La presse en parle rarement, les habitants y manifestent pourtant quotidiennement par centaines, voire par milliers: à une quinzaine de km d’Al-Hoceïma dans le nord du Maroc, la ville d’Imzouren est l’autre haut-lieu de la contestation qui secoue le Rif depuis des mois.
Jouxtant l’aéroport d’Al-Hoceïma, Imzouren est un agrégat de constructions cubiques dispersées dans un paysage rocailleux au pied des montagnes.
Entourée de cafés aux terrasses désertées, une fade esplanade de béton accueille le visiteur de passage, sous le regard de jeunes désœuvrés. Beaucoup de volets sont fermés. Les appartements attendent le retour en été de leurs propriétaires, émigrés en Europe, aux Pays-Bas en particulier.
En cette deuxième semaine de ramadan, la petite ville de 40.000 habitants semble endormie, une impression contrastant avec les images qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux où des foules enflammées dénoncent le poing levé la « marginalisation » du Rif par un Etat marocain « corrompu ».
Car le visage d’Imzouren change à la nuit tombée.
C’est dans cette ville que des émeutiers avaient incendié fin mars une résidence de la police, dont les occupants avaient dû sauter du toit pour échapper aux flammes.
Dans la nuit de vendredi à samedi, des dizaines de jeunes dissimulés dans l’obscurité d’un quartier périphérique, le visage couvert, ont lancé des pierres contre les forces anti-émeutes qui bouclent le centre-ville. Les heurts ont duré deux heures.
Samedi soir, ils se sont de nouveau retrouvés au même endroit, en marge d’une marche de protestation qui a rassemblé un demi-millier de personnes et s’est terminée sans incident.
Le Rif est une région historiquement frondeuse, qui porte encore les blessures d’un passé tumultueux: rébellion, répression et marginalisation par l’ancien roi Hassan II… En 2004, Imzouren fut l’épicentre d’un tremblement de terre meurtrier —plus de 600 morts, 15.000 sans-abris— qui a donné à la périphérie de la ville ce visage de banlieue reconstruite à la va-vite.
« Ici, nous refusons la hogra (humiliation) », lance Nabil, un militant d’Imzouren, la trentaine. « Le sang de Moulay Mohand coule encore dans nos veines », dit-il dans un arabe châtié, dans cette ville largement berbérophone.
Moulay Mohand (ou Abdelkrim el-Khattabi de son vrai nom) était le chef de l’armée insurrectionnelle du Rif qui mit en déroute dans les années 1920 l’envahisseur espagnol, et dont les faits d’armes suscitent encore la fierté des populations locales.
Comme lui, beaucoup d’habitants d’Imzouren sont issus de la tribu des Beni Ouriaghel, « indomptée et indomptable », selon l’anthropologue italien Attilio Gaudio.
« Imzouren et le village voisin de Tamassint sont le fief des Beni Ouriaghel. Tous les grands leaders du Rif sont issus de cette tribu, réputée pour être particulièrement dure et n’avoir peur de rien », explique un acteur local de la société civile.
« Après sept mois de manifestations pacifiques, la police est devenue répressive. Nous n’avons pas peur car nous n’avons rien à perdre », lance, déterminé, un jeune contestataire qui dit exiger « la libération immédiate des prisonniers », après la vague d’arrestations qui a visé ces deux dernières semaines les leaders de la contestation.
Ici, les habitants disent n’accorder « aucun crédit » aux hommes politiques ou élus locaux, selon de nombreux témoignages recueillis par l’AFP.
Tout au long de son histoire, cette région méditerranéenne accrochée sur des montagnes hostiles a alterné entre « longues périodes d’anarchie intérieure (…) et de brèves années de rude discipline imposée par le makhzen (pouvoir) », résumait ainsi l’anthropologue français Robert Montagne, dans un livre paru en 1947.
« Nos rapports avec les politiques ont été difficiles, faits de méfiance mutuelle. Driss Basri (le tout puissant ministre de l’Intérieur sous Hassan II), n’a-t-il pas sauvagement réprimé nos frères? », s’interroge l’un des meneurs du « hirak » dans la ville, qui dit « prendre des risques en parlant à la presse car ceux qui le font sont systématiquement convoqués par la police ».
Les législatives d’octobre dernier ont vu un très faible taux de participation et des résultats vivement contestés. « La plupart des élus de la région sont originaires d’ici et issus du PAM (Parti authenticité et modernité). Ils sont arrivés aux affaires avec le soutien du makhzen. Mais ils ont échoué dans leur mission », accuse cet activiste.
« Dans le contexte actuel, toute médiation est impossible », juge pour sa part un acteur de la société civile, pourtant impliqué dans des tentatives de médiation avec les contestataires.
Il se dit « inquiet du retour cet été des Rifains de la diaspora –souvent plus radicaux contre le « makhzen »– qui va « aggraver les tensions ». « A Imzouren comme à Al-Hoceïma, tout le monde attend dorénavant la parole du roi ».
*Source : Assawra
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