De la place Mohammed-VI d’Al-Hoceima, où se sont concentrés les troubles de cette ville au sommet d’une falaise du nord du Maroc, un arc-en-ciel géant marque le ciel au-dessus de la Méditerranée. Mais la vie quotidienne des Amazighs (Berbères) dans cette région pauvre du Rif est moins colorée. Les officiers en tenue anti-émeute occupent la place, se méfiant de toute réunion à l’approche du 28 octobre, date anniversaire de la mort, en 2016, de Mouhcine Fikri.
Présentation de notre série Quand l’Europe renvoie la crise migratoire de l’autre côté de la Méditerranée
Le poissonnier avait été broyé par un camion à ordures alors qu’il tentait de récupérer son espadon confisqué par la police. Sa mort a déclenché un soulèvement populaire qui s’est étendu à toute la région. La réponse du pouvoir
marocain, face à son plus grand défi depuis le « printemps arabe » de
2011, a été d’arrêter les dirigeants du mouvement protestataire Hirak,
d’emprisonner des journalistes et de sévir brutalement contre les manifestants.Nouveau passage
Les fonctionnaires européens suivent ces développements avec une certaine anxiété. Après avoir réussi à réduire le flux de migrants sur les routes de la Méditerranée centrale via l’Italie et orientale via la Grèce, Bruxelles ne veut pas d’un nouveau passage à l’ouest. C’est pourtant ce que fait craindre la situation du Rif.Al-Mortada Iamrachen, 30 ans, ancien imam de la mosquée locale et militant de premier plan, a été emprisonné en juin en raison de son soutien au Hirak. Il raconte que son père en a été si choqué qu’il est mort le jour même où son fils a été emmené en prison à Rabat.
« Al-Hoceima vit dans un état de tristesse et de colère – le chômage, le manque de ressources financières, la drogue, l’immigration secrète et les arrestations ont contribué à cette situation catastrophique, dit Al-Mortada Iamrachen. Nos familles souffrent et, quand nous sortons, elles ne savent pas si nous allons rentrer chez nous ou aller en prison. »
La mort subite du père d’Iamrachen a contraint les autorités à le libérer, mais beaucoup, dont le leader de la protestation, Nasser Zefzafi, restent derrière les barreaux. Au moins 400 personnes seraient emprisonnées en relation avec le mouvement de protestation, la plupart d’entre elles détenues à la prison d’Ouchaka, à Casablanca. Certains ont débuté une grève de la faim.
Naoufal Al-Moutaoukil, dont le frère Ilyas est emprisonné depuis juin, estime que les développements à Al-Hoceima obligent beaucoup de gens à fuir. « L’immigration reste la seule option, très risquée et avec des conséquences inconnues, parfois irréversibles, admet-il. Traverser le détroit de Gibraltar n’est pas un jeu, plutôt un défi à la mort. Mais l’Europe est toujours un immense espoir, c’est pourquoi beaucoup défient la mort. Certains arrivent en Espagne, d’autres finissent par nourrir les requins. »
« Le Hirak n’est pas décapité »
De l’autre côté de la Méditerranée, dans les villes espagnoles d’Algeciras et de Tarifa sont réfugiés de nombreux Marocains qui ont fui les persécutions à Al-Hoceima dans l’été. Deux frères, 28 ans et 19 ans, et leurs deux cousins, tous deux 21 ans, font partie de ceux qui ont été secourus en août. Ils sont arrivés à jet-ski de la plage de Souani après une traversée d’environ 180 km. « Nous étions quatre, il nous a fallu six heures pour venir d’Al-Hoceima à Motril, déclare l’un d’eux. La police anti-émeute marocaine nous avait tabassés. On est partis travailler, il n’y a pas de boulot au Rif. »Mohamed Chtatou, professeur d’université marocain, estime que le Hirak est « légitime » et a fini par attirer l’attention sur une zone oubliée de la périphérie marocaine : « Le mouvement a été fragilisé, mais n’est pas décapité. Le pouvoir a tellement peur qu’il utilise le bâton et la carotte en espérant que les choses se calmeront. »
Lire aussi : Un journaliste du « Guardian » expulsé du Maroc
De fait, les autorités ont essayé de dépeindre
des militants comme Iamrachen, ancien salafiste désormais musulman
modéré qui soutient les droits des LGBT, comme des extrémistes. Ce
dernier était en train de dénoncer ces accusations « grotesques »
de terrorisme lorsque des policiers en civil ont fait irruption, ont
arrêté le journaliste que je suis et m’ont expulsé du pays. L’atmosphère
est décidément bien tendue à Al-Hoceima.
Cet article a d’abord été publié sur le site du Guardian.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/02/au-maroc-la-repression-du-hirak-provoque-un-nouvel-exode-de-migrants-vers-l-espagne_5209309_3212.html#cyZ0xTFoXl7pZ0J5.99
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