Quand la violence policière éclipse un mouvement contre les castes en Inde
Capture d’écran de la vidéo de notre Observatrice montrant les violences policières contre les manifestants.
Les intouchables (dalits) se
mobilisent rarement. Ce groupe social, considéré comme inférieur par la
société de castes indienne, a pourtant décidé de crier sa colère après
le suicide d’un étudiant mi-janvier. Mais la répression policière a été
telle que le combat pour l’égalité sociale semble être passé au second
plan.
Plusieurs manifestations contre les discriminations en Inde ont été organisées après le suicide d’un jeune intouchable, Rohith Vemula,
le 17 janvier, dans son université à Hyderabad. Accusé d’agression,
avec quatre autres étudiants, ce qu’il a toujours nié, il avait été
suspendu de l’université et désigné coupable par plusieurs membres d’un
parti de nationalistes hindous.
Rohith Vemula était persuadé qu’il avait été pris pour cible et que
les autorités avaient refusé de l’écouter en raison de sa caste. Il
avait commencé une grève de la faim avant de se tuer, en laissant
derrière lui une lettre incendiaire sur le racisme institutionnalisé envers les Intouchables.
Vidéo prise par notre Observatrice lors de la manifestation du 30 janvier.
« Je filmais la manifestation quand, tout à coup, j’ai entendu des cris«
Sanghapali
Sanghapali Aruna Kornana est doctorante
en linguistique à l’université Jawaharlal Nehru. Elle aussi est issue
de la classe des intouchables et se bat depuis plusieurs années pour le
droit des femmes de cette caste. Le 30 janvier, elle a participé à une
marche pour le droit des intouchables devant les bureaux du Rashtriya
Swayamsevak Sangh (RSS), le parti fondamentaliste Hindou dont les
accusateurs de Rohith Vemula font partie.
Nous étions tous très choqués de la
mort de Rohith Vemula, alors nous avons décidé d’organiser cette
manifestation pour interpeller ce parti qui promeut le fondamentalisme
hindou. Nous avions prévenu la police la veille. Près de 200 personnes se sont réunies à quelques mètres du
bâtiment du RSS. La police avait placé des barrières, donc nous sommes
allés de l’autre côté du bâtiment. Je filmais la manifestation quand, tout à coup, j’ai entendu des
cris. J’avais déjà assisté à des scènes de violences policières : la
police utilise régulièrement des gaz lacrymogènes, des canons à eau et
des bâtons en bois pour frapper les manifestants. Mais cette fois-ci,
c’était différent. J’ai été témoin d’une scène vraiment très violente.
Je me suis dit qu’il était important que je capture ce moment. D’ailleurs j’étais plus inquiète pour ma camera que pour moi. Je n’ai pas les moyens de m’en acheter une autre. Un de mes amis a été frappé au moins cinq fois par des officiers.
J’ai commencé à crier. Un homme qui venait de s’en prendre à d’autres
manifestants m’a attrapé par le bras pour me tirer. Au lieu de m’aider,
un officier de police a cassé ma caméra. [C’est à ce moment que la vidéo
de Sanghapali s’arrête, NDLR]. Mais je ne suis pas une victime. J’ai attrapé le policier par le
t-shirt et je lui ai demandé pourquoi il avait été aussi violent. Il ne
m’a pas répondu. Après la manifestation, la police s’est défendue en
affirmant qu’elle avait essuyé des jets de pierres. Mais je n’y crois
pas.
« Notre lutte ne concerne pas seulement les violences policières, nous sommes en conflit avec l’État »
Pour autant, je considère que notre lutte ne concerne pas
seulement les violences policières, nous sommes en conflit avec l’État,
qui discrimine les populations marginalisées. Le problème des castes est
un sujet tabou en Inde. Quand le nouveau gouvernement est arrivé au
pouvoir, nous avons assisté à une poussée du fondamentalisme Hindou.
[L’actuel premier ministre Narendra Modi fait partie de l’aile droite
du parti Bharatiya Janata (BJP), très proche de l’idéologie du RSS,
NDLR]
Le 2 février, un groupe d’étudiants s’est rassemblé devant le siège
de la police de Delhi pour dénoncer les violences policières. Le
commissaire de police a annoncé qu’une enquête était en cours.
Des jeunes manifestent contre les violences policières le 2 février 2016. (Photo postée sur Facebook par Anmol Ratan).
Arvind Kejriwal, le Premier ministre de l’Etat, a accusé la police
de Delhi d’être manipulée par les partis fondamentalistes. « La police
de Delhi est utilisée par les partis BJP et RSS comme une armée privée
pour terroriser tous ceux qui s’opposent à leur idéologie. Je condamne
fermement les attaques contre les étudiants » a-t-il indiqué sur
Twitter.
Mais notre Observatrice ne veut pas que le débat se limite aux violences policières.
Avec la mort de Rohith Vemula, c’est la
première fois qu’on voit un mouvement national pour un problème
concernant les intouchables. Nous n’avions jamais vu une telle
indignation auparavant. Les étudiants se sont mobilisés dans tout le
pays et à l’étranger. Dans ce contexte, manifester contre les violences
policières, c’est détourner notre cause.
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