Ce texte inédit de Derbent est celui d’une conférence prononcée à l’occasion du centenaire de Zimmerwald. Nous avons ici la 4e partie portant sur la guerre révolutionnaire. L’intégralité est disponible sur son site internet [2].[2] http://www.agota.be/t.derbent/articles/Zimmerwald_FR.pdf
4e partie : la guerre
révolutionnaire
4.1. L’insurrection
L’intérêt de Lénine pour les questions militaires
était bien entendu aussi lié à la dimension militaire de la lutte
révolutionnaire. Dès janvier 1905, avant la vague
insurrectionnelle, les bolcheviques s’employèrent à constituer
une organisation militaire. Au deuxième Congrès de Londres (12-27
avril 1905), un Bureau militaro-technique fut constitué près du
Comité Central et il fut enjoint aux Comités locaux de dresser un
plan d’insurrection et de s’y préparer.
La vague insurrectionnelle de 1905 surprit néanmoins le POSDR sans véritable appareil militaire et sans autre doctrine militaire que les écrits d’Engels sur l’insurrection. Le Bureau militaro-technique s’employa bien à élever le niveau de la lutte révolutionnaire des masses en menant des opérations de renseignement, d’action contre les dirigeants et les forces du régime, et d’expropriations pour financer le tout, mais ses forces et l’effet de son action furent insuffisantes. Les bolcheviques – et Lénine en particulier – entreprirent immédiatement de tirer les leçons des expériences pour améliorer l’efficacité de leurs groupes de combat. En octobre, Lénine écrit à l’Organisation de combat : « Je vois avec horreur, mais vraiment avec horreur, que l’on parle des bombes depuis plus de six mois sans en avoir fait une seule (...) Allez aux jeunes ! Formez sur-le-champ, en tous lieux, des groupes de combat, formez-en parmi les étudiants et surtout les ouvriers etc., etc. Que des détachements de 3, 10, 30 hommes et plus se forment sur-le-champ. Qu’ils s’arment eux-mêmes sur-le-champ, comme ils peuvent, qui d’un revolver, qui d’un couteau, qui d’un chiffon imprégné de pétrole pour servir de brandon. Que ces détachements désignent tout de suite leurs chefs et se mettent autant que possible en relation avec le Comité de combat près le comité de Pétersbourg. N’exigez aucune formalité, moquez-vous, pour l’amour de Dieu, de tous les schémas, envoyez, pour l’amour de Dieu, les "fonctions, droits et privilèges" à tous les diables. N’exigez pas l’affiliation obligatoire au P.O.S.D.R., ce serait pour l’insurrection armée une revendication absurde. Ne refusez pas d’établir la liaison avec le moindre groupe, ne fût-il que trois hommes, à la seule condition qu’il soit pur de tout noyautage policier et prêt à se battre contre les troupes du tsar. » [3]
Dans ses souvenirs, N. K. Kroupskaïa évoque l’application que Lénine apportait alors à l’étude de l’art militaire : « Il s’occupait de cette branche beaucoup plus qu’on ne le sait et ses conversations sur les groupes de chocs pendant la guerre de partisans, sur "groupes de cinq et de dix" n’avaient rien de commun avec le bavardage d’un profane, mais révélaient un plan réfléchi dans tous ses détails » [4]. En janvier 1905, Lénine avait relu les articles de Marx sur l’insurrection et traduit le chapitre des mémoires de Cluseret, le général de la Commune de Paris, sur les combats des rues. Les mémoires de Cluseret furent publiés dans Vpériod avec une préface et une notice biographique écrites par Lénine [5].
Le 5 décembre, la conférence des bolcheviques de Moscou décide à l’unanimité de proclamer la grève générale insurrectionnelle, suivi le 7 décembre par le Soviet de Moscou (à majorité bolchevique). La grève et les manifestations tournent à l’affrontement armé, mais le Conseil de coalition des groupes de combat [6], où les bolcheviques sont minoritaires, se révèle incapable de jouer le rôle d’état-major insurrectionnel Les ouvriers moscovites résistent mais ils ne sont que 8.000 à être organisés militairement. Le POSDR cherche à aider l’insurrection par tous les moyens (notamment en tentant d’arrêter les trains qui amènent les troupes à Moscou7) mais le 18, le quartier de Presnia, à l’ouest de Moscou, où se sont retranchés les derniers combattants, tombe.
Alors que la leçon que les mencheviques, à commencer par Plékhanov, tiraient du reflux du mouvement révolutionnaire de 1905, et particulièrement de l’insurrection de Moscou, que celui-ci était une "folie tactique" d’une "incroyable légèreté" [7], les bolcheviques, même après les défaites de Moscou, du Donetz et de Rostov, déclarèrent que le problème était le manque de forces et de préparation organisationnelle, militaire et doctrinale : « Ainsi, rien de plus myope que le point de vue de Plékhanov, repris par tous les opportunistes et selon lequel il ne fallait pas entreprendre cette grève inopportune, "il ne fallait pas prendre les armes". Au contraire, il fallait prendre les armes d’une façon plus résolue, plus énergique et un esprit plus agressif ; il fallait expliquer aux masses l’impossibilité de se borner à une grève pacifique, et la nécessité d’une lutte armée, intrépide et implacable. Aujourd’hui nous devons enfin reconnaître ouvertement et proclamer bien haut l’insuffisance des grèves politiques ; nous devons faire de l’agitation dans les masses les plus profondes en faveur de l’insurrection armée, sans escamoter la question en prétextant la nécessité de "degrés préliminaires", sans jeter un voile là-dessus. Cacher aux masses la nécessité d’une guerre exterminatrice, sanglante et acharnée, comme objectif immédiat de l’action future, c’est se duper soi-même et duper le peuple. » [8]
Lénine tire aussi des leçons tactiques, proches de celles ébauchées par Kautsky dans Les chances de la révolution russe. Le fait que les insurgés de Moscou aient offert une telle résistance aux troupes d’élite du régime montre que la condamnation d’Engels sur les luttes de barricades devait être affinée. C’est une certaine tactique des barricades qui a été condamnée par l’apparition du canon, etc. Par contre, une nouvelle tactique peut être dégagée de l’expérience de Moscou.
Les leçons qui furent tirées aboutirent progressivement à la doctrine insurrectionnelle mise en pratique en octobre 1917. Cette doctrine ne reposait plus sur la lutte des barricades ni sur des manifestations spontanées des masses, mais sur l’action offensive, concertée et planifiée, d’unité entraînées et disciplinées d’ouvriers armés [9] , la maîtrise des techniques militaires [10], et sur un travail de désagrégation de l’armée bourgeoise par l’agitation et la propagande [11]. Cette doctrine enfin, s’appuyait sur une analyse précise des conditions objectives et subjectives requises à sa mise en œuvre : crise politique du système, insatisfaction des masses, existence d’une avant-garde révolutionnaire reconnue, et appui de la paysannerie à la révolution prolétarienne. Cette doctrine suppose un long travail de préparation, d’accumulation et de qualification des forces militaires. L’acte final, l’insurrection, est précédé d’une longue phase politico-militaire longuement étudiée par Lénine dans La guerre des partisans. Cette doctrine attribue trois rôles à la lutte armée : un rôle subjectif de mobilisation politique des militants et des masses, un rôle d’accumulation des forces en période non révolutionnaire, et le rôle final et décisif de l’insurrection armée.
La vague insurrectionnelle de 1905 surprit néanmoins le POSDR sans véritable appareil militaire et sans autre doctrine militaire que les écrits d’Engels sur l’insurrection. Le Bureau militaro-technique s’employa bien à élever le niveau de la lutte révolutionnaire des masses en menant des opérations de renseignement, d’action contre les dirigeants et les forces du régime, et d’expropriations pour financer le tout, mais ses forces et l’effet de son action furent insuffisantes. Les bolcheviques – et Lénine en particulier – entreprirent immédiatement de tirer les leçons des expériences pour améliorer l’efficacité de leurs groupes de combat. En octobre, Lénine écrit à l’Organisation de combat : « Je vois avec horreur, mais vraiment avec horreur, que l’on parle des bombes depuis plus de six mois sans en avoir fait une seule (...) Allez aux jeunes ! Formez sur-le-champ, en tous lieux, des groupes de combat, formez-en parmi les étudiants et surtout les ouvriers etc., etc. Que des détachements de 3, 10, 30 hommes et plus se forment sur-le-champ. Qu’ils s’arment eux-mêmes sur-le-champ, comme ils peuvent, qui d’un revolver, qui d’un couteau, qui d’un chiffon imprégné de pétrole pour servir de brandon. Que ces détachements désignent tout de suite leurs chefs et se mettent autant que possible en relation avec le Comité de combat près le comité de Pétersbourg. N’exigez aucune formalité, moquez-vous, pour l’amour de Dieu, de tous les schémas, envoyez, pour l’amour de Dieu, les "fonctions, droits et privilèges" à tous les diables. N’exigez pas l’affiliation obligatoire au P.O.S.D.R., ce serait pour l’insurrection armée une revendication absurde. Ne refusez pas d’établir la liaison avec le moindre groupe, ne fût-il que trois hommes, à la seule condition qu’il soit pur de tout noyautage policier et prêt à se battre contre les troupes du tsar. » [3]
Dans ses souvenirs, N. K. Kroupskaïa évoque l’application que Lénine apportait alors à l’étude de l’art militaire : « Il s’occupait de cette branche beaucoup plus qu’on ne le sait et ses conversations sur les groupes de chocs pendant la guerre de partisans, sur "groupes de cinq et de dix" n’avaient rien de commun avec le bavardage d’un profane, mais révélaient un plan réfléchi dans tous ses détails » [4]. En janvier 1905, Lénine avait relu les articles de Marx sur l’insurrection et traduit le chapitre des mémoires de Cluseret, le général de la Commune de Paris, sur les combats des rues. Les mémoires de Cluseret furent publiés dans Vpériod avec une préface et une notice biographique écrites par Lénine [5].
Le 5 décembre, la conférence des bolcheviques de Moscou décide à l’unanimité de proclamer la grève générale insurrectionnelle, suivi le 7 décembre par le Soviet de Moscou (à majorité bolchevique). La grève et les manifestations tournent à l’affrontement armé, mais le Conseil de coalition des groupes de combat [6], où les bolcheviques sont minoritaires, se révèle incapable de jouer le rôle d’état-major insurrectionnel Les ouvriers moscovites résistent mais ils ne sont que 8.000 à être organisés militairement. Le POSDR cherche à aider l’insurrection par tous les moyens (notamment en tentant d’arrêter les trains qui amènent les troupes à Moscou7) mais le 18, le quartier de Presnia, à l’ouest de Moscou, où se sont retranchés les derniers combattants, tombe.
Alors que la leçon que les mencheviques, à commencer par Plékhanov, tiraient du reflux du mouvement révolutionnaire de 1905, et particulièrement de l’insurrection de Moscou, que celui-ci était une "folie tactique" d’une "incroyable légèreté" [7], les bolcheviques, même après les défaites de Moscou, du Donetz et de Rostov, déclarèrent que le problème était le manque de forces et de préparation organisationnelle, militaire et doctrinale : « Ainsi, rien de plus myope que le point de vue de Plékhanov, repris par tous les opportunistes et selon lequel il ne fallait pas entreprendre cette grève inopportune, "il ne fallait pas prendre les armes". Au contraire, il fallait prendre les armes d’une façon plus résolue, plus énergique et un esprit plus agressif ; il fallait expliquer aux masses l’impossibilité de se borner à une grève pacifique, et la nécessité d’une lutte armée, intrépide et implacable. Aujourd’hui nous devons enfin reconnaître ouvertement et proclamer bien haut l’insuffisance des grèves politiques ; nous devons faire de l’agitation dans les masses les plus profondes en faveur de l’insurrection armée, sans escamoter la question en prétextant la nécessité de "degrés préliminaires", sans jeter un voile là-dessus. Cacher aux masses la nécessité d’une guerre exterminatrice, sanglante et acharnée, comme objectif immédiat de l’action future, c’est se duper soi-même et duper le peuple. » [8]
Lénine tire aussi des leçons tactiques, proches de celles ébauchées par Kautsky dans Les chances de la révolution russe. Le fait que les insurgés de Moscou aient offert une telle résistance aux troupes d’élite du régime montre que la condamnation d’Engels sur les luttes de barricades devait être affinée. C’est une certaine tactique des barricades qui a été condamnée par l’apparition du canon, etc. Par contre, une nouvelle tactique peut être dégagée de l’expérience de Moscou.
Les leçons qui furent tirées aboutirent progressivement à la doctrine insurrectionnelle mise en pratique en octobre 1917. Cette doctrine ne reposait plus sur la lutte des barricades ni sur des manifestations spontanées des masses, mais sur l’action offensive, concertée et planifiée, d’unité entraînées et disciplinées d’ouvriers armés [9] , la maîtrise des techniques militaires [10], et sur un travail de désagrégation de l’armée bourgeoise par l’agitation et la propagande [11]. Cette doctrine enfin, s’appuyait sur une analyse précise des conditions objectives et subjectives requises à sa mise en œuvre : crise politique du système, insatisfaction des masses, existence d’une avant-garde révolutionnaire reconnue, et appui de la paysannerie à la révolution prolétarienne. Cette doctrine suppose un long travail de préparation, d’accumulation et de qualification des forces militaires. L’acte final, l’insurrection, est précédé d’une longue phase politico-militaire longuement étudiée par Lénine dans La guerre des partisans. Cette doctrine attribue trois rôles à la lutte armée : un rôle subjectif de mobilisation politique des militants et des masses, un rôle d’accumulation des forces en période non révolutionnaire, et le rôle final et décisif de l’insurrection armée.
4.2. La guerre des
partisans
Lénine dû mener la bataille contre Plékhanov qui
voulait dissoudre les groupes de combat pour ne faire de la politique
qu’à travers la seule action des députés à la Douma. Les
bolcheviques approuvaient et pratiquaient les attaques de banques
(dont le produit était nécessaire au fonctionnement d’un parti
clandestin), et les actions armées contre les membres de l’appareil
répressif, particulièrement les espions.
Une école pour instructeurs militaires fut constituée à Kiev et une autre pour l’emploi des bombes fut ouvert à Lemberg. En novembre 1906, Lénine fit convoquer, via le Bureau militaro-technique, une conférence des groupes de combat à Tammersfor, en Finlande. Pour préparer cette conférence, Iarorslavski un des principaux dirigeants militaires bolcheviques, va rencontrer Lénine : « J’arrivai en Finlande où je vis Vladimir Ilitch, qui m’assaillit de questions. Je sentis aussitôt que j’avais affaire à un camarade qui connaissait à fond notre travail et s’y intéressait sérieusement. Vladimir Ilitch ne se contentait pas de réponses générales, il voulait connaître les détails, la mécanique de notre travail, nos projets, nos contacts. Il s’intéressa vivement à l’école d’instructeurs militaires que nous avions organisée, et où nous enseignions à nos militants le maniement et la confection des explosifs, la manœuvre des mitrailleuses et d’autres armes, où l’on enseignait le métier de sapeur-mineur, la tactique des combats de rue, en un mot, où l’on préparait les cadres des commandants de nos détachements de combat, pour la révolution future. » [12]
Dans les instances dirigeantes du POSDR, outre le Comité Central officiel (contrôlé par les mencheviques), il existait un centre bolchevique (le Bureau du comité de Majorité) dont l’organisation militaire (le Comité pour les Affaires Financières et Militaires), était dirigée par Lénine, Krassine [13] et Bogdanov [14].
Dans la perspective du congrès de Stockholm, (10-20 avril 1906), Lénine écrivit le projet de résolution suivant :
« Attendu que :
1) depuis l’insurrection de décembre, presque nulle part en Russie les combats n’ont complètement cessé, combats qui se traduisent maintenant de la part du peuple révolutionnaire par des attaques isolées contre l’adversaire ;
2) ces actions inévitables lorsque deux forces armées adverses se trouvent en présence et lorsque se déchaîne une répression militaire provisoirement triomphante, servent en même temps à désorganiser l’adversaire et préparent de futures actions armées massives et ouvertes ;
3) des actions de ce genre sont également indispensables pour former et éduquer militairement nos groupes de combat, qui, au moment de l’insurrection de décembre, se sont révélés en de nombreux endroits dépourvus de préparation pratique dans une activité nouvelle pour eux ;
Nous reconnaissons et nous proposons au congrès de reconnaître que :
1) le Parti doit reconnaître que les actions armées des groupes de combat appartenant au Parti ou luttant à ses côtés sont admissibles sur le plan des principes et opportunes dans la période actuelle ;
2) le caractère des actions armées doit être adapté à la tâche qui consiste à former les dirigeants des masses ouvrières en période d’insurrection et à acquérir l’expérience des actions offensives soudaines ;
3) le but immédiat le plus important de ces actions doit être la destruction des appareils gouvernemental, policier et militaire et une lutte impitoyable contre les organisations cent-noirs actives qui pratique la violence et la terreur contre la population ;
4) il faut admettre aussi les actions armées destinées à s’emparer des moyens financiers appartenant à l’ennemi, c’est-à-dire au gouvernement autocratique, et à détourner ces moyens au profit de l’insurrection ; ce faisant, il importe de veiller sérieusement à ce que les intérêts de la population soient le moins possible lésés ;
5) les actions armées de partisans doivent s’effectuer sous le contrôle du Parti et de telle sorte que les forces du prolétariat ne soient pas gaspillées en vain, et qu’en même temps, on prenne en considération les conditions du mouvement ouvrier dans la localité donnée et l’état d’esprit des larges masses. » [15]
Mais le Congrès, qui réunissait une nette majorité de délégué mencheviques, ne discuta pas de la question. Lénine revint à la charge en septembre 1906 affirmant que « La lutte de partisans est une forme inévitable de lutte à une époque où le mouvement des masses aboutit effectivement à l’insurrection et où il se produit des intervalles plus ou moins considérables entre les "grandes batailles" dans le cours de la guerre civile. (...) Il est parfaitement naturel et inévitable que l’insurrection acquière les formes les plus hautes et les plus complexes d’une guerre civile prolongée, englobant tout le pays, c’est-à-dire d’une lutte armée entre deux parties du peuple. On ne peut se représenter une guerre de ce genre autrement que comme une suite de grandes batailles peu nombreuses, séparées par des intervalles de temps relativement longs, au cours desquels se produisent d’innombrables escarmouches. Du moment qu’il en est ainsi – et il en est certainement ainsi – la social-démocratie doit absolument s’assigner pour tâche de créer des organisations qui soient au plus haut degré capables de diriger les masses dans ces grandes batailles, de même que, si possible, dans ces escarmouches. » [16]
Mais la dissolution des groupes de combat fut décidée au troisième Congrès de Londres (13 mai-1er juin 1907), par la majorité menchevique.
Une école pour instructeurs militaires fut constituée à Kiev et une autre pour l’emploi des bombes fut ouvert à Lemberg. En novembre 1906, Lénine fit convoquer, via le Bureau militaro-technique, une conférence des groupes de combat à Tammersfor, en Finlande. Pour préparer cette conférence, Iarorslavski un des principaux dirigeants militaires bolcheviques, va rencontrer Lénine : « J’arrivai en Finlande où je vis Vladimir Ilitch, qui m’assaillit de questions. Je sentis aussitôt que j’avais affaire à un camarade qui connaissait à fond notre travail et s’y intéressait sérieusement. Vladimir Ilitch ne se contentait pas de réponses générales, il voulait connaître les détails, la mécanique de notre travail, nos projets, nos contacts. Il s’intéressa vivement à l’école d’instructeurs militaires que nous avions organisée, et où nous enseignions à nos militants le maniement et la confection des explosifs, la manœuvre des mitrailleuses et d’autres armes, où l’on enseignait le métier de sapeur-mineur, la tactique des combats de rue, en un mot, où l’on préparait les cadres des commandants de nos détachements de combat, pour la révolution future. » [12]
Dans les instances dirigeantes du POSDR, outre le Comité Central officiel (contrôlé par les mencheviques), il existait un centre bolchevique (le Bureau du comité de Majorité) dont l’organisation militaire (le Comité pour les Affaires Financières et Militaires), était dirigée par Lénine, Krassine [13] et Bogdanov [14].
Dans la perspective du congrès de Stockholm, (10-20 avril 1906), Lénine écrivit le projet de résolution suivant :
« Attendu que :
1) depuis l’insurrection de décembre, presque nulle part en Russie les combats n’ont complètement cessé, combats qui se traduisent maintenant de la part du peuple révolutionnaire par des attaques isolées contre l’adversaire ;
2) ces actions inévitables lorsque deux forces armées adverses se trouvent en présence et lorsque se déchaîne une répression militaire provisoirement triomphante, servent en même temps à désorganiser l’adversaire et préparent de futures actions armées massives et ouvertes ;
3) des actions de ce genre sont également indispensables pour former et éduquer militairement nos groupes de combat, qui, au moment de l’insurrection de décembre, se sont révélés en de nombreux endroits dépourvus de préparation pratique dans une activité nouvelle pour eux ;
Nous reconnaissons et nous proposons au congrès de reconnaître que :
1) le Parti doit reconnaître que les actions armées des groupes de combat appartenant au Parti ou luttant à ses côtés sont admissibles sur le plan des principes et opportunes dans la période actuelle ;
2) le caractère des actions armées doit être adapté à la tâche qui consiste à former les dirigeants des masses ouvrières en période d’insurrection et à acquérir l’expérience des actions offensives soudaines ;
3) le but immédiat le plus important de ces actions doit être la destruction des appareils gouvernemental, policier et militaire et une lutte impitoyable contre les organisations cent-noirs actives qui pratique la violence et la terreur contre la population ;
4) il faut admettre aussi les actions armées destinées à s’emparer des moyens financiers appartenant à l’ennemi, c’est-à-dire au gouvernement autocratique, et à détourner ces moyens au profit de l’insurrection ; ce faisant, il importe de veiller sérieusement à ce que les intérêts de la population soient le moins possible lésés ;
5) les actions armées de partisans doivent s’effectuer sous le contrôle du Parti et de telle sorte que les forces du prolétariat ne soient pas gaspillées en vain, et qu’en même temps, on prenne en considération les conditions du mouvement ouvrier dans la localité donnée et l’état d’esprit des larges masses. » [15]
Mais le Congrès, qui réunissait une nette majorité de délégué mencheviques, ne discuta pas de la question. Lénine revint à la charge en septembre 1906 affirmant que « La lutte de partisans est une forme inévitable de lutte à une époque où le mouvement des masses aboutit effectivement à l’insurrection et où il se produit des intervalles plus ou moins considérables entre les "grandes batailles" dans le cours de la guerre civile. (...) Il est parfaitement naturel et inévitable que l’insurrection acquière les formes les plus hautes et les plus complexes d’une guerre civile prolongée, englobant tout le pays, c’est-à-dire d’une lutte armée entre deux parties du peuple. On ne peut se représenter une guerre de ce genre autrement que comme une suite de grandes batailles peu nombreuses, séparées par des intervalles de temps relativement longs, au cours desquels se produisent d’innombrables escarmouches. Du moment qu’il en est ainsi – et il en est certainement ainsi – la social-démocratie doit absolument s’assigner pour tâche de créer des organisations qui soient au plus haut degré capables de diriger les masses dans ces grandes batailles, de même que, si possible, dans ces escarmouches. » [16]
Mais la dissolution des groupes de combat fut décidée au troisième Congrès de Londres (13 mai-1er juin 1907), par la majorité menchevique.
4.3. Lénine chef de
guerre
L’action de Lénine comme chef de guerre est
mésestimée, et le jugement d’Adam Ulam à ce propos largement
partagé [17]. Poussés par des intérêts politiques évidents,
soviétologues et trotskistes ont attribué à Trotski tous les
mérites militaires de la guerre civile. Des intérêts non moins
évidents ont amené l’historiographie soviétique à valoriser à
outrance le rôle de Staline, Vorochilov et Frounzé. Tous
s’accordent à reconnaître à Lénine le premier rôle politique,
tous négligent son rôle militaire. Lui-même ne fit rien pour
marquer son intérêt aux questions militaires : il ne visitait
ni les états-majors ni les tranchées, et ne rencontrait commandants
et soldats rouges que lorsque cela s’imposait - aucune imagerie
militaire ne s’attache à lui.
Pourtant, entre le 1er décembre 1918 et le 24 décembre, il préside 143 des 175 séances du Conseil de la Défense. Rien qu’en 1919 il dirige les travaux de 14 sessions du Comité central du parti et 40 séances du Bureau politique qui examinèrent les questions militaires. Ce sont des milliers de questions militaires que Lénine a examinée à ces occasions [18]. Lénine expédia au moins six cents lettres et télégrammes consacrés aux questions de défense.
La version trotskiste de l’histoire, qui voit Lénine laisser carte blanche à Trotski sur les questions militaires, est démentie par plusieurs incidents dont le plus célèbre est le remplacement du commandant en chef de l’Armée rouge, J. Vatsetis, par S. S. Kamenev [19].
Il est vrai que Lénine délégua l’essentiel de la conduite de la guerre aux commandants et commissaires qu’il avait contribué à choisir, à commencer par le commissaire à la guerre lui-même. Rarement son activité interféra avec celle des commandants.
C’est en novembre 1917, alors que Kerenski avait projeté de rejoindre les armées restées fidèles au Gouvernement provisoire pour marcher sur Pétrograd, et que celles-ci avaient pris Gatchina et menaçaient Tsarkoïé-Sélo, à 25 km de la capitale, que l’on vit le plus souvent Lénine "descendre" au niveau tactique, provoquant un incident avec Nicolaï Podvoiski, organisateur de la garde rouge et premier Commissaire du peuple à la Défense. [20]
Plusieurs témoignages, différents mais concordants, rapportent la manière dont Lénine envisagea l’utilisation de la flotte comme appui feu sur le front de Tsarkoïé-Selo.
L. Vakhraméev, délégué de la flotte de la Baltique, avait été appelé par Lénine à la Direction du commandement de l’arrondissement militaire de Pétrograd : « La carte de Pétrograd et de ses environs était étalée sur une grande table. On discutait le plan de destruction des bandes de Kérenski. Vladimir Ilitch me demanda ce que, en plus de ses détachements, la flotte pouvait donner pour venir en aide aux unités de terre. Quand j’eus pris connaissance de la disposition des forces ennemis, j’expliquai que la flotte pouvait bombarder les bandes de Kerenski embusquées à Tsarkoïé-Selo. On pouvait procéder au bombardement des deux côtés, avec des pièces de marine à longues portée ; pour cela il fallait amener dans le canal Moskoï le croiseur Oleg qui pourrait bombarder toute la région de Tsarkoïé-Selo au nord-ouest, avec ses canons de 130 mm. En outre, deux ou trois torpilleurs du type Novik pouvaient remonter la Néva, à la hauteur du village de Rybatskoïé et bombarder Tsarkoïé-Selo de l’est, avec ses canons de 100 mm. Aucune unité ne résisterait à un pareil bombardement.
Le camarade Lénine s’intéressa vivement à cette proposition. Il me demanda des détails, vérifia minutieusement la possibilité d’exécuter l’opération proposée, et, après s’être convaincu de son caractère réel et rationnel, il m’ordonna d’entreprendre immédiatement son exécution et de l’informer régulièrement sur la marche des travaux. » [21]
Mais Lénine prit (au moins) un second avis, celui d’un autre bolchevique de la flotte, F. Raslkolnikov, qui livre un récit presque identique : discussion serrée autour de la carte, étude de la profondeur des chenaux, de l’effet des marées, des plans de tir etc. [22]
Le troisième récit est celui de N. Izmaïlov, vice-président du Comité central de la flotte de la Baltique, qui rapporte sa conversation télégraphique avec Lénine, celui-ci lui demandant combien de vaisseaux il pouvait faire appareiller et dans quel délai, s’ils étaient munis de vivres et équipés de télégraphie sans fil, etc. [23] La manœuvre se fit, la flotte s’embossa à quelques encablures de Tsarkoïé-Selo, et des observateurs furent placés sur les hauteurs de Poulkovo pour diriger le tir, mais la retraite soudaine des troupes de Kérensky rendit ce déploiement inutile.
Il est difficile de juger de la pertinence militaire des décisions de Lénine [24]. Le témoignage de Trotski sur ce point est souvent suspect, qui a la faiblesse de monter en épingle des prétendus "erreurs de jugements militaires" de Lénine pour se donner le beau rôle.
L’activité militaire de Lénine consiste pour l’essentiel à rassembler des moyens, galvaniser les énergies, envoyer les bonnes personnes aux bons endroits, et passer un savon à qui de droit. Un bon exemple en est le télégramme à Goussev [25] du 16 septembre 1919 : « En réalité, c’est l’immobilisme qui règne chez nous, et presque l’effondrement. Sur le front de Sibérie, on a placé une sorte de fripouille, Olderogge, et ce froussard de Posern, et on "s’est calmé" ; c’est véritablement infâme ! Et nous commençons à nous faire battre ! Nous en rendrons responsable le Conseil de Guerre Révolutionnaire de la République s’il n’agit pas énergiquement ! C’est une honte de laisser la victoire échapper de nos mains.
Immobilisme avec Marmontov. Apparemment un retard après l’autre. Retard des troupes se rendant au Nord, à Voronej. Retard dans l’acheminement de la 21e division vers le Sud. Retard pour la livraison des fusils-mitrailleurs. Retard dans le Service de Renseignements. (...) Le résultat, c’est l’immobilisme, tant avec Marmontov qu’avec Selivatchov (au lieu des victoires attendues de jour en jour, comme on les promettait dans les dessins enfantins – vous souvenez-vous, vous m’aviez montré ces dessins et j’avais dit : "On a oublié l’adversaire !" [26]). Si Selivatchov s’échappe ou si son chef de division trahit, le Conseil de Guerre Révolutionnaire de la République en sera la cause, car il dormait et rassurait tout le monde, mais n’a pas fait le nécessaire. Il faut envoyer dans le Sud les meilleurs commissaires, les plus énergiques et pas des bonnets de nuit.
Nous nous mettons en retard pour la formation des divisions. Nous laissons passer l’automne, mais, pendant ce temps-là, Denikine triplera ses forces il recevra des tanks, etc., etc. Cela ne peut pas continuer ainsi. Il faut se débarrasser de cette façon somnolente de travailler et passer à une allure vivante. » [27]
Dans un passage également recopié par Lénine, Clausewitz écrit que « là où se rencontreront cette énergie et cette force morale unies à une sage modération dans les résultats recherchés, là on verra généralement se produire cette alternative de brillants combats et d’opportune circonspection que l’on admire avec tant de raison dans les campagnes du grand Frédéric. » [28] C’est de cet équilibre de qualités dont Lénine fait alors preuve : l’audace lors du déclenchement de l’insurrection d’octobre, la prudence lors des négociations de paix de Brest Litovsk. Et si l’on voit Lénine pousser les commandants et les commissaires à faire preuve d’initiative, d’audace et de combativité, il ne les pousse jamais à l’imprudence – tant il est vrai que la témérité comme l’inertie sont les manifestations jumelles de ce manque de sérieux qu’il exécrait. La preuve en est ce télégramme envoyé à Trotski le 3 juin 1920 à propos d’un plan d’offensive : « C’est manifestement une utopie. Cela ne coûtera-t-il pas trop de victimes ? Nous conduirons d’innombrables soldats à la mort. Il faut réfléchir dix fois et évaluer ; je propose la réponse suivante à Staline : « Votre proposition sur l’attaque de la Crimée est si grave qu’il nous faut disposer de plus amples informations et réfléchir très sérieusement. Attendez notre réponse. Lénine : Trotsky : » [29]
Pourtant, entre le 1er décembre 1918 et le 24 décembre, il préside 143 des 175 séances du Conseil de la Défense. Rien qu’en 1919 il dirige les travaux de 14 sessions du Comité central du parti et 40 séances du Bureau politique qui examinèrent les questions militaires. Ce sont des milliers de questions militaires que Lénine a examinée à ces occasions [18]. Lénine expédia au moins six cents lettres et télégrammes consacrés aux questions de défense.
La version trotskiste de l’histoire, qui voit Lénine laisser carte blanche à Trotski sur les questions militaires, est démentie par plusieurs incidents dont le plus célèbre est le remplacement du commandant en chef de l’Armée rouge, J. Vatsetis, par S. S. Kamenev [19].
Il est vrai que Lénine délégua l’essentiel de la conduite de la guerre aux commandants et commissaires qu’il avait contribué à choisir, à commencer par le commissaire à la guerre lui-même. Rarement son activité interféra avec celle des commandants.
C’est en novembre 1917, alors que Kerenski avait projeté de rejoindre les armées restées fidèles au Gouvernement provisoire pour marcher sur Pétrograd, et que celles-ci avaient pris Gatchina et menaçaient Tsarkoïé-Sélo, à 25 km de la capitale, que l’on vit le plus souvent Lénine "descendre" au niveau tactique, provoquant un incident avec Nicolaï Podvoiski, organisateur de la garde rouge et premier Commissaire du peuple à la Défense. [20]
Plusieurs témoignages, différents mais concordants, rapportent la manière dont Lénine envisagea l’utilisation de la flotte comme appui feu sur le front de Tsarkoïé-Selo.
L. Vakhraméev, délégué de la flotte de la Baltique, avait été appelé par Lénine à la Direction du commandement de l’arrondissement militaire de Pétrograd : « La carte de Pétrograd et de ses environs était étalée sur une grande table. On discutait le plan de destruction des bandes de Kérenski. Vladimir Ilitch me demanda ce que, en plus de ses détachements, la flotte pouvait donner pour venir en aide aux unités de terre. Quand j’eus pris connaissance de la disposition des forces ennemis, j’expliquai que la flotte pouvait bombarder les bandes de Kerenski embusquées à Tsarkoïé-Selo. On pouvait procéder au bombardement des deux côtés, avec des pièces de marine à longues portée ; pour cela il fallait amener dans le canal Moskoï le croiseur Oleg qui pourrait bombarder toute la région de Tsarkoïé-Selo au nord-ouest, avec ses canons de 130 mm. En outre, deux ou trois torpilleurs du type Novik pouvaient remonter la Néva, à la hauteur du village de Rybatskoïé et bombarder Tsarkoïé-Selo de l’est, avec ses canons de 100 mm. Aucune unité ne résisterait à un pareil bombardement.
Le camarade Lénine s’intéressa vivement à cette proposition. Il me demanda des détails, vérifia minutieusement la possibilité d’exécuter l’opération proposée, et, après s’être convaincu de son caractère réel et rationnel, il m’ordonna d’entreprendre immédiatement son exécution et de l’informer régulièrement sur la marche des travaux. » [21]
Mais Lénine prit (au moins) un second avis, celui d’un autre bolchevique de la flotte, F. Raslkolnikov, qui livre un récit presque identique : discussion serrée autour de la carte, étude de la profondeur des chenaux, de l’effet des marées, des plans de tir etc. [22]
Le troisième récit est celui de N. Izmaïlov, vice-président du Comité central de la flotte de la Baltique, qui rapporte sa conversation télégraphique avec Lénine, celui-ci lui demandant combien de vaisseaux il pouvait faire appareiller et dans quel délai, s’ils étaient munis de vivres et équipés de télégraphie sans fil, etc. [23] La manœuvre se fit, la flotte s’embossa à quelques encablures de Tsarkoïé-Selo, et des observateurs furent placés sur les hauteurs de Poulkovo pour diriger le tir, mais la retraite soudaine des troupes de Kérensky rendit ce déploiement inutile.
Il est difficile de juger de la pertinence militaire des décisions de Lénine [24]. Le témoignage de Trotski sur ce point est souvent suspect, qui a la faiblesse de monter en épingle des prétendus "erreurs de jugements militaires" de Lénine pour se donner le beau rôle.
L’activité militaire de Lénine consiste pour l’essentiel à rassembler des moyens, galvaniser les énergies, envoyer les bonnes personnes aux bons endroits, et passer un savon à qui de droit. Un bon exemple en est le télégramme à Goussev [25] du 16 septembre 1919 : « En réalité, c’est l’immobilisme qui règne chez nous, et presque l’effondrement. Sur le front de Sibérie, on a placé une sorte de fripouille, Olderogge, et ce froussard de Posern, et on "s’est calmé" ; c’est véritablement infâme ! Et nous commençons à nous faire battre ! Nous en rendrons responsable le Conseil de Guerre Révolutionnaire de la République s’il n’agit pas énergiquement ! C’est une honte de laisser la victoire échapper de nos mains.
Immobilisme avec Marmontov. Apparemment un retard après l’autre. Retard des troupes se rendant au Nord, à Voronej. Retard dans l’acheminement de la 21e division vers le Sud. Retard pour la livraison des fusils-mitrailleurs. Retard dans le Service de Renseignements. (...) Le résultat, c’est l’immobilisme, tant avec Marmontov qu’avec Selivatchov (au lieu des victoires attendues de jour en jour, comme on les promettait dans les dessins enfantins – vous souvenez-vous, vous m’aviez montré ces dessins et j’avais dit : "On a oublié l’adversaire !" [26]). Si Selivatchov s’échappe ou si son chef de division trahit, le Conseil de Guerre Révolutionnaire de la République en sera la cause, car il dormait et rassurait tout le monde, mais n’a pas fait le nécessaire. Il faut envoyer dans le Sud les meilleurs commissaires, les plus énergiques et pas des bonnets de nuit.
Nous nous mettons en retard pour la formation des divisions. Nous laissons passer l’automne, mais, pendant ce temps-là, Denikine triplera ses forces il recevra des tanks, etc., etc. Cela ne peut pas continuer ainsi. Il faut se débarrasser de cette façon somnolente de travailler et passer à une allure vivante. » [27]
Dans un passage également recopié par Lénine, Clausewitz écrit que « là où se rencontreront cette énergie et cette force morale unies à une sage modération dans les résultats recherchés, là on verra généralement se produire cette alternative de brillants combats et d’opportune circonspection que l’on admire avec tant de raison dans les campagnes du grand Frédéric. » [28] C’est de cet équilibre de qualités dont Lénine fait alors preuve : l’audace lors du déclenchement de l’insurrection d’octobre, la prudence lors des négociations de paix de Brest Litovsk. Et si l’on voit Lénine pousser les commandants et les commissaires à faire preuve d’initiative, d’audace et de combativité, il ne les pousse jamais à l’imprudence – tant il est vrai que la témérité comme l’inertie sont les manifestations jumelles de ce manque de sérieux qu’il exécrait. La preuve en est ce télégramme envoyé à Trotski le 3 juin 1920 à propos d’un plan d’offensive : « C’est manifestement une utopie. Cela ne coûtera-t-il pas trop de victimes ? Nous conduirons d’innombrables soldats à la mort. Il faut réfléchir dix fois et évaluer ; je propose la réponse suivante à Staline : « Votre proposition sur l’attaque de la Crimée est si grave qu’il nous faut disposer de plus amples informations et réfléchir très sérieusement. Attendez notre réponse. Lénine : Trotsky : » [29]
4.4. L’attaque et la
défense
Clausewitz
remarque, dans des passages amplement annotés par Lénine, qu’il
est plus facile de conserver que de prendre, que la défensive est la
forme la plus forte de la guerre. Si l’offensive, en plus d’avoir
une fin positive (la conquête d’une province par exemple), était
en soi supérieure à la défensive, aucun belligérant n’adopterait
la défensive. Qui poursuit une fin positive ne peut faire l’économie
de l’offensive et doit donc se donner des moyens supérieurs à
ceux de l’ennemi pour compenser la supériorité inhérente à la
défensive. Quand on est inférieur à l’ennemi, ce choix de la
défensive permet en lui-même de combler, en partie ou totalement,
cette infériorité.
Le défenseur profite de tous les événements imprévus, du temps, de l’usure de l’ennemi. L’attaquant a certes l’avantage de la surprise globale (ainsi du choix du moment de la guerre), mais le défenseur peut bénéficier de la surprise au niveau tactique. Le défenseur a l’avantage du terrain : il le connaît, s’y est installé, en occupe les forteresses et les points les plus avantageux, il peut adopter une position enveloppée qui lui permet de jouer les lignes intérieures, etc. La position du défenseur s’use moins vite que celle de l’attaquant, le défenseur bénéficie de l’aide de la population, il bénéficie des sympathies et des avantages moraux qui résultent de son statut d’agressé.
Certains avantages intrinsèques de la défense opèrent avant même que le défenseur se retire dans la profondeur de son territoire, mais ils augmentent à raison de la profondeur du repli. Comme ce repli est coûteux (puisqu’il implique un abandon de territoire), il ne doit être choisi que lorsque le déséquilibre initial des forces est tel qu’il est besoin de tous les avantages de la défense pour y pallier. Le défenseur, selon l’importance de ce déséquilibre, peut choisir d’affronter l’ennemi lorsque celui-ci passe la frontière. S’il n’est pas assez fort pour cela, il peut choisir d’attendre encore et d’affronter l’attaquant lorsque celui-ci a pénétré son territoire jusqu’au point d’arriver à la position choisie pour mener la bataille à son avantage (sur une ligne de fleuve par exemple). Il peut également, s’il s’estime encore trop faible, attendre que l’ennemi l’attaque sur cette position. Si le déséquilibre est encore trop fort pour permettre ce choix, le défenseur peut prolonger sa position d’attente jusqu’à ce que l’offensive ennemie atteigne son point culminant. Défense ne signifie passivité : le défenseur, gardant l’initiative, peut en retraitant multiplier les combats, déclencher la guérilla sur les arrières ennemis, etc.
En 1918, Lénine va appliquer cette doctrine point par point. Il avait été un farouche adversaire de la « guerre révolutionnaire » contre l’Allemagne en 1918. Mais son opposition était minoritaire dans le parti : La moitié des bolcheviques voulaient la guerre, un quart la paix, un quart le « ni guerre ni paix » préconisé par Trotski. Celui-ci imposa sa ligne aux pourparlers, provoquant leur rupture et une nouvelle offensive allemande désastreuse pour la Russie soviétique. Le 3 mars 1918, celle-ci dut signer le Traité de Brest-Litovsk par lequel l’Allemagne s’emparait de la Pologne et des Etats baltes et imposait l’indépendance de l’Ukraine, de la Finlande, et des trois républiques transcaucasiennes. La création de l’Armée rouge le 15 janvier 1918 avait bien permis de premières victoires sur les armées blanches dans l’Oural, sur le Don, le Donetz, le Kouban et en Crimée, mais en mai 1918 (à l’appel des nationalistes bourgeois menacés par le développement des mouvements révolutionnaires ukrainien et finlandais), les armées allemande et autrichienne pénétraient irrésistiblement en Ukraine et en Finlande. « Devenus les représentants de la classe dominante qui a commencé à organiser le socialisme, nous exigeons de tous une attitude sérieuse envers la défense du pays. Et cette attitude sérieuse consiste à se préparer activement à la défense du pays et à tenir rigoureusement compte du rapport des forces. S’il est évident que nos forces sont insuffisantes, la retraite au cœur du pays est le principal moyen de défense (celui qui voudrait ne voir là qu’une formule de circonstance, forgée pour les besoins de la cause, peut lire chez le vieux Clausewitz, l’un des grands écrivains militaires, le bilan des enseignements de l’histoire qu’il dégage à ce propos). (...) Notre devoir devient de mesurer avec la plus grande prudence nos forces, d’examiner minutieusement les possibilités de recevoir à temps du renfort de notre allié (le prolétariat international). L’intérêt du capital est de battre son ennemi (le prolétariat révolutionnaire) par parties, tant que les pays ne se sont pas encore unis (dans l’action, c’est-à-dire en commençant la révolution). Notre intérêt à nous est de faire tout notre possible, d’utiliser toutes les chances, aussi minimes soient-elles, pour différer la bataille décisive jusqu’au moment (ou "jusqu’après" le moment) où se produira cette fusion des détachements révolutionnaires au sein de la grande et indivisible armée internationale. » [30]
Lénine écrit donc ces lignes au moment où le rapport de forces est largement en défaveur du pouvoir soviétique : les armées allemande et (dans une moindre mesure) austro-hongroise sont nettement plus fortes, mieux armées, plus aguerries et mieux encadrées que la jeune Armée rouge. La guerre révolutionnaire contre l’Allemagne avait été du pur volontarisme, ce que son premier partisan, Boukharine, reconnaîtra dix ans plus tard [31].
En appliquant le principe de la retraite au cœur du territoire, Lénine a opté pour la forme supérieure de la défensive. Cette défensive permettra à la révolution de développer ses forces (l’Armée rouge est en pleine formation), que l’Armée rouge pourra jouer les lignes intérieures (on pourra envoyer les unités du nord au sud, de l’est à l’ouest selon les besoins et les priorités, et ainsi obtenir tour à tour la supériorité voulue pour remporter une bataille décisive), que les forces allemandes s’éloignent de leurs bases de ravitaillement et qu’elles s’exposent de plus en plus à l’intense activité des partisans rouges d’Ukraine, — et que les thèses pacifistes et révolutionnaires se propagent en Allemagne et dans l’armée allemande. Lénine compte essentiellement sur ce dernier facteur. En janvier 1918 des grèves politiques révolutionnaires, avec création de soviets ouvriers, avaient déjà éclaté à Berlin, Vienne, Hambourg, Kiel, Düsseldorf, Leipzig, Essling et ailleurs, mais ce n’est qu’en novembre que la vague révolutionnaire embrase l’Allemagne : plus de 10.000 soviets d’ouvriers et de soldats s’y constituent et se rendent maîtres de Berlin. La révolution sera écrasée mais ses effets, conjugués à ceux de l’armistice, entraîneront le retrait des troupes allemandes d’Ukraine et de Crimée.
Le défenseur profite de tous les événements imprévus, du temps, de l’usure de l’ennemi. L’attaquant a certes l’avantage de la surprise globale (ainsi du choix du moment de la guerre), mais le défenseur peut bénéficier de la surprise au niveau tactique. Le défenseur a l’avantage du terrain : il le connaît, s’y est installé, en occupe les forteresses et les points les plus avantageux, il peut adopter une position enveloppée qui lui permet de jouer les lignes intérieures, etc. La position du défenseur s’use moins vite que celle de l’attaquant, le défenseur bénéficie de l’aide de la population, il bénéficie des sympathies et des avantages moraux qui résultent de son statut d’agressé.
Certains avantages intrinsèques de la défense opèrent avant même que le défenseur se retire dans la profondeur de son territoire, mais ils augmentent à raison de la profondeur du repli. Comme ce repli est coûteux (puisqu’il implique un abandon de territoire), il ne doit être choisi que lorsque le déséquilibre initial des forces est tel qu’il est besoin de tous les avantages de la défense pour y pallier. Le défenseur, selon l’importance de ce déséquilibre, peut choisir d’affronter l’ennemi lorsque celui-ci passe la frontière. S’il n’est pas assez fort pour cela, il peut choisir d’attendre encore et d’affronter l’attaquant lorsque celui-ci a pénétré son territoire jusqu’au point d’arriver à la position choisie pour mener la bataille à son avantage (sur une ligne de fleuve par exemple). Il peut également, s’il s’estime encore trop faible, attendre que l’ennemi l’attaque sur cette position. Si le déséquilibre est encore trop fort pour permettre ce choix, le défenseur peut prolonger sa position d’attente jusqu’à ce que l’offensive ennemie atteigne son point culminant. Défense ne signifie passivité : le défenseur, gardant l’initiative, peut en retraitant multiplier les combats, déclencher la guérilla sur les arrières ennemis, etc.
En 1918, Lénine va appliquer cette doctrine point par point. Il avait été un farouche adversaire de la « guerre révolutionnaire » contre l’Allemagne en 1918. Mais son opposition était minoritaire dans le parti : La moitié des bolcheviques voulaient la guerre, un quart la paix, un quart le « ni guerre ni paix » préconisé par Trotski. Celui-ci imposa sa ligne aux pourparlers, provoquant leur rupture et une nouvelle offensive allemande désastreuse pour la Russie soviétique. Le 3 mars 1918, celle-ci dut signer le Traité de Brest-Litovsk par lequel l’Allemagne s’emparait de la Pologne et des Etats baltes et imposait l’indépendance de l’Ukraine, de la Finlande, et des trois républiques transcaucasiennes. La création de l’Armée rouge le 15 janvier 1918 avait bien permis de premières victoires sur les armées blanches dans l’Oural, sur le Don, le Donetz, le Kouban et en Crimée, mais en mai 1918 (à l’appel des nationalistes bourgeois menacés par le développement des mouvements révolutionnaires ukrainien et finlandais), les armées allemande et autrichienne pénétraient irrésistiblement en Ukraine et en Finlande. « Devenus les représentants de la classe dominante qui a commencé à organiser le socialisme, nous exigeons de tous une attitude sérieuse envers la défense du pays. Et cette attitude sérieuse consiste à se préparer activement à la défense du pays et à tenir rigoureusement compte du rapport des forces. S’il est évident que nos forces sont insuffisantes, la retraite au cœur du pays est le principal moyen de défense (celui qui voudrait ne voir là qu’une formule de circonstance, forgée pour les besoins de la cause, peut lire chez le vieux Clausewitz, l’un des grands écrivains militaires, le bilan des enseignements de l’histoire qu’il dégage à ce propos). (...) Notre devoir devient de mesurer avec la plus grande prudence nos forces, d’examiner minutieusement les possibilités de recevoir à temps du renfort de notre allié (le prolétariat international). L’intérêt du capital est de battre son ennemi (le prolétariat révolutionnaire) par parties, tant que les pays ne se sont pas encore unis (dans l’action, c’est-à-dire en commençant la révolution). Notre intérêt à nous est de faire tout notre possible, d’utiliser toutes les chances, aussi minimes soient-elles, pour différer la bataille décisive jusqu’au moment (ou "jusqu’après" le moment) où se produira cette fusion des détachements révolutionnaires au sein de la grande et indivisible armée internationale. » [30]
Lénine écrit donc ces lignes au moment où le rapport de forces est largement en défaveur du pouvoir soviétique : les armées allemande et (dans une moindre mesure) austro-hongroise sont nettement plus fortes, mieux armées, plus aguerries et mieux encadrées que la jeune Armée rouge. La guerre révolutionnaire contre l’Allemagne avait été du pur volontarisme, ce que son premier partisan, Boukharine, reconnaîtra dix ans plus tard [31].
En appliquant le principe de la retraite au cœur du territoire, Lénine a opté pour la forme supérieure de la défensive. Cette défensive permettra à la révolution de développer ses forces (l’Armée rouge est en pleine formation), que l’Armée rouge pourra jouer les lignes intérieures (on pourra envoyer les unités du nord au sud, de l’est à l’ouest selon les besoins et les priorités, et ainsi obtenir tour à tour la supériorité voulue pour remporter une bataille décisive), que les forces allemandes s’éloignent de leurs bases de ravitaillement et qu’elles s’exposent de plus en plus à l’intense activité des partisans rouges d’Ukraine, — et que les thèses pacifistes et révolutionnaires se propagent en Allemagne et dans l’armée allemande. Lénine compte essentiellement sur ce dernier facteur. En janvier 1918 des grèves politiques révolutionnaires, avec création de soviets ouvriers, avaient déjà éclaté à Berlin, Vienne, Hambourg, Kiel, Düsseldorf, Leipzig, Essling et ailleurs, mais ce n’est qu’en novembre que la vague révolutionnaire embrase l’Allemagne : plus de 10.000 soviets d’ouvriers et de soldats s’y constituent et se rendent maîtres de Berlin. La révolution sera écrasée mais ses effets, conjugués à ceux de l’armistice, entraîneront le retrait des troupes allemandes d’Ukraine et de Crimée.
4.5. Une "militarisation"
du marxisme ?
Le procès de "militarisation" du marxisme par
Lénine connaît deux réquisitoires.
1° Celui qui l’affirme inné, consubstantiel, comme chez Anibal Romero : « Pour Clausewitz, la politique n’exige pas nécessairement la guerre ; pour Lénine, la politique, c’est la lutte des classes, l’État n’est qu’un instrument d’oppression, et le triomphe du prolétariat - qui ne peut venir que d’un acte de force, la violence extrême devant conduire à l’élimination de l’État et finalement à la disparition de la politique elle-même. » [32]
2° Celui qui l’affirme acquis, historique, comme chez Jacob Kipp pour qui la "militarisation" du marxisme chez Lénine est une tendance, déclenchée par la guerre mondiale, la lecture de Clausewitz et la révolution d’Octobre, et trouvant son aboutissant en 1922-23 : « Lénine a accompli un cercle complet. La guerre et la politique se sont substituées l’une l’autre comme objet et sujet. Ici la politique est devenue la continuation de la guerre par d’autres moyens. La NEP a été un dispositif tactique pour rétablir l’économie nationale et regagner le soutien de la paysannerie face aux soulèvements armés de Kronstadt et de la région Tambov. » [33]
Kipp fait erreur en général et sur le calendrier en particulier, car la position de Lénine se “démilitarise” clairement à la fin de la guerre civile, comme en témoigne son rapport au XIe congrès du parti communiste (1922) : « Au stade précédent de notre révolution, alors que toute l’attention et toutes les forces étaient surtout attirées ou presque entièrement absorbées par la lutte contre l’envahisseur, nous ne pouvions nous occuper sérieusement de cette alliance [avec l’économie paysanne], nous avions autre chose à faire. Nous pouvions et nous devions jusqu’à un certain point négliger cette alliance, puisqu’une autre tâche, d’une urgence absolue, s’imposait directement à nous : écarter le danger d’être immédiatement étranglés par les forces gigantesques de l’impérialisme mondial. (…) Bâtir la société communiste par les mains des communistes est une idée puérile s’il en fut. Les communistes sont une goutte dans l’océan, une goutte dans l’océan populaire. (…) Mettre l’exploiteur hors d’état de nuire (...), nous avons appris à le faire pour l’essentiel. Il faut ici exercer une certaine pression, mais c’est facile. La deuxième partie de la victoire - pour bâtir le communisme par des mains non communistes, pour savoir faire pratiquement ce qu’on est tenu de faire, sur le plan économique -, consiste à trouver le contact avec l’économie paysanne, à satisfaire le paysan. » [34]
La guerre civile contre la bourgeoisie, pour la conquête du pouvoir d’État, est consubstantielle au léninisme, mais pas plus que le ralliement au prolétariat de la petite et moyenne paysannerie et de l’intelligentsia. Les ouvertures à ces classes et groupes sociaux sont tout autant politiques que les hostilités contre les hobereaux et les capitalistes. La paix avec les uns, la guerre avec les autres forment une politique générale, ils font également partie du projet léniniste [35] .
La bataille de Kronstadt et l’écrasement du soulèvement de Tambov ou de la Makhnovchtchina ont un caractère différent de la guerre contre les armées blanches et interventionnistes. Pour Lénine, dont la principale référence était la Commune de Paris, une guerre contre les forces des classes dominantes de l’ancien régime, contre des Versaillais, devait advenir.
Rien de tel avec Kronstadt, Tambov ou la Makhnovchtchina, qui sont des guerres "imposées" aux bolcheviques, dans le sens où, pour ainsi dire, elles n’étaient pas au programme. Bien entendu, les décisions des commissaires ont été déterminantes dans la genèse de ces conflits, et particulièrement la conscription et la prodrazverstka, la réquisition des excédents agricoles pour nourrir les villes, mais les bolcheviques pouvaient espérer ne pas avoir de pareilles guerres à mener. Si l’on excepte les agents de la contre-révolution qui ont jeté de l’huile sur le feu, les ennemis des bolcheviques à Kronstadt, à Tambov et en Ukraine étaient des groupes sociaux, à commencer par les paysans moyens [36], avec lesquels Lénine espérait l’alliance. Les insurgés se sont positionnés en ennemis du pouvoir soviétique parce qu’ils le percevaient, eux, comme force antagonique, et dès le moment où ils ont pris les armes, ils ont été traités en ennemis, mais la sévérité avec laquelle ils ont été réprimés [37] ne découle pas d’une politique générale antagonique.
Pour l’insurgé fusillé par une Tchéka, le distinguo est moyennement consolant, mais il est crucial pour la question théorique du rapport léniniste à la guerre. Alors que l’opposition à l’autocratie, aux grands propriétaires et aux capitalistes était jugée inconciliable, le pouvoir bolchevique prit des mesures pour ménager les intérêts de classe de la paysannerie moyenne : peu après l’écrasement de la révolte de Tambov le Conseil des commissaires remplaça la prodrazverstka par la prodnalog, un impôt fixe payable en nature (en grain) beaucoup plus acceptable par les paysans. Alors, même si Lénine recommandait la lecture de Clausewitz aux cadres du parti parce que la tactique politique et militaire étaient des domaines voisins [38] , même si la rhétorique reste guerrière [39] , en 1922, contrairement à la thèse de Kipp, la politique léniniste en Russie perd les caractères de la belligérance [40].
Réduire la politique léniniste à la guerre, c’est donc non seulement disqualifier tout ce qui vient avant la guerre (l’organisation et la conscientisation de la classe ouvrière au niveau national et international, l’organisation et l’unification des révolutionnaires autour d’un projet stratégique, le rapprochement des classes et groupes sociaux ayant un intérêt objectif au changement révolutionnaire, etc.) mais aussi tout ce qui vient après elle (l’organisation du nouveau pouvoir, le développement de nouveaux rapports sociaux, la réorganisation de la production et de l’aménagement du territoire, la révolution culturelle, etc.). Et si les objectifs de la politique pré-révolutionnaire doivent effectivement permettre de mener et gagner la guerre révolutionnaire, ils doivent aussi permettre de gagner la paix.
Selon Clausewitz, « on doit toujours considérer qu’avec la paix, la fin est atteinte, et l’affaire de la guerre terminée » [41], et c’est bien ainsi que Lénine l’entend : une fois l’ennemi de classe (réactionnaires russes et interventionnistes impérialistes) battu, la politique, c’est la construction pacifique du socialisme. Cette construction est aussi une lutte : lutte pour la production, pour la culture, pour l’amélioration des rapports sociaux et de la conscience sociale, lutte contre la paresse, la négligence, l’égoïsme, la routine et la bureaucratie et ce que Lénine désignait comme "oblomovisme". Mais ces luttes ne sont en rien des guerres. C’est bien la paix (qui prend ici la forme de la construction du socialisme) qui est, conformément aux conceptions clausewitziennes, la vérité de la guerre léniniste.
Il n’en va différemment qu’en politique étrangère. Au VIIIe Congrès du Parti bolchevique. Parlant des offres de paix que Lyoyd Georges et Woodrow Wilson venaient de faire au Kremlin, Lénine pria les sténographes de poser leur crayon pour qu’il pût dire, sans crainte d’indiscrétion, ce qu’il en pensait. Pour Lénine, ces offres étaient dictées par l’échec de l’intervention militaire en Russie et par l’effervescence révolutionnaire en Europe et non par le désir de trouver un modus vivendi avec les bolcheviques [42]. Pour Lénine, la contradiction avec les États bourgeois est antagonique ; l’acharnement des interventionnistes a montré toute leur hostilité envers le premier État socialiste. Si l’épuisement, les contradictions internes (mutineries, grèves, etc.) et l’effondrement des Blancs les ont fait renoncer à l’intervention, ils n’ont pas mis fin à l’hostilité. La paix, les traités internationaux, ne sont dès lors qu’une guerre différée. Peu importe ici que l’outil de la guerre révolutionnaire soit le prolétariat indigène insurgé ou l’Armée rouge : la politique internationale léniniste est une politique de guerre tempérée par la conviction que les contradictions internes de l’ennemi joueront le plus grand rôle dans sa défaite. Lénine ne croyait pas possible l’instauration de rapports normaux entre la Russie soviétique et les États capitalistes, il était de ceux qui, comme Wynn Catlin, conçoivent la diplomatie comme l’art de dire “gentil toutou” en cherchant de l’œil une bonne pierre...
1° Celui qui l’affirme inné, consubstantiel, comme chez Anibal Romero : « Pour Clausewitz, la politique n’exige pas nécessairement la guerre ; pour Lénine, la politique, c’est la lutte des classes, l’État n’est qu’un instrument d’oppression, et le triomphe du prolétariat - qui ne peut venir que d’un acte de force, la violence extrême devant conduire à l’élimination de l’État et finalement à la disparition de la politique elle-même. » [32]
2° Celui qui l’affirme acquis, historique, comme chez Jacob Kipp pour qui la "militarisation" du marxisme chez Lénine est une tendance, déclenchée par la guerre mondiale, la lecture de Clausewitz et la révolution d’Octobre, et trouvant son aboutissant en 1922-23 : « Lénine a accompli un cercle complet. La guerre et la politique se sont substituées l’une l’autre comme objet et sujet. Ici la politique est devenue la continuation de la guerre par d’autres moyens. La NEP a été un dispositif tactique pour rétablir l’économie nationale et regagner le soutien de la paysannerie face aux soulèvements armés de Kronstadt et de la région Tambov. » [33]
Kipp fait erreur en général et sur le calendrier en particulier, car la position de Lénine se “démilitarise” clairement à la fin de la guerre civile, comme en témoigne son rapport au XIe congrès du parti communiste (1922) : « Au stade précédent de notre révolution, alors que toute l’attention et toutes les forces étaient surtout attirées ou presque entièrement absorbées par la lutte contre l’envahisseur, nous ne pouvions nous occuper sérieusement de cette alliance [avec l’économie paysanne], nous avions autre chose à faire. Nous pouvions et nous devions jusqu’à un certain point négliger cette alliance, puisqu’une autre tâche, d’une urgence absolue, s’imposait directement à nous : écarter le danger d’être immédiatement étranglés par les forces gigantesques de l’impérialisme mondial. (…) Bâtir la société communiste par les mains des communistes est une idée puérile s’il en fut. Les communistes sont une goutte dans l’océan, une goutte dans l’océan populaire. (…) Mettre l’exploiteur hors d’état de nuire (...), nous avons appris à le faire pour l’essentiel. Il faut ici exercer une certaine pression, mais c’est facile. La deuxième partie de la victoire - pour bâtir le communisme par des mains non communistes, pour savoir faire pratiquement ce qu’on est tenu de faire, sur le plan économique -, consiste à trouver le contact avec l’économie paysanne, à satisfaire le paysan. » [34]
La guerre civile contre la bourgeoisie, pour la conquête du pouvoir d’État, est consubstantielle au léninisme, mais pas plus que le ralliement au prolétariat de la petite et moyenne paysannerie et de l’intelligentsia. Les ouvertures à ces classes et groupes sociaux sont tout autant politiques que les hostilités contre les hobereaux et les capitalistes. La paix avec les uns, la guerre avec les autres forment une politique générale, ils font également partie du projet léniniste [35] .
La bataille de Kronstadt et l’écrasement du soulèvement de Tambov ou de la Makhnovchtchina ont un caractère différent de la guerre contre les armées blanches et interventionnistes. Pour Lénine, dont la principale référence était la Commune de Paris, une guerre contre les forces des classes dominantes de l’ancien régime, contre des Versaillais, devait advenir.
Rien de tel avec Kronstadt, Tambov ou la Makhnovchtchina, qui sont des guerres "imposées" aux bolcheviques, dans le sens où, pour ainsi dire, elles n’étaient pas au programme. Bien entendu, les décisions des commissaires ont été déterminantes dans la genèse de ces conflits, et particulièrement la conscription et la prodrazverstka, la réquisition des excédents agricoles pour nourrir les villes, mais les bolcheviques pouvaient espérer ne pas avoir de pareilles guerres à mener. Si l’on excepte les agents de la contre-révolution qui ont jeté de l’huile sur le feu, les ennemis des bolcheviques à Kronstadt, à Tambov et en Ukraine étaient des groupes sociaux, à commencer par les paysans moyens [36], avec lesquels Lénine espérait l’alliance. Les insurgés se sont positionnés en ennemis du pouvoir soviétique parce qu’ils le percevaient, eux, comme force antagonique, et dès le moment où ils ont pris les armes, ils ont été traités en ennemis, mais la sévérité avec laquelle ils ont été réprimés [37] ne découle pas d’une politique générale antagonique.
Pour l’insurgé fusillé par une Tchéka, le distinguo est moyennement consolant, mais il est crucial pour la question théorique du rapport léniniste à la guerre. Alors que l’opposition à l’autocratie, aux grands propriétaires et aux capitalistes était jugée inconciliable, le pouvoir bolchevique prit des mesures pour ménager les intérêts de classe de la paysannerie moyenne : peu après l’écrasement de la révolte de Tambov le Conseil des commissaires remplaça la prodrazverstka par la prodnalog, un impôt fixe payable en nature (en grain) beaucoup plus acceptable par les paysans. Alors, même si Lénine recommandait la lecture de Clausewitz aux cadres du parti parce que la tactique politique et militaire étaient des domaines voisins [38] , même si la rhétorique reste guerrière [39] , en 1922, contrairement à la thèse de Kipp, la politique léniniste en Russie perd les caractères de la belligérance [40].
Réduire la politique léniniste à la guerre, c’est donc non seulement disqualifier tout ce qui vient avant la guerre (l’organisation et la conscientisation de la classe ouvrière au niveau national et international, l’organisation et l’unification des révolutionnaires autour d’un projet stratégique, le rapprochement des classes et groupes sociaux ayant un intérêt objectif au changement révolutionnaire, etc.) mais aussi tout ce qui vient après elle (l’organisation du nouveau pouvoir, le développement de nouveaux rapports sociaux, la réorganisation de la production et de l’aménagement du territoire, la révolution culturelle, etc.). Et si les objectifs de la politique pré-révolutionnaire doivent effectivement permettre de mener et gagner la guerre révolutionnaire, ils doivent aussi permettre de gagner la paix.
Selon Clausewitz, « on doit toujours considérer qu’avec la paix, la fin est atteinte, et l’affaire de la guerre terminée » [41], et c’est bien ainsi que Lénine l’entend : une fois l’ennemi de classe (réactionnaires russes et interventionnistes impérialistes) battu, la politique, c’est la construction pacifique du socialisme. Cette construction est aussi une lutte : lutte pour la production, pour la culture, pour l’amélioration des rapports sociaux et de la conscience sociale, lutte contre la paresse, la négligence, l’égoïsme, la routine et la bureaucratie et ce que Lénine désignait comme "oblomovisme". Mais ces luttes ne sont en rien des guerres. C’est bien la paix (qui prend ici la forme de la construction du socialisme) qui est, conformément aux conceptions clausewitziennes, la vérité de la guerre léniniste.
Il n’en va différemment qu’en politique étrangère. Au VIIIe Congrès du Parti bolchevique. Parlant des offres de paix que Lyoyd Georges et Woodrow Wilson venaient de faire au Kremlin, Lénine pria les sténographes de poser leur crayon pour qu’il pût dire, sans crainte d’indiscrétion, ce qu’il en pensait. Pour Lénine, ces offres étaient dictées par l’échec de l’intervention militaire en Russie et par l’effervescence révolutionnaire en Europe et non par le désir de trouver un modus vivendi avec les bolcheviques [42]. Pour Lénine, la contradiction avec les États bourgeois est antagonique ; l’acharnement des interventionnistes a montré toute leur hostilité envers le premier État socialiste. Si l’épuisement, les contradictions internes (mutineries, grèves, etc.) et l’effondrement des Blancs les ont fait renoncer à l’intervention, ils n’ont pas mis fin à l’hostilité. La paix, les traités internationaux, ne sont dès lors qu’une guerre différée. Peu importe ici que l’outil de la guerre révolutionnaire soit le prolétariat indigène insurgé ou l’Armée rouge : la politique internationale léniniste est une politique de guerre tempérée par la conviction que les contradictions internes de l’ennemi joueront le plus grand rôle dans sa défaite. Lénine ne croyait pas possible l’instauration de rapports normaux entre la Russie soviétique et les États capitalistes, il était de ceux qui, comme Wynn Catlin, conçoivent la diplomatie comme l’art de dire “gentil toutou” en cherchant de l’œil une bonne pierre...
Je vous remercie de votre
attention.
Sommaire de l’article
complet
Introduction :
Lénine et Clausewitz
Première
partie : La théorie des guerres
1.1. La guerre comme
instrument politique
1.2. Guerre et antagonisme
1.3. La guerre comme objet historique
1.4. La montée aux extrêmes et la trinité clausewitzienne
1.5. Lénine et quelques autres aspects de la pensée clausewitzienne
1.2. Guerre et antagonisme
1.3. La guerre comme objet historique
1.4. La montée aux extrêmes et la trinité clausewitzienne
1.5. Lénine et quelques autres aspects de la pensée clausewitzienne
2e
partie : Guerre impérialiste, guerre de libération
2.1. Le caractère de
classe de la guerre
2.2. Le sujet politique de la guerre
2.3. Guerre juste, guerre injuste,
2.4. Guerre de libération nationale
2.2. Le sujet politique de la guerre
2.3. Guerre juste, guerre injuste,
2.4. Guerre de libération nationale
3e
partie : Guerre et révolution
3.1. Guerre et
révolution
3.2. Le Chemin du pouvoir de Kautsky
3.3. La transformation de la guerre impérialiste en guerre civile
3.2. Le Chemin du pouvoir de Kautsky
3.3. La transformation de la guerre impérialiste en guerre civile
4e
partie : La guerre révolutionnaire
4.1. L’insurrection
4.2. La guerre des partisans
4.3. Lénine chef de guerre
4.4. L’attaque et la défense
4.5. Une "militarisation" du marxisme ?
4.2. La guerre des partisans
4.3. Lénine chef de guerre
4.4. L’attaque et la défense
4.5. Une "militarisation" du marxisme ?
[1] Voir en ligne :
http://www.vp-partisan.org/article29.html
[2] http://www.agota.be/t.derbent/articles/Zimmerwald_FR.pdf
[3] Lénine :
Lettre au comité de combat près le Comité de Saint-Pétersbourg,
in Œuvres complètes, tome 9, Paris-Moscou, 1966, pages 356-357.
[4] Citée dans la
préface de B. Ponomarev à La lutte des partisans selon les auteurs
classiques du marxisme-léninisme, Éditions en langues étrangères,
Moscou, 1945, page 5.
[5] Institut de
Marxisme-Léninisme près le C.C. du P.C.U.S. : Lénine :
Vie et œuvre, Éditions du Progrès, Moscou, 1983, page 118.
[6] Créé à Moscou
fin octobre 1905 pour résister aux Cent Noirs, il regroupait
les représentants des groupes de combat du parti du Comité de
Moscou du POSDR, du groupe social-démocrate de Moscou, du Comité
de Moscou du parti socialiste-révolutionnaire, ainsi que d’autres
groupes de combat. Il était contrôlé par les socialistes
révolutionnaires et les mencheviques.
[7] C’est dans les
n°3 et 4 des Cahiers du Social-Démocrate qu’il éditait à
Genève que Plékhanov émit ces jugements, condamnant
l’insurrection et appelant à « accorder une attention plus
soutenue au mouvement syndical des ouvriers ».
[8] Lénine :
Les enseignements de l’insurrection de Moscou, in Œuvres
complètes, tome 11, Paris-Moscou, 1966, pages 172-173.
[9] « Les
équipes de volontaires, de droujinniki, pour employer une
appellation que les grandes journées de décembre, à Moscou, ont
rendu glorieuse, seront d’une immense utilité au moment de
l’explosion. Tel groupe sachant tirer désarmera un agent de
police, tombera sur une patrouille et lui prendra ses armes. Telle
unité, non instruite au maniement du fusil ou n’ayant pas réussi
à se procurer des armes, aidera à construire des barricades, à
pousser des reconnaissances, à établir des liaisons, à surprendre
l’ennemi dans des embuscades, à incendier l’édifice où
l’adversaire se serait retranché, à occuper des appartements qui
pourraient servir de base aux insurgés ; en un mot, des
milliers de fonctions très diverses seront remplies par des équipes
de volontaires bien décidées à lutter sans merci, connaissant
parfaitement la topographie locale et liées très étroitement avec
la population », La dissolution de la Douma et les tâches du
prolétariat, in Œuvres complètes, tome 11, Paris-Moscou, 1966,
page 123.
[10] « La
tactique militaire dépend du niveau de la technique militaire –
c’est Engels qui a répété cette vérité et l’a mise toute
mâchée dans la bouche des marxistes. La technique militaire n’est
plus ce qu’elle était au milieu du XIXe siècle. Opposer la foule
à l’artillerie et défendre les barricades avec des revolvers
serait une sottise. (...) La technique militaire, en ces tout
derniers temps, enregistre de nouveaux progrès. La guerre japonaise
a fait apparaître la grenade à main. Les manufactures d’armes
ont jeté sur le marché le fusil automatique. L’une et l’autre
sont déjà employées avec succès dans la révolution russe, mais
dans des proportions qui sont loin d’être suffisantes. Nous
pouvons et devons profiter des perfectionnements techniques,
apprendre aux détachements ouvriers la fabrication en grand des
bombes, les aider, ainsi que nos groupes de combat, à se pourvoir
d’explosifs, d’amorces et de fusils automatiques. » Les
enseignements de l’insurrection de Moscou, op. cit., pages
176-177.
[11] « Si la
révolution ne gagne pas les masses et l’armée elle-même, il ne
saurait être question de lutte sérieuse. Mais il ne faut pas se
figurer cette volte-face de la troupe comme un acte simple et isolé,
résultant de la persuasion, d’une part, et du réveil de la
conscience, de l’autre. L’insurrection de Moscou montre à
l’évidence ce que cette conception a de routinier et de stérile.
En réalité, l’indécision de la troupe, inévitable dans tout
mouvement vraiment populaire, conduit, lorsque la lutte
révolutionnaire s’accentue, à une véritable lutte pour la
conquête de l’armée. » Les enseignements de l’insurrection
de Moscou, op. cit., pages 173.
[12] Emelian
Iaroslavski : Vladimir Ilitch dirige les activités combatives
du Parti (Une page d’histoire des organisations militaires et de
combat de notre parti), in Lénine tel qu’il fut : Souvenirs
de contemporains, tome 1, Éditions en langues étrangères, Moscou,
1958, pages 465-466.
[13] Léonid
Krassine (1870-1926), dirigeant de la révolution de 1905 à
Saint-Petersbourg, ingénieur de profession, il avait organisé
l’atelier clandestin de fabrication de bombes à Moscou. Il
dirigea l’organisation combattante bolchevique, organisant
notamment de grandes expropriations, jusqu’à son arrestation en
1908. Après la révolution, il sera commissaire du peuple au
commerce extérieur.
[14] Alexandre
Bogdanov (1873-1928), militant bolchevique, il avait participé
à la révolution de 1905. Ses thèses philosophiques seront
vivement critiquées par Lénine en 1911.Il sera le fondateur, en
1918, du Proletkult.
[15] Lénine :
Plate-forme tactique pour le congrès d’unification du P.O.S.D.R.,
in Œuvres Complètes, tome 10, Paris-Moscou, 1967, pages 156-157.
[16] Lénine :
La guerre des partisans, in Œuvres complètes, tome 11,
Paris-Moscou, 1966, pages 221 et 225-226.
[17] « Lénine
n’était pas un chef de guerre. Durant les années de guerre
civile qui suivirent la Révolution, jamais il ne songera à remplir
les fonctions ni à affecter la pose d’un généralissime.
Contrairement à Trotski ou à Staline l’uniforme ne l’intéresse
pas, et il ne prétend pas être à même de porter un jugement
technique sur les affaires militaires. » Adam B. Ulam :
Les bolcheviques, Fayard, collection L’Histoire sans frontière,
Paris, 1973, page 283.
[18] S Général-Major
N. Pankratov : Lénine, chef de la défense de la patrie
socialiste, in Revue Militaire Soviétique n°10 (octobre) 1978,
page 4.
[19] C’étaient
tous les deux d’anciens colonels tsaristes. Kamenev rapporta
lui-même avoir été rabroué par Lénine le jour où il s’était
aventuré à lui faire remarquer la beauté de la manoeuvre
projetée. Lénine lui dit sèchement que son travail consistait à
battre l’ennemi, qu’il le fît artistiquement ou non ne
présentant aucun intérêt...
[20] Ainsi lorsque
Lénine ordonna aux ouvriers de l’usine Poutilov de blinder et
d’armer des trains et de les amener au front. Cependant, tempère
Podvoïski, « Il est vrai que ces ordres ne concernaient ni
les opérations, ni les unités militaires, mais seulement la
mobilisation de "tout et tous" pour la défense. Mais ce
parallélisme du travail n’énervait terriblement. » Nicolai
Podovoiski ; Les journées d’Octobre, in Lénine tel qu’il
fut : Souvenirs de contemporains, tome 1, op. cit., page 751.
[21] L. Vakhraméev :
Dans les premiers jours d’Octobre, in Lénine tel qu’il fut :
Souvenirs de contemporains, tome 1, op. cit., pages 748.
[22] Raslkolnikov :
La Révolution d’Octobre, in Lénine en Octobre 1917, Bureau
d’Éditions, Paris, 1934, page 33.
[23] N. Izmaïlov :
Le Comité central de la flotte de la Baltique (Centrobalte) aux
jours de l’insurrection, in L’insurrection armée d’Octobre à
Pétrograd : Souvenirs des révolutionnaires, Éditions en
langues étrangères, Moscou, 1958, pages 397-402. Son récit
diverge des précédents en ce qu’il n’aurait pas été du
croiseur Oleg mais du cuirassé Respoublika (ci-devant Empereur Paul
1er) – ce n’est qu’en raison du tirant d’eau trop important
de celui-ci que le croiseur Oleg aurait finalement été choisi.
[24] Les
publications soviétiques les présentent toutes, naturellement,
comme judicieuses, voire décisives, ainsi quand Kedrov, qui
commandait sur le front d’Arkhangelsk, commente l’envoi, sur
ordre direct et personnel de Lénine, d’une batterie d’artillerie
lourde à Kotlas. Cf. M. Kedrov : Guide de l’Armée
rouge, in Lénine et les forces armées de l’URSS, supplément au
n°12 (décembre 1979) de la Revue Militaire Soviétique, page 4.
[25] Sergei
Ivanivitch Goussev (1874-1933). A participé aux révolutions de
1905 et 1917, membre du Comité militaire de Petrograd en 1917 puis
du Conseil de Guerre Révolutionnaire de la République. C’était
un des principaux dirigeants politiques de l’Armée rouge.
[26] Ironie au fond
typiquement clausewitzien.
[27] Lénine :
Télégrammes 1918-20, éditions Alain Moreau, Paris, 1971, pages
101-102 (ce télégramme ne figure pas dans les Œuvres complètes).
[28] De la guerre,
op. cit., page 340, Notes de Lénine sur Clausewitz, op. cit., page
142.
[29] Lénine :
Télégrammes 1918-20, op. cit., page 137 (ce télégramme figure
sous une traduction différente dans le tome 44 des Œuvres
complètes, Paris-Moscou, 1970, pages 386-387).
[30] Lénine :
Sur l’infantilisme "de gauche" et les idées
petites-bourgeoises, op. cit. , pages 700-701.
[31] « Les
fardeaux externes, les très grandes difficultés à l’intérieur,
tout cela, nous semblait-il, devait être tranché par le sabre de
la guerre révolutionnaire ». Cité par Christian Salmon in Le
rêve mathématique de Nicolaï Boukharine, Le Sycomore, collection
Contradictions, Paris, 1980, page 116.
[32] Aníbal
Romero : Lenín y la militarización del marxismo, Universidad
Simón Bolívar, Caracas 1983, (page 4 du .pdf disponible sur le
site d’Anibal Romero, traduction maison). Pour Romero cette
"militarisation" procède du rejet de la "voie
pacifique" comme réformiste et concerne donc aussi Mao Zedong
voire, dans la mesure où il utilise la catégorie de la guerre,
Gramsci (idem, page 40). Dans un autre document, il y ajoute Staline
(Aníbal Romero : Aproximación a la Política, Universidad
Simón Bolívar, Instituto de Altos Estudios de América Latina,
Caracas, 1990, même site, autre pdf, page 84).
[33] Kipp :
Lenin and Clausewitz : The Militarization of Marxism,
1914-1921. revue Military Affairs, octobre 1985, page 189,
traduction maison, article disponible sur le net.
[34] Lénine :
Rapport politique du Comité Central du P.C.(b)R. au XIe Congrès du
P.C. (b)R., le 27 mars 1922., in Œuvres Complètes, tome 33,
Paris-Moscou, 1963, pages 271-296.
[35] On pourrait
objecter que l’ouverture de Lénine vers les paysans et
l’intelligentsia est dictée par des impératifs stratégiques (le
prolétariat ayant besoin d’alliés dans la guerre civile), mais
cet intérêt va bien au-delà. Lénine cultive l’alliance de la
paysannerie et de l’intelligentsia dans la perspective de la
construction pacifique de la société nouvelle. Quand Lénine
s’emploie à mettre l’intelligentsia au service d’une
révolution culturelle, et à aider toutes les forces culturelles
émergentes des masses, il ne le fait pas pour que l’Armée rouge
ait des recrues plus instruites. C’est un des moyens qu’il juge
nécessaire à l’édification socialiste.
[36] Selon les
catégories en usage : les paysans assez aisés pour vivre de
leur terre et de leur bétail, mais pas assez pour employer de la
main d’œuvre salariée.
[37] Des armes
chimiques ont été massivement utilisées contre les insurgés de
Tambov.
[38] C’est W.
Sorine qui, dans son article Marxisme, tactique, Lénine, paru dans
le n° 1 de la Pravda de l’année 1928, avait cité une
remarque de Lénine qu’il avait entendue : « La
tactique politique et la tactique militaire représentent quelque
chose que l’on appelle en allemand ‘Grenzgebiet’ [un domaine
frontière], et les militants du parti étudieraient avec beaucoup
de profit les travaux du grand théoricien de guerre allemand
Clausewitz. »
[39] Lénine compare
par exemple, dans le rapport déjà cité, le régime économique de
la NEP à une retraite : « La retraite s’est effectuée,
d’une façon générale, en assez bon ordre, bien que des voix
paniques, au nombre desquelles figurait l’"opposition
ouvrière" (...) aient provoqué chez nous des défections
partielles, des violations de la discipline et des principes d’une
retraite régulière. La chose la plus dangereuse pendant la
retraite, c’est la panique. Si toute l’armée (je parle ici au
sens figuré) se replie, le moral ne saurait être celui qui règne
quand tous marchent de l’avant. » (page 285).
[40] Elle la
retrouvera en partie avec la relance de la lutte des classes dans
les campagnes suite à la crise céréalière 1928, qui entraîna
l’escalade de la grève des emblavures et de la collectivisation
forcée.
[41] De la guerre,
op. cit., page 56.
[42] Cf. Marcel
Body : Les groupes communistes français de Russie 1918-1921.
In Contributions à l’histoire du Comintern, (sous la direction de
Jacques Freymond), Publication de l’Institut Universitaire de
Hautes Études Internationales n°45, Librairie Droz, Genève, 1965,
page 51.
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