publiè par nouvelle epoque
Les Antilles connaissent depuis plusieurs jours des révoltes quasi-insurrectionnelles. Il ne s’agit pas uniquement de protestations contre le pass sanitaire, de la même manière que les Gilets Jaunes ne se sont pas révoltés uniquement contre la hausse du prix du carburant, contrairement à ce que laissent entendre certains médias.
Il s’agit d’une révolte de masse causée par les conditions toujours plus dures de la vie sous l’impérialisme et particulièrement dans les derniers lambeaux de colonies directes que “possède” l’Etat français.
Les Antilles françaises – Guadeloupe et Martinique – sont des colonies établies par la France dont l’histoire est intimement liée à l’exploitation humaine, d’abord par la déportation d’esclaves, puis par l’apport de main-d’oeuvre coloniale d’Afrique, mais aussi d’Asie.
Une poignée de grands propriétaires fonciers, appelés békés, concentrent la grande majorité des terres agricoles utilisées pour l’exportation de bananes, sucre et rhum mais aussi tout le commerce de gros et détail. Ces îles, très longtemps dominées par le Pacte colonial n’ont jamais connu aucun processus d’industrialisation. Ainsi, aujourd’hui, la totalité des produits courants, les biens et les marchandises sont importés à grand frais depuis la Métropole.
La France métropolitaine est par conséquence le partenaire commercial privilégié de la Guadeloupe, avec l’envoi de 60 % des importations et la réception de 40% des exportations guadeloupéennes. En 2019, la balance commerciale de la Guadeloupe, structurellement déficitaire, s’établit à – 2,7 milliards d’euros.
Si la Révolution française de 1789 a apporté dans son souffle libérateur l’abolition de l’esclavage, Napoléon et ses armées l’ont rétabli quelques années plus tard par le massacre. Par la suite, le besoin de justifier les agressions outre-mer de la France sur les peuples d’Asie du Sud-Est et d’Afrique de l’Ouest pour étendre ses marchés a donné naissance à une idéologie pronant le concept de race, établissant la pseudo-supériorité des Blancs sur les autres populations. Le racisme est depuis utilisé par la bourgeoisie pour masquer l’exploitation impérialiste et diviser les travailleurs en camps, qu’opposent leur couleur de peau ou leur ethnie. Cette rhétorique qui a aujourd’hui le vent en poupe s’inscrit dans un processus de réactionnarisation.
La Guadeloupe et la Martinique sont utilisées comme une manne financière par la France, et gérées comme des colonies. Bien que les populations y aient une histoire, une culture, une langue qui leur sont propres, et qu’elles produisent une quantité avantageuse de richesses, ces populations sont administrées depuis l’étranger par la France. Les révoltes qui ont éclaté récemment sont la conséquence de multiples problèmes sociaux qui sont loin de se résumer à une opposition au pass sanitaire.
Le taux de pauvreté dans les Antilles françaises est bien plus élevé qu’en France avec près d’une personne sur trois sous le seuil des 800 € par mois. Le taux de chômage des jeunes est de 50 % en moyenne, et bien plus qu’en France, il y a davantage de main d’oeuvre que d’emplois existants. La cause du chômage est de fait que les capitalistes ne créent pas d’emploi pour le peuple, ils créent des emplois pour faire tourner leur business, au détriment des travailleurs.
Dans les années 60 à début 80, le Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) a organisé le déplacement massif de main d’oeuvre des colonies vers la France pour faire tourner les usines françaises. Il prétextait ainsi régler les “problèmes de démographie”. C’est un exemple de l’instrumentalisation du discours sur la surpopulation qui sert à masquer l’exploitation des travailleurs des colonies et des pays opprimés.
En réalité, il n’y a pas de surpopulation aux Antilles ou ailleurs, il y a en revanche une politique économique qui contribue à l’appauvrissement des masses et l’augmentation du chômage, et à l’enrichissement constant des propriétaires des monopoles financiers : il s’agit d’une politique inhérante au capitalisme.
Pour donner quelques chiffres, en France, colonies incluses, le taux de chômage est passé de 3 % dans les années 1970 à près de 10 % de nos jours. Dans les Antilles, le taux de chômage est plus de deux fois supérieur à celui de la France Métropolitaine. À cela s’ajoute le prix exorbitant de la nourriture, environ 35 % supérieur aux prix en France, ou encore le prix des produits laitiers, qui explose. De plus, en Guadeloupe, l’eau est un tiers plus chère qu’en Hexagone : pour 100 litres d’eau douce collectée, seul 40 litres arrivent aux populations, alors que la Guadeloupe possède deux fois plus de réserves d’eau douce que le Continent. Les causes sont multiples, entre le manque d’entretien et d’investissement dans les canalisations – et donc les fuites qui en découlent – et l’utilisation abusive pour la culture de la banane et de la canne à sucre. 400 000 personnes sont ainsi en situation de stress hydrique (des périodes de pénuries d’eau entrecoupées de rationnement quotidien de la population), alors même que la France est une des plus grandes puissances impérialistes.
L’équation est simple : moins de travail, moins d’argent, vie plus chère.
Mais ce n’est pas tout : depuis les années 1950, les fonctionnaires d’Etat ont un salaire majoré de 25 % par rapport au salaire en France. À l’origine cette majoration était réservée aux natifs de France. Les policiers quant à eux viennent de France : lors des grèves et révoltes, des compagnies de CRS sont envoyées par avion pour réprimer la population. Les préfets des Antilles sont quasiment tous originaires de France, un bon nombre vient par exemple de Neuilly-sur-Seine. L’administration entière de ces territoires a le profil de l’administration coloniale, et fait bénéficier aux békés de passe-droits concernant la législation. L’exemple le plus marquant concerne le chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies depuis les années 1970, alors même qu’il était déjà reconnu comme une substance dangereuse. Le chlordécone vaut à la Guadeloupe et à la Martinique le sinistre record du plus haut taux de cancer de la prostate dans le monde, avec une augmentation de plus de 600 cas par an. Ce scandale inhumain a profondément impacté la chair et l’esprit des antillais qui, à juste titre, ont perdu toute confiance dans la France concernant leur santé. Les épandages de chlordécone, interdits en France mais maintenus aux Antilles, se sont poursuivis alors que l’Etat français connaissait et reconnaissait sa dangerosité pour les agriculteurs en Métropole.
Les masses antillaises ne se sont jamais laissées faire. En mai 1967, l’État colonial français déployait une répression monstrueuse pour empêcher la lutte des masses guadeloupéennes. Cette révolte est partie d’une attaque raciste le 20 mars 1967, alors qu’un gros commerçant de chaussures dans la commune de Basse-Terre avait lâché son berger allemand sur Raphael Balzinc, un cordonnier noir, handicapé par l’âge qui déployait son étal devant le commerce du propriétaire blanc. Des émeutes et des grèves explosaient les jours suivant l’agression, le préfet de l’île Pierre Bolotte faisant déployer deux escadrons de gendarmerie. Le 24 mai 1967, ce sont les ouvriers du bâtiment de Guadeloupe qui se mettent en grève, exigeant une augmentation de salaire et la parité des droits sociaux. Le 26 mai, aux alentours de midi, les masses grévistes se déplacent vers la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre afin de négocier avec le patronat, qui coupe court aux négociations après que Georges Brizzard, le représentant patronal, ait déclaré «Quand les nègres auront faim, ils reprendront le travail !». Face à ce mépris, les masses décident qu’il est temps de lutter. La répression d’État se déploie les 26, 27 et 28 mai 1967 et le bilan des victimes ainsi que leurs noms seront classés « Secret Défense » jusqu’en 2017. Une fois rendus public, tandis que l’État français reconnaît 8 morts, les guadeloupéens, des historiens, Christiane Taubira et même le secrétaire d’État chargé des DOM-TOM, Georges Lemoine (en 1985), évoquent un bilan de 87 morts.
Dans les années 70 à 80, de nombreux partis indépendatistes et groupes armés pour l’indépendance se sont constitués.
En Guadeloupe et en France, le Groupe de Libération Armé (GLA) a ciblé par de nombreuses attaques les agents de l’impérialisme français : commissariats, hauts fonctionnaires et grands monopoles, avec comme révendication principale l’indépendance. Il s’est ensuite fondu en 1983 dans l’Alliance Révolutionnaire des Caraïbes (ARC), créée à Paris pour regrouper les forces indépendantistes armées. L’ARC lutte pour l’indépendance de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. Dans le même temps, l’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe subit l’assassinat de plusieurs de ses dirigeants par l’Etat français.
Faute d’une direction et d’une stratégie révolutionnaires, ces mouvements cèdent à l’opportunisme sous le poids d’une répression féroce, comme l’ont fait des groupes comme Action Directe ou l’Armée Révolutionnaire Bretonne.
Mais la combativité des masses antillaises n’a pas disparu pour autant. Pour lutter contre l’augmentation des prix de la nourriture et de l’essence, en 2008 et 2009 déjà, le Liyannaj Kont Pwofitasyon (Collectif contre l’exploitation outrancière) rassemble des dizaines d’organisations et syndicats dans une grève générale qui débute en Guadeloupe et s’étend ensuite à la Martinique et dure 44 jours. Le collectif lutte contre le monopole d’une poignée de békés sur la grande distribution et sur la Compagnie Maritime d’Affrètement – Compagnie Générale Maritime (CMA-CGM) qui impose des taxes abusives sur l’import depuis la France. La compagnie appartient au groupe Bernard Hayot, groupe dirigé par une dynastie de békés qui a fait fortune grâce à l’esclavage et dont les activités s’étendent dans toute la Caraïbe, et dans l’Océan Indien à La Réunion, Madagascar et Mayotte. Il s’agit d’une des famille de la vieille bourgeoisie impérialiste avec son héritage colonial. Cependant, les impérialistes vont faire payer aux masses antillaises leur combativité, alors que selon un sondage de 2009, 93 % des guadeloupéens soutenaient la grève générale. Durant la grève, un syndicaliste sera assassiné par balles, et le dirigeant du LKP Elie Domata sera accusé de provocation à la haine raciale pour avoir dénoncé la gestion coloniale de la Guadeloupe par l’Etat français et l’exploitation des impérialistes békés.
Par la suite, une propagande impérialiste relayée par les médias a fait baisser le tourisme, alors qu’il est devenu un des principaux secteurs d’activité localement à cause de la politique de l’Etat français de vouloir développer ce secteur au détriment d’autres. Ce faisant, la France a fait des Antilles une terre de misère où les vacanciers viennent se divertir et où les locaux sont à leur service.
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