Tuesday, June 11, 2019

Canada - Iskra - La loi caquiste sur la « laïcité » : un leurre et une diversion


Le projet de loi 21 sur la « laïcité », dont le gouvernement Legault s’apprête à forcer l’adoption, n’est rien d’autre qu’une nouvelle tentative de la part de la bourgeoisie nationaliste québécoise de rallier derrière elle une partie de la classe ouvrière et de faire primer l’union nationale sur nos intérêts de classe. Comme travailleurs et travailleuses, on doit rejeter ce piège et combattre de façon vigoureuse les attaques racistes et xénophobes qui affaiblissent notre capacité de lutter pour notre émancipation.
Cela fait maintenant une bonne douzaine d’années que les débats sur la « laïcité », les « valeurs québécoises », la place des signes religieux dans l’espace public, etc. polluent l’atmosphère au Québec. Après la crise des accommodements raisonnables en 2007-2008, les débats entourant la commission Bouchard-Taylor et la charte des valeurs raciste des Marois et Drainville, le projet de loi du gouvernement caquiste donne à nouveau l’occasion aux grandes gueules qui sévissent dans les médias et partis bourgeois de répandre leurs discours nauséabonds et de stigmatiser certaines communautés. De toute évidence, ce sont les personnes de confession musulmane – et en particulier les femmes – qui sont les premières visées par ces attaques. En cela, le projet de loi 21 ne se distingue pas particulièrement de la grande vague qui déferle, depuis une vingtaine d’années à l’échelle mondiale, contre les peuples et les populations que l’on associe à la religion musulmane et qui proviennent le plus souvent de pays dominés.
Depuis que l’impérialisme américain a déclenché sa « guerre mondiale contre la terreur » au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, la stigmatisation des communautés musulmanes est au cœur des politiques – et de la propagande – des puissances impérialistes. Partout, cette propagande a favorisé l’émergence des partis et organisations d’extrême-droite, ennemies de la classe ouvrière. Elle s’est traduite par l’adoption de politiques et de mesures ouvertement discriminatoires, notamment en matière d’immigration, dont plusieurs portent sur le port de symboles religieux. Ce faisant, la bourgeoisie des grands pays impérialistes n’a pas hésité à faire voler en éclats le corpus des droits et libertés élaboré au cours du 20e siècle, dont elle s’est tant vanté à une certaine époque alors qu’elle souhaitait démontrer la prétendue « supériorité » de son système face au camp socialiste.
Au Québec, cette offensive prend une couleur particulière dans le contexte de l’effondrement du projet indépendantiste, qui a servi d’assises pendant une bonne quarantaine d’années au développement d’une classe bourgeoise francophone désormais parfaitement intégrée au système impérialiste mondial. Le mouvement nationaliste québécois a mobilisé des partis, des organisations, des fractions de classes et des personnes dont plusieurs se sont trouvées désorientées par la fin du projet d’indépendance. Pendant des décennies, il a alimenté une idéologie, devenue dominante dans la superstructure, selon laquelle les Québécoises et Québécois d’origine franco-européenne partagent des intérêts communs qui traversent les classes et qui en font une société « distincte et menacée » par tout ce qui leur est étranger – à part le capital.
Cette évolution du mouvement nationaliste, marquée à la fois par l’affirmation de la bourgeoisie francophone et l’épuisement du « rêve indépendantiste », a vu le principal parti porteur de ce projet – le PQ – abandonner ce que d’aucuns ont appelé le « nationalisme civique », plus rassembleur, au profit d’un nationalisme ethnique et identitaire vulgaire, qui alimente les peurs et exacerbe les tensions. Cela ne l’a pas empêché de se faire damer le pion par l’Action démocratique de Mario Dumont, devenue la Coalition Avenir Québec, qui a réussi bien mieux que lui à jouer cette carte identitaire.
Parce qu’elle a réussi à se voir confier la direction de l’État québécois au terme des élections bourgeoises et que les sondages semblent indiquer qu’elle a l’appui d’une majorité, la CAQ prétend qu’elle a la légitimité pour imposer l’adoption du projet de loi 21. Du point de vue du fonctionnement des institutions de la classe dominante, c’est sans doute vrai. Et il est vraisemblable qu’une majorité de Québécoises et de Québécois répondront « oui » si on leur demande s’ils sont d’accord avec l’interdiction des signes religieux ostentatoires pour les personnes en autorité. Quoique si la question disait : « êtes-vous d’accord avec le fait que votre employeur congédie une collègue de travail compétente dont le dossier d’emploi est sans tache du simple fait qu’elle porte un signe qui témoigne de son attachement à une religion », il est loin d’être certain que le résultat serait le même…
Du point de vue des intérêts de la classe ouvrière, cela dit, la loi péquisto-caquiste est un leurre et doit être fermement combattue. L’absence d’un point de vue de classe est absolument frappante dans le débat qui a cours depuis la crise des accommodements raisonnables. À l’automne 2007, alors que débutaient les travaux de la commission Bouchard-Taylor, l’écrivain Dany Laferrière, qui n’a pourtant rien d’un intellectuel marxiste, avait tenu des propos à la fois simples et très justes quant au fait que la disparition du concept de classe sociale accentuait le « malaise identitaire québécois ». Il vaut la peine de les citer de nouveau :
« Tout le monde sait qu’il y a des riches et des pauvres, des ouvriers et des bourgeois; pourtant, on n’en entend jamais parler. Les intellectuels québécois ont surfé sur ce mensonge, si bien qu’on est maintenant dans une sorte de vide intellectuel. Les intellectuels ne savent pas quoi dire devant la nouvelle situation – celle de l’immigrant. L’immigrant, qui est surtout identifié comme Arabe et noir, est d’une race différente. Or, on ne peut pas “rentrer” dans la race blanche rapidement; par contre, on peut s’intégrer rapidement à la classe sociale, à la classe ouvrière. Si on avait un discours basé sur les classes sociales et sur la classe ouvrière, eh bien! il n’y aurait pas tout ce débat sur le multiculturalisme. Parce qu’il n’y aurait pas de “communautés culturelles”. Les riches immigrants se mettraient avec les riches Québécois et formeraient la classe des bourgeois. Les pauvres immigrants se mettraient avec les pauvres Québécois et formeraient la classe ouvrière. Mais qu’est-ce qu’on voit à la télévision durant la commission Bouchard-Taylor? On voit uniquement des pauvres insulter d’autres pauvres. On leur laisse la parole, on leur laisse le débat sur l’identité. Alors, les pauvres se bouffent entre eux, pendant que le riche regarde tout ça de l’extérieur. Parce que lui – le riche – ne participe jamais à ce genre de débat sur l’identité: il est bien trop occupé à faire du fric… »
Douze ans plus tard, ces propos nous semblent encore résumer assez correctement la dynamique en cours.
Ce point de vue de classe, il faut l’affirmer haut et fort dans le mouvement d’opposition à la loi caquiste. L’opposition au projet de loi 21 d’intellectuels libéraux, de démocrates nostalgiques de l’âge d’or du droit bourgeois et d’une certaine gauche progressiste est certes appréciable, voire courageuse dans certains cas, mais elle reste totalement insuffisante pour faire face aux enjeux actuels. En outre, elle est peu susceptible de convaincre et mobiliser la classe ouvrière, en-dehors des grands centres urbains notamment, en ce qu’elle demeure assez éloignée des préoccupations de bon nombre de travailleurs et de travailleuses. C’est particulièrement le cas de la gauche dite « radicale », gangrenée par le postmodernisme, qui s’intéresse et admet n’importe quel point de vue sur à peu près toutes les questions sauf celles qui se rapportent, de près ou de loin, à la sphère de l’exploitation et du rapport entre capital et travail.
Il est tout à fait déplorable qu’une partie de cette gauche ait choisi de boycotter ce qui s’est avéré jusqu’à ce jour la mobilisation de masse la plus forte contre le projet de loi 21, soit la manifestation du 7 avril organisée par le Collectif canadien anti-islamophobie. Sous prétexte que certaines positions de son coordonnateur, Adil Charkaoui – lui-même victime d’une des pires vendettas de l’État canadien dans le cadre de la guerre impérialiste contre la « terreur » – ne correspondraient pas aux positions (ou aux « valeurs »!) généralement considérées comme progressistes parmi la gauche québécoise, plusieurs se sont dissociés d’un événement qui exprimait d’abord et avant tout la légitime colère des premières victimes du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie ambiantes.
Quant à ceux, comme les anciens « marxistes-léninistes » de L’Aut’journal et certains résidus du mouvement trotskiste (lambertistes autrefois liés au défunt « GST ») ou anarchiste (Normand Baillargeon pour ne pas le nommer), qui appuient chaudement le projet de loi de la CAQ et considèrent que l’affirmation d’une « neutralité » symbolique de l’État représente le « progrès », ces gens-là démontrent à quel point ils adorent la société bourgeoise et se prosternent devant ses institutions.
Comme nous l’avions écrit au moment où le PQ avait présenté son projet de charte à l’automne 2013, l’État n’est jamais neutre; il a toujours été et il sera toujours l’instrument de la domination d’une classe sur une autre : « N’importe quel gréviste ayant déjà fait face à une injonction limitant ou interdisant le piquetage et qui s’est fait matraquer par les flics venus “ouvrir la ligne” pour laisser rentrer les scabs le sait. N’importe quelle manifestante ayant été matraquée ou poivrée et qui s’est retrouvée prise avec des centaines de ses camarades dans une arrestation de masse le sait elle aussi. N’importe quel Autochtone ayant tenté d’exercer ses droits sur un territoire à propos duquel les négociations s’éternisent avec les autorités le sait très bien. Quand le bras armé de l’État frappe, quand son appareil judiciaire criminalise et emprisonne, il ne fait pas de distinction en fonction des croyances religieuses ou de l’absence de croyances religieuses des ennemis de l’État qui se trouvent sur son chemin. »
À travers ce magma, il convient de féliciter les organisations syndicales, dont la CSN et les fédérations représentant les enseignantes et enseignants des commissions scolaires, qui se sont prononcées contre le projet de loi 21 et ont exprimé leur volonté de défendre leurs membres qui subiront éventuellement les foudres de la police vestimentaire caquiste.
Disons-le clairement : les « valeurs » que le gouvernement caquiste prétend défendre, ce ne sont rien d’autre que les valeurs de la classe dominante. Quand François Legault dit que « c’est comme ça qu’on vit au Québec » pour justifier son projet de loi, il se porte à la défense du statu quo; il veut que la bonne business qui enrichit ses amis capitalistes se poursuive. Or, l’idée même que les travailleuses et les travailleurs partageraient des « valeurs communes » avec les capitalistes qui nous exploitent est un mensonge et une hypocrisie!
Comme l’ont toujours dit les maoïstes du PCR, les valeurs des capitalistes – la cupidité, la corruption, l’accaparement de la richesse sans bon sens – ne sont pas les nôtres : « Nos valeurs, à nous prolétaires, ce sont celles de l’égalité, de la solidarité et du combat. Notre aspiration, c’est de gagner notre libération! C’est de vivre dans un monde où il n’y aura plus d’oppression ni d’exploitation. Ces valeurs, elles s’incarnent dans la révolution qui mettra fin au capitalisme et qui établira notre pouvoir – le pouvoir ouvrier. En vérité, il n’y a pas d’autres valeurs que celles-là qui vaillent la peine que l’on se mobilise pour les faire prévaloir. »
À bas le projet de loi 21! Rendons-le inapplicable en pratique!

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