Le projet de loi 21 sur la « laïcité », dont le
gouvernement Legault s’apprête à forcer l’adoption, n’est rien d’autre
qu’une nouvelle tentative de la part de la bourgeoisie nationaliste
québécoise de rallier derrière elle une partie de la classe ouvrière et
de faire primer l’union nationale sur nos intérêts de classe.
Comme travailleurs et travailleuses, on doit rejeter ce piège et
combattre de façon vigoureuse les attaques racistes et xénophobes qui
affaiblissent notre capacité de lutter pour notre émancipation.
Cela fait maintenant une bonne douzaine d’années que
les débats sur la « laïcité », les « valeurs québécoises », la place des
signes religieux dans l’espace public, etc. polluent l’atmosphère au
Québec. Après la crise des accommodements raisonnables en 2007-2008, les
débats entourant la commission Bouchard-Taylor et la charte des valeurs
raciste des Marois et Drainville, le projet de loi du gouvernement
caquiste donne à nouveau l’occasion aux grandes gueules qui sévissent
dans les médias et partis bourgeois de répandre leurs discours
nauséabonds et de stigmatiser certaines communautés. De toute évidence,
ce sont les personnes de confession musulmane – et en particulier les
femmes – qui sont les premières visées par ces attaques. En cela, le
projet de loi 21 ne se distingue pas particulièrement de la grande vague
qui déferle, depuis une vingtaine d’années à l’échelle mondiale, contre
les peuples et les populations que l’on associe à la religion musulmane
et qui proviennent le plus souvent de pays dominés.
Depuis que l’impérialisme américain a déclenché sa
« guerre mondiale contre la terreur » au lendemain des attentats du 11
septembre 2001, la stigmatisation des communautés musulmanes est au cœur
des politiques – et de la propagande – des puissances impérialistes.
Partout, cette propagande a favorisé l’émergence des partis et
organisations d’extrême-droite, ennemies de la classe ouvrière. Elle
s’est traduite par l’adoption de politiques et de mesures ouvertement
discriminatoires, notamment en matière d’immigration, dont plusieurs
portent sur le port de symboles religieux. Ce faisant, la bourgeoisie
des grands pays impérialistes n’a pas hésité à faire voler en éclats le
corpus des droits et libertés élaboré au cours du 20e siècle,
dont elle s’est tant vanté à une certaine époque alors qu’elle
souhaitait démontrer la prétendue « supériorité » de son système face au
camp socialiste.
Au Québec, cette offensive prend une couleur
particulière dans le contexte de l’effondrement du projet
indépendantiste, qui a servi d’assises pendant une bonne quarantaine
d’années au développement d’une classe bourgeoise francophone désormais
parfaitement intégrée au système impérialiste mondial. Le mouvement
nationaliste québécois a mobilisé des partis, des organisations, des
fractions de classes et des personnes dont plusieurs se sont trouvées
désorientées par la fin du projet d’indépendance. Pendant des décennies,
il a alimenté une idéologie, devenue dominante dans la superstructure,
selon laquelle les Québécoises et Québécois d’origine franco-européenne
partagent des intérêts communs qui traversent les classes et qui en font
une société « distincte et menacée » par tout ce qui leur est étranger – à part le capital.
Cette évolution du mouvement nationaliste, marquée à
la fois par l’affirmation de la bourgeoisie francophone et l’épuisement
du « rêve indépendantiste », a vu le principal parti porteur de ce
projet – le PQ – abandonner ce que d’aucuns ont appelé le « nationalisme
civique », plus rassembleur, au profit d’un nationalisme ethnique et
identitaire vulgaire, qui alimente les peurs et exacerbe les tensions.
Cela ne l’a pas empêché de se faire damer le pion par l’Action
démocratique de Mario Dumont, devenue la Coalition Avenir Québec, qui a
réussi bien mieux que lui à jouer cette carte identitaire.
Parce qu’elle a réussi à se voir confier la direction
de l’État québécois au terme des élections bourgeoises et que les
sondages semblent indiquer qu’elle a l’appui d’une majorité, la CAQ
prétend qu’elle a la légitimité pour imposer l’adoption du projet de loi
21. Du point de vue du fonctionnement des institutions de la classe
dominante, c’est sans doute vrai. Et il est vraisemblable qu’une
majorité de Québécoises et de Québécois répondront « oui » si on leur
demande s’ils sont d’accord avec l’interdiction des signes religieux
ostentatoires pour les personnes en autorité. Quoique si la
question disait : « êtes-vous d’accord avec le fait que votre employeur
congédie une collègue de travail compétente dont le dossier d’emploi est
sans tache du simple fait qu’elle porte un signe qui témoigne de son
attachement à une religion », il est loin d’être certain que le résultat
serait le même…
Du point de vue des intérêts de la classe ouvrière,
cela dit, la loi péquisto-caquiste est un leurre et doit être fermement
combattue. L’absence d’un point de vue de classe est absolument
frappante dans le débat qui a cours depuis la crise des accommodements
raisonnables. À l’automne 2007, alors que débutaient les travaux de la
commission Bouchard-Taylor, l’écrivain Dany Laferrière, qui n’a pourtant
rien d’un intellectuel marxiste, avait tenu des propos à la fois
simples et très justes quant au fait que la disparition du concept de
classe sociale accentuait le « malaise identitaire québécois ». Il vaut
la peine de les citer de nouveau :
« Tout le monde sait qu’il y a des riches et des
pauvres, des ouvriers et des bourgeois; pourtant, on n’en entend jamais
parler. Les intellectuels québécois ont surfé sur ce mensonge, si bien
qu’on est maintenant dans une sorte de vide intellectuel. Les
intellectuels ne savent pas quoi dire devant la nouvelle situation –
celle de l’immigrant. L’immigrant, qui est surtout identifié comme Arabe
et noir, est d’une race différente. Or, on ne peut pas “rentrer” dans
la race blanche rapidement; par contre, on peut s’intégrer rapidement à
la classe sociale, à la classe ouvrière. Si on avait un discours basé
sur les classes sociales et sur la classe ouvrière, eh bien! il n’y
aurait pas tout ce débat sur le multiculturalisme. Parce qu’il n’y
aurait pas de “communautés culturelles”. Les riches immigrants se
mettraient avec les riches Québécois et formeraient la classe des
bourgeois. Les pauvres immigrants se mettraient avec les pauvres
Québécois et formeraient la classe ouvrière. Mais qu’est-ce qu’on voit à
la télévision durant la commission Bouchard-Taylor? On voit uniquement
des pauvres insulter d’autres pauvres. On leur laisse la parole, on leur
laisse le débat sur l’identité. Alors, les pauvres se bouffent entre
eux, pendant que le riche regarde tout ça de l’extérieur. Parce que lui –
le riche – ne participe jamais à ce genre de débat sur l’identité: il
est bien trop occupé à faire du fric… »
Douze ans plus tard, ces propos nous semblent encore résumer assez correctement la dynamique en cours.
Ce point de vue de classe, il faut l’affirmer haut et
fort dans le mouvement d’opposition à la loi caquiste. L’opposition au
projet de loi 21 d’intellectuels libéraux, de démocrates nostalgiques de
l’âge d’or du droit bourgeois et d’une certaine gauche
progressiste est certes appréciable, voire courageuse dans certains cas,
mais elle reste totalement insuffisante pour faire face aux enjeux
actuels. En outre, elle est peu susceptible de convaincre et mobiliser
la classe ouvrière, en-dehors des grands centres urbains notamment, en
ce qu’elle demeure assez éloignée des préoccupations de bon nombre de
travailleurs et de travailleuses. C’est particulièrement le cas de la
gauche dite « radicale », gangrenée par le postmodernisme, qui
s’intéresse et admet n’importe quel point de vue sur à peu près toutes
les questions sauf celles qui se rapportent, de près ou de loin, à la
sphère de l’exploitation et du rapport entre capital et travail.
Il est tout à fait déplorable qu’une partie de cette
gauche ait choisi de boycotter ce qui s’est avéré jusqu’à ce jour la
mobilisation de masse la plus forte contre le projet de loi 21, soit la
manifestation du 7 avril organisée par le Collectif canadien
anti-islamophobie. Sous prétexte que certaines positions de son
coordonnateur, Adil Charkaoui – lui-même victime d’une des pires
vendettas de l’État canadien dans le cadre de la guerre impérialiste
contre la « terreur » – ne correspondraient pas aux positions (ou aux
« valeurs »!) généralement considérées comme progressistes parmi la
gauche québécoise, plusieurs se sont dissociés d’un événement qui
exprimait d’abord et avant tout la légitime colère des premières
victimes du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie ambiantes.
Quant à ceux, comme les anciens « marxistes-léninistes » de L’Aut’journal
et certains résidus du mouvement trotskiste (lambertistes autrefois
liés au défunt « GST ») ou anarchiste (Normand Baillargeon pour ne pas
le nommer), qui appuient chaudement le projet de loi de la CAQ et
considèrent que l’affirmation d’une « neutralité » symbolique de l’État
représente le « progrès », ces gens-là démontrent à quel point ils
adorent la société bourgeoise et se prosternent devant ses institutions.
Comme nous l’avions écrit au moment où le PQ avait présenté son projet de charte à l’automne 2013, l’État n’est jamais neutre; il a toujours été et il sera toujours l’instrument de la domination d’une classe sur une autre : « N’importe
quel gréviste ayant déjà fait face à une injonction limitant ou
interdisant le piquetage et qui s’est fait matraquer par les flics venus
“ouvrir la ligne” pour laisser rentrer les scabs le
sait. N’importe quelle manifestante ayant été matraquée ou poivrée et
qui s’est retrouvée prise avec des centaines de ses camarades dans une
arrestation de masse le sait elle aussi. N’importe quel Autochtone ayant
tenté d’exercer ses droits sur un territoire à propos duquel les
négociations s’éternisent avec les autorités le sait très bien. Quand le
bras armé de l’État frappe, quand son appareil judiciaire criminalise
et emprisonne, il ne fait pas de distinction en fonction des croyances
religieuses ou de l’absence de croyances religieuses des ennemis de l’État qui se trouvent sur son chemin. »
À travers ce magma, il convient de
féliciter les organisations syndicales, dont la CSN et les fédérations
représentant les enseignantes et enseignants des commissions scolaires,
qui se sont prononcées contre le projet de loi 21 et ont exprimé leur
volonté de défendre leurs membres qui subiront éventuellement les
foudres de la police vestimentaire caquiste.
Disons-le clairement : les « valeurs » que le gouvernement caquiste prétend défendre, ce ne sont rien d’autre que les valeurs de la classe dominante.
Quand François Legault dit que « c’est comme ça qu’on vit au Québec »
pour justifier son projet de loi, il se porte à la défense du statu quo;
il veut que la bonne business qui enrichit ses amis capitalistes
se poursuive. Or, l’idée même que les travailleuses et les travailleurs
partageraient des « valeurs communes » avec les capitalistes qui nous
exploitent est un mensonge et une hypocrisie!
Comme l’ont toujours dit les maoïstes du PCR, les
valeurs des capitalistes – la cupidité, la corruption, l’accaparement de
la richesse sans bon sens – ne sont pas les nôtres : « Nos valeurs, à
nous prolétaires, ce sont celles de l’égalité, de la solidarité et du
combat. Notre aspiration, c’est de gagner notre libération! C’est de
vivre dans un monde où il n’y aura plus d’oppression ni d’exploitation.
Ces valeurs, elles s’incarnent dans la révolution qui mettra fin au
capitalisme et qui établira notre pouvoir – le pouvoir ouvrier. En
vérité, il n’y a pas d’autres valeurs que celles-là qui vaillent la
peine que l’on se mobilise pour les faire prévaloir. »
À bas le projet de loi 21! Rendons-le inapplicable en pratique!
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