen, occidental, et assimile le rejet de son ‘orientalité’ au rejet de l’arriération qui a, selon lui, conduit à l’effondrement de l’Empire. Il correspondait, d'autre part, à la mise en place en Anatolie du capitalisme bureaucratique - 'stade suprême' de la domination impérialiste sur un pays semi-colonial. Le premier ministre ‘démocrate’ Adnan Menderes (1950-60) était ainsi, par exemple, un pro-occidental forcené, faisant entrer l’État turc dans l’OTAN, le Conseil de l’Europe etc., mais il critiquait également ce rejet de l’orientalité, de l’islamité de la Turquie ; il noua des liens directs avec son voisinage arabe et iranien, etc. : ce seul ‘péché capital’ contre l’idéologie kémaliste suffit à entraîner son renversement, et son exécution l’année suivante. Ce coup d’État, suivi du retour au pouvoir de l'ex-successeur de Kemal (à la présidence) et ami d’Hitler, Ismet Inönü, marqua le début de l’État sous supervision militaire, régime fasciste où les gouvernements civils sont ‘supervisés’ par un ‘Conseil de Sécurité nationale’ des Forces armées, et régulièrement entrecoupés de pronunciamientos militaires suivis de plusieurs années de loi martiale, de gouvernement militaire direct. Ibrahim Kaypakkaya a lutté et péri durant l’une de ces périodes (1971-74). Après un dernier coup d’État en 1997 (contre l’ancêtre de l’actuel parti ‘islamiste’ au pouvoir, suivi d’une nouvelle période ultra-répressive contre les forces populaires et révolutionnaires, les Kurdes, les ‘islamistes’ etc.), cette politique a commencé à être un peu remise en cause depuis 2002, avec l’arrivée au pouvoir de la fraction bourgeoise AKP : liée, à l’origine, à la petite et moyenne-bourgeoisie turque d’Allemagne et d’‘Europe médiane’ (de la Suède à l'Autriche) – et donc à ces pays impérialistes, celle-ci, après une tentative infructueuse de ‘forcing’ à la porte de l’UE, s’est lancée dans une politique ‘néo-ottomane’, renouant le lien avec le voisinage arabo-musulman, se rapprochant de l''axe' Iran-Syrie (plus maintenant), puis s’alignant sur le Qatar (historiquement lié aux Frères musulmans, dont fait partie l'AKP), rejetant l’invasion US de l'Irak, critiquant la politique d’apartheid sioniste en Palestine (sans précédent, pour la ‘Turquie’, depuis la création de l’État d’Israël), etc. etc. … mais jusqu’à quand ? Les menaces de ‘reprise en main’ militaire ont émaillé toute la fin des années 2000, et restent latentes… Ces ‘pragmatiques’ issus de l’‘islamisme’, c'est-à-dire de l’expression du ‘capitalisme d’en bas’ (émergeant des ‘entrailles’ de la vie sociale, contre le capitalisme bureaucratique ‘d’en haut’), sont en fait les véritables ‘nouveaux Menderes’, entre libéralisme économique, ‘ouverture’ politique vis-à-vis des ‘vaches sacrées’ du kémalisme, charité ‘sociale’ islamique, néo-ottomanisme tourné vers l’Orient et europhilie frustrée ; tandis que les partis de la ‘Juste voie’ et de la ‘Mère patrie’ (les héritiers ‘officiels’), fusionnés en 2007 dans un nouveau ‘Parti démocrate’, sont en réalité plutôt ‘kémalo-libéraux’ (en fait, ce sont les ‘partis’ du coup d’État de 1980, qui visait aussi l’aile ‘sociale’, ‘dirigiste’ du kémalisme, pour instaurer le ‘néolibéralisme’). Pour les masses populaires, quoi qu'il en soit, l’oppression ne change guère : les communistes peuvent et doivent jouer de ces contradictions au sein de la classe dominante, mais cela ne fait pas de l'une ou de l'autre fraction une 'alliée'.
Le mouvement communiste anatolien (Turquie et Kurdistan du Nord sous occupation turque) est aujourd'hui actif et héroïque, mais hélas profondément divisé, divisions qui ont parfois pu aller jusqu’à l’affrontement sanglant. Peut-être la situation a-t-elle quelque peu évolué depuis la mort de Kaypakkaya, il y a maintenant 40 ans, et lui manque-t-il alors une analyse de la société, des classes en présence et des rapports de force adaptée à notre époque... Il appartient à lui et à lui seul d'élaborer cette 'pensée' pour mener victorieusement la lutte révolutionnaire au 21e siècle. Souhaitons de tout cœur qu’il puisse bientôt s’unir sous la bannière du maoïsme et unir toute les forces populaires révolutionnaire, pour ABATTRE ENFIN cet État fasciste, assassin de centaines de milliers de personnes du peuple !
De notre côté, ne perdons pas de vue que l’État fasciste turc, s’il mène parfois sa propre ‘petite partition’ régionale (‘ottomaniste’ ou ‘panturquiste’), n’en reste pas moins un État LAQUAIS du Grand Capital impérialiste, et notamment de l’impérialisme bleu-blanc-rouge et de son comparse allemand : à nous de mener sans relâche notre lutte révolutionnaire au cœur du monstre, des métropoles impérialistes ; telle est NOTRE TÂCHE dans la gigantesque, grandiose œuvre révolutionnaire de libération de l’humanité !
« Le camarade Ibrahim vit toujours dans le cœur de millions d’opprimés, et un jour viendra où
nous le vengerons ! »
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