«En France, vous vous inquiétez de la possible arrivée au pouvoir de Marine Le Pen, nous nous avons déjà Modi!»
un article de Slate qui voit de nombreux problèmes, sauf les exécutions extra judiciaires contre les maoïstes….
Sous la conduite du dirigeant
nationaliste hindou, l’Inde s’oriente vers un régime de plus en plus
hostile aux valeurs libérales et à la tolérance.
«Plus grande démocratie du monde»,
comme le rappellent inlassablement les Indiens, l’Inde est en passe de
rejoindre le groupe croissant des «démocraties illibérales».
L’extraordinaire concentration des pouvoirs dans les mains d’un leader
charismatique, Narendra Modi, qui s’adresse directement au «peuple» en
ignorant la société civile, les élites et les minorités, fait apparaître
de plus en plus de points communs entre le deuxième pays le plus peuplé
de la planète et la Turquie d’Erdogan, la Russie de Poutine ou les
États-Unis de Trump.
L’une des dernières illustrations de ce phénomène
est l’opposition de l’ABVP, le syndicat étudiant du BJP, le parti
nationaliste hindou au pouvoir, à un projet de séminaire sur les
«cultures de la contestation» organisé au Ramjas College de l’université
de Delhi. Refusant la présence dans ce séminaire d’orateurs qu’ils
considèrent comme «antinationaux», les étudiants de l’ABVP s’en
sont pris physiquement aux organisateurs et aux étudiants de gauche qui
défendent le séminaire. Face à ce déferlement de violence et à la
passivité de la police, qui n’intervient pas pour arrêter les militants
d’un groupe proche du pouvoir, une jeune étudiante, Gurmehar Kaur, a
lancé une campagne en ligne dénonçant les violences et les intimidations
de l’ABVP.
Cela vaut à cette jeune fille de vingt
ans d’être elle-même confrontée à un déchaînement de violence sur les
réseaux sociaux, y compris de sérieuses menaces de viol. Et quand un
ministre du gouvernement central de Delhi intervient, c’est pour
dénoncer, non pas les violences commises à l’université ou les menaces
que subit Gurmehar Kaur, mais les«gauchistes» qui ont «pollué»
l’esprit de la jeune fille… L’affaire aurait pu en rester là s’il n’y
avait eu un détail gênant: Gurmehar Kaur est la fille d’un militaire
mort en héros lors d’une des guerres contre le Pakistan, considéré comme
un «martyr» de la nation. Voir sa fille se faire agresser
ainsi par des ultranationalistes est quand même un peu dur à avaler: des
protestations se sont élevées de toutes parts pour prendre sa défense,
dénoncer les sbires de l’ABVP et le comportement du ministre. Le
principal quotidien anglophone du pays, le Times of India, s’est indigné dans un éditorial au vitriol de ce que «quiconque est en désaccord avec la vision du monde [du BJP et de ses organisations sœurs] est étiqueté antinational et intimidé jusqu’au silence, […] même la fille d’un martyr de guerre défendant le pacifisme».
Mais le mal est fait: la jeune fille a craqué sous le poids des
menaces, a fermé ses comptes en ligne et s’est réfugiée dans sa petite
ville de province. En dépit de l’indignation suscitée, ses agresseurs
ont gagné.
Mis à part les originales familiales de
la malheureuse héroïne, qui ont donné à l’histoire un retentissement
particulier, celle-ci est en fait tristement banale. «Tous les
jours, on voit un enseignant se faire suspendre pour des raisons
politiques, des violences dans les universités pour empêcher quelqu’un
de parler, du “trolling” intense sur internet et aussi de la violence
physique», explique Reetika Khera, enseignante à l’Indian Institute of Technology de Delhi. Dans son rapport annuel 2016/2017, qui vient d’être publié,
Amnesty International dénonce entre autres l’utilisation de lois
anti-sédition pour arrêter des étudiants, des enseignants ou de simples
citoyens accusés de défendre des idées «antinationales» ou «anti-Inde». «Le thème de l’“antinational” est devenu une arme de choix, explique Balveer Arora, professeur de sciences politiques et ancien recteur de l’Université Nehru de Delhi. Les gens qui ne sont pas pro BJP sont catalogués “antinationaux” et leur vie peut devenir un enfer».
Un chef de gouvernement universellement courtisé
Ces pressions sur la liberté
d’expression ne constituent que l’un des aspects d’une certaine dérive
populiste qui se manifeste en Inde depuis l’arrivée au pouvoir de
Narendra Modi, 66 ans, lors des élections générales du printemps 2014.
Des élections hors normes, avec plus de 800 millions d’électeurs (sur
une population de 1,3 milliard d’habitants), neuf phases de vote
échelonnées sur plus d’un mois dans ce pays aux dimensions de continent,
une invraisemblable logistique et, au bout du compte, un résultat à la
légitimité incontestée: c’est le miracle de la démocratie indienne,
minée par la corruption, la criminalité de bon nombre de candidats,
l’absence d’éducation d’une large partie du corps électoral et qui,
malgré tout, fonctionne puisque des scrutins pas ou peu fraudés se
traduisent par des changements pacifiques de majorité.
Doté depuis trois ans d’une majorité
absolue à la Chambre des députés, le leader du BJP a depuis eu largement
le temps d’établir son pouvoir sur des bases solides. Cet homme aux
origines sociales modestes a passé de nombreuses années comme militant
de base au sein du RSS, l’organisation idéologique mère des hindouistes
nationalistes, dont le BJP est le bras politique. Pour le RSS, le BJP et
leurs organisations affiliées comme l’ABVP, l’Inde est fondamentalement
une nation de religion hindouiste et les minorités religieuses (qui
représentent 20% de la population, dont 14% pour les musulmans) doivent
être maintenues à leur place –avec la plus grande fermeté le cas
échéant. Lorsque Narendra Modi accède pour la première fois à de hautes
fonctions politiques en devenant ministre en chef de l’État du Gujarat
en 2001, il est très vite confronté à une crise majeure, des violences
communautaires qui font plus de mille morts chez les musulmans. Sa
passivité –au mieux– durant ces événements lui vaudra d’être mis au ban
de la communauté internationale durant de nombreuses années, avant que
son arrivée au pouvoir suprême à New Delhi n’en fasse un chef de
gouvernement universellement courtisé tout autour de la planète.
Cet homme qui est en train de marquer
profondément de son empreinte l’Inde d’aujourd’hui s’inscrit de plus en
plus clairement dans la grande vague populiste qui déferle dans les
démocraties du monde entier. «En France, vous vous inquiétez de la possible arrivée au pouvoir de Marine Le Pen, nous nous avons déjà Modi!»,
lance, un sourire en coin, une personnalité de premier plan du monde
des affaires, avant de préciser qu’il voit tout de même au moins une
grande différence entre les deux personnalités: «Modi est très
tourné vers le développement du pays, c’est son parti qui l’est beaucoup
moins. N’oublions pas que le RSS a été directement inspiré par le
fascisme.»
«Le parallèle avec Erdogan est tout à fait remarquable»
Origines familiales, parcours personnel,
engagement politique mêlé de très fortes composantes religieuses,
hostilité envers les minorités: c’est en fait avec Erdogan, le président
turc, que le parallèle est le plus frappant. Le célèbre écrivain Amitav
Ghosh avait développé dès 2014 cette thèse dans un article fort remarqué.
Une idée reprise fin décembre par T.N. Ninan, président du très
respecté quotidien économique Business Standard, dans un long article
intitulé «Modi in the age of populism». «Le parallèle entre Erdogan et Modi est tout à fait remarquable», nous explique Ninan, selon qui le Premier ministre indien «coche toutes les cases» du populisme.
Premier exemple: son discours en plus en
plus «anti-élites». En novembre dernier, pour justifier une
extraordinaire opération de démonétisation qui a consisté à retirer du
jour au lendemain de la circulation 86% des billets de banque dans une
économie qui fonctionnesur le cash, Modi a expliqué qu’il s’agissait de punir les «élites corrompues», explique TN Ninan: «Il diabolise les riches.»
Une stratégie qui remporte d’ailleurs un plein succès comme vient de le
montrer l’énorme victoire remportée le 11 mars dans les élections clé
de l’État de l’Uttar Pradesh, 200 millions d’habitants. «Avec son
message “Je fais souffrir les riches”, Modi a remporté l’adhésion des
pauvres, alors même que ces derniers ont été beaucoup plus affectés par
la disparition temporaire du cash, analyse-t-on dans les milieux diplomatiques de la capitale indienne. C’est le miracle du populisme!»
Deuxième caractéristique partagée avec
les leaders populistes/autoritaires: l’extrême personnalisation de
l’exercice du pouvoir. Modi est le patron, le seul, et tout est fait
pour le montrer en permanence. La campagne électorale de l’Uttar
Pradesh, qui n’était qu’une élection «locale» à l’échelle de l’Inde, a
été portée à bout de bras par le Premier ministre lui-même, qui a
sillonné inlassablement cet immense État. Le BJP n’avait même pas
désigné de candidat au poste de ministre en chef en cas de victoire pour
que personne ne vienne faire d’ombre à Modi sur les affiches –et pour
bien convaincre les électeurs qu’ils allaient voter pour Modi lui-même.
Dans un tel système où Modi incarne à lui seul le pouvoir politique et
s’entoure de ministres effacés, «son exercice du pouvoir est extrêmement solitaire»,
poursuit le même analyste occidental, qui voit un seul parallèle dans
l’Inde contemporaine: le «règne» de la toute-puissante Indira Gandhi,
marqué par un état d’urgence de sinistre mémoire, de 1975 à 1977, seule
période de mise entre parenthèses de la démocratie dans le pays.
Dans la pratique, le fonctionnement du
gouvernement de New Delhi est désormais entièrement centralisé, toute
décision significative devant passer par le tout puissant PMO (Prime minister office),
à rebours de la tradition collégiale qui prévalait auparavant.
L’étendue de cette centralisation a été illustrée jusqu’à la caricature
avec l’opération de démonétisation: les membres du gouvernement en ont
été informés quelques minutes avant l’annonce faite par Modi à la
télévision. Même le ministre des Finances Arun Jaitley, pourtant l’un
des rares poids lourds au sein du gouvernement, ne semble pas avoir été
associé au projet: l’administration refuse obstinément de publier les
documents établissant sa participation alors qu’elle y est en principe
tenue dans le cadre de l’exercice de la loi sur le droit à
l’information.
La culture prise pour cible
Comme tous les leaders populistes,
Narendra Modi parle directement au peuple. Ne donnant presque jamais
d’interviews, il court-circuite les médias traditionnels en s’exprimant à
la radio sous forme d’allocutions ou sur les réseaux sociaux. Si la
liberté de la presse n’est pas remise en cause en tant que telle, une
discrète reprise en main est malgré tout à l’œuvre: «La plupart des journaux et chaînes de télévision sont désormais possédés par des businessmen amis de Modi», fait remarquer Balveer Arora. Et sur les réseaux sociaux, dont l’importance ne cesse de croître, «il
y a une armée d’intervenants à la disposition du régime qui s’attaquent
de façon très virulente, menaçante, à tous ceux qui critiquent», comme Gurmehar Kaur en a fait l’amère expérience, poursuit le politologue.
Comme les Erdogan et autres Poutine,
Modi n’aime guère la société civile. Son gouvernement a lancé une
offensive frontale contre les ONG, accusées de nuire au pays en
défendant l’environnement ou les droits des minorités. Arme favorite des
autorités: la révocation des licences autorisant les ONG à recevoir des
subventions de l’étranger. Une pratique dénoncée par le dernier rapport
d’Amnesty International, qui souligne qu’en ont été victimes des
organisations de premier plan comme Greenpeace India ou Lawyers
Collective.
La culture n’échappe pas aux
interventions du gouvernement avec, par exemple, des initiatives de
réécriture des livres d’histoire ou, surtout, la nomination de personnes
dévouées à la cause nationaliste hindoue à la tête des universités et
des organismes culturels, comme l’école de cinéma ou le bureau de
censure des films. Le cinéma, étant donné son rôle central dans la
culture populaire indienne, se retrouve la cible de nombreuses
offensives idéologiques. «Fin janvier, raconte Anurag Kashyap, cinéaste indépendant connu en France notamment pour sa saga criminelle Gangs of Wasseypur,l’un
de nos plus grands cinéastes, Sanjay Leela Bhansali, a été agressé,
battu pendant le tournage d’un film historique par des gens qui
pensaient qu’il ne donnerait pas une bonne image de leur communauté.»
Voici quelques mois, pendant une période de fortes tensions avec le
Pakistan, l’industrie indienne du cinéma a été forcée de cesser toute
collaboration avec des artistes ou techniciens pakistanais, de telles
collaborations, très fréquentes, étant devenues «antinationales».
Et une décision récente de la Cour suprême impose de jouer l’hymne
national au début des projections de films –et oblige les spectateurs à
se lever. «Il se passe plein de choses au nom du nationalisme, déplore la cinéaste et actrice Nandita Das, auteurs de Firaaq, remarquable film sur les massacres du Gujarat. Il est très malheureux que nous ayons ainsi à constamment prouver notre patriotisme.» Totalement hostile à l’interdiction des artistes pakistanais, Nandita estime qu’en tant qu’artistes, «nous n’avons pas de nationalité, pas de religion» mais que dire cela, c’est «être antinational»…
«Modi accentue les tensions communautaires»
Le domaine le plus inquiétant des
dérives autoritaires et populistes du régime tient aux relations avec
les minorités. Depuis deux ans, de nombreux incidents ont vu des
militants de l’hindutva, l’idéologie de la suprématie hindoue défendue
par le RSS, s’en prendre à des musulmans accusés de tuer des vaches ou
de manger du bœuf, avec des morts à la clé. Durant les récentes
élections de l’Uttar Pradesh, où les musulmans représentent environ 20%
de la population, le BJP n’a pas présenté un seul candidat de cette
confession dans les 403 circonscriptions. Le parti hindou a même inscrit
dans son programme la fermeture des abattoirs, qui appartiennent en
général aux musulmans. «Il n’y a aucun doute que Narendra Modi accentue les tensions communautaires» depuis qu’il est chef du gouvernement, estime T.N. Ninan, qui voit un autre élément caractéristique du populisme dans la «violence sous-jacente» observée vis-à-vis des minorités, dans les universités, etc.
Les défenseurs du Premier ministre font
souvent valoir que ce dernier ne soutient pas les débordements d’une
partie de ses troupes et qu’il lui arrive de les condamner. S’il ne fait
guère de doute que Modi donne la priorité à son programme de
développement économique plutôt qu’à l’idéologie hindouiste, la réalité
est plus complexe. Le RSS lui fournissant les troupes et les moyens
financiers indispensables pour mener les gigantesques campagnes
électorales indiennes, Modi ne peut se permettre de perdre son soutien.
Ce qui l’amène en général à adopter une position ambiguë consistant à
laisser faire les débordements sans dire un mot pendant un long moment,
avant de prononcer un appel au calme et à l’harmonie… Dans l’affaire des
agressions contre des personnes accusées de manger du bœuf, il n’a rien
dit pendant plus d’un an et ne s’est décidé à émettre une –ferme–
condamnation que quand les attaques se sont étendues aux intouchables
(de religion hindoue) et plus seulement aux musulmans.
Le Premier ministre n’hésite pas à
adopter lui-même le langage de la division communautaire quand il
l’estime utile. Ce fut le cas voici quelques semaines pendant la
campagne de l’Uttar Pradesh, quand il a accusé le gouvernement en place
dans l’État de mettre l’électricité à la disposition des organisateurs
de fêtes musulmanes et de la refuser à ceux de fêtes hindoues. Enfin, il
vient de lancer un signal extraordinairement inquiétant le 18 mars en
désignant –finalement– le nouveau ministre en chef de l’Uttar Pradesh:
son choix s’est porté sur Yogi Adityanath, un prêtre hindouiste
extrémiste, défenseur acharné de l’hindutva connu pour la violence de
ses attaques contre les musulmans et inculpé dans une série d’affaires
allant de l’incitation à la haine jusqu’à une tentative de meurtre en
passant par diverses émeutes… Une nomination choc qui ne pourra que
conforter les extrémistes hindous dans leur volonté d’en découdre.
Si tentations populistes et
autoritaristes il y a donc bien, toute la question est d’en estimer la
gravité. Après tout, le seul parallèle évoqué sur place étant entre Modi
et Indira Gandhi, dont l’état d’urgence s’était traduit par la
suspension de toutes les libertés, l’emprisonnement de nombreux
opposants et la censure généralisée, il pourrait y avoir de quoi
s’inquiéter… On n’en est certes pas là, mais les raisons de craindre
pour l’avenir sont bien réelles.
«Le pays peut rester démocratique et devenir illibéral»
Le phénomène le plus frappant est la
prudence grandissante des Indiens vis-à-vis de ces questions. Un très
vif débat public était apparu voici environ dix-huit mois sur le thème
de l’«intolérance» grandissante dans le pays. Des personnalités de tout
premier plan, connues pour leur pondération et universellement
respectées, avaient pris des positions fortes sur le sujet. Narayana
Murthy, fondateur du groupe informatique Infosys et l’un des plus
prestigieux hommes d’affaires indiens, avait affirmé que la communauté
musulmane éprouvait «une peur considérable». Le gouverneur de
la banque centrale de l’époque, Raghuram Rajan (qui a depuis quitté ses
fonctions), avait prononcé un discours très remarqué sur l’importance de
la tolérance pour assurer le progrès et le développement. Quant à Aamir
Khan, l’une des superstars du cinéma de Bollywood, de confession
musulmane, il s’était laissé aller à mentionner le fait que son épouse
se posait la question de quitter le pays… Le tout suscitant bien sûr de
très vives réactions d’hostilité de la part de la mouvance nationaliste.
Aujourd’hui, ce vaste débat est
complètement retombé. Mais pas parce que la question n’est plus
d’actualité, bien au contraire: parce que la prudence prévaut désormais.
«Les gens ont peur, alors ils cessent d’en parler, commente Anurag Kashyap, d’autant que tout le monde a compris que les protestations ne servent à rien.»
Une situation d’autant plus difficile à vivre pour le cinéaste qu’il
confesse avoir voté pour Modi lors des élections générales de 2014: «C’est mon plus grand regret, mais quel choix avions-nous? Nous pouvions voter pour la corruption [du parti du Congrès, au pouvoir jusqu’en 2014, ndlr] ou pour le fondamentalisme…»
Le climat d’extrême prudence qui prévaut
chez les intellectuels et les opposants se manifeste aussi par des
anecdotes comme celle-ci: le directeur général d’un important think-tank
de la capitale indienne, interrogé sur ces questions, livre quelques
réponses prudentes et plutôt rassurantes sur la solidité de la
démocratie indienne. À la fin de l’entretien, il demande à pouvoir
relire les éventuelles citations de lui, pour éviter tout problème.
Quand on lui fait remarquer que les médias francophones ne sont pas lus
par les autorités indiennes et que ses propos ne seront guère remarqués,
il devient très agité: «Oui, mais le risque, c’est quand ils
veulent s’en prendre à vous. Là, ils font des recherches et ils peuvent
utiliser contre vous tout ce qu’ils trouveront!» Ambiance…
Bien sûr, personne ne pense que les fondements démocratiques de l’Inde moderne sont menacés de disparition, «pas plus que ceux des États-Unis ne le sont par Trump», analyse
Balveer Arora. De nombreux contre-pouvoirs sont en place, comme
l’autonomie des États de la fédération indienne, la liberté de la
presse, l’indépendance de la justice. Néanmoins,«des décisions antidémocratiques peuvent être prises, le pays peut rester démocratique et devenir illibéral»,
poursuit l’universitaire. S’il est clair que Narendra Modi est très
loin, aujourd’hui, d’avoir pris des décisions aussi radicalement
antidémocratiques que le président turc, «avec le temps, il sera de plus en plus comme Erdogan», estime T.N. Ninan.
Ce qui est vraiment inquiétant, affirme
pour sa part Nadir Godrej, directeur général du groupe Godrej, l’un des
plus gros conglomérats familiaux du pays, c’est que le pouvoir«veut
complètement transformer l’Inde sur vingt ans. C’est une vraie menace
pour les gens qui ont un esprit libéral, pour les minorités et tout
particulièrement les musulmans, et aussi pour les basses castes.
Espérons que le climat de violence ne va pas empirer».
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