C’est fini. Fidel Castro, le “Líder máximo” qui dirigeait Cuba depuis 45 ans, s’est éteint paisiblement le 25 novembre.
Héros pour les uns, dictateur sanguinaire pour les autres, qu’en est-il vraiment ? Notre position n’a pas pour but de dresser un bilan définitif de la révolution cubaine, ni de l’histoire récente de l’île. Comme dans tout processus révolutionnaire, il est nécessaire d’adopter un point de vue de classe : oui, pour certaines personnes bénéficiant d’un système politique, le renversement de ce système sera vécu comme une horrible tragédie. Ce qui nous intéresse, ce sont les classes populaires de Cuba : ont-elles bénéficié du castrisme, et quel type de régime a-t-il été ? Communiste ? Socialiste ? Nationaliste ?
Castro dérange jusque dans sa mort. Les chefs d’état se divisent, certains voulant lui rendre hommage, d’autres non. Ainsi, les gouvernements vietnamien, nord-coréen, bolivien ou grec ont envoyé leurs condoléances, certains faisant le déplacement. Cette brochette de régimes n’ayant rien de communistes, ayant chacun à leur façon trahis leurs propres peuples, donne une idée de la situation. Mieux vaut parfois être seul que si mal entouré.
Quant aux régimes de l’OTAN, USA en tête, ils ont pris leurs distances. Si le marché intérieur cubain les intéresse, il faut encore garder les apparences, Cuba ayant longtemps représenté un puissant symbole anti-impérialiste à l’échelle mondiale.
Mais quel est le point de vue des communistes sur la révolution cubaine ? Nous autres maoïstes avons fait le bilan du révisionnisme moderne dans les années 60. Nous n’avons jamais eu d’illusions sur la révolution cubaine, nous n’entretenons pas un mythe comme peut le faire le PCF par exemple. Mais le maoïsme et le castrisme étant tous deux issus de révolutions ayant triomphé à la même période dans des pays semi-coloniaux, certaines personnes confondent ou mélangent les deux théories. Revenons sur quelques éléments historiques pour y voir plus clair.
Nous pouvons découper le castrisme en trois périodes : la révolution cubaine, la construction étatique pendant la guerre froide, et les réformes de la période contemporaine.
La révolution cubaine représente un moment historique héroïque mais très particulier. Castro s’est d’abord politisé dans différents pays d’Amérique latine, dont la Colombie. Dans ce pays comme à Cuba, des régimes autoritaires soutenus par les USA renversent par la force des gouvernements de gauche. Castro comprend que la bourgeoisie soutenue par l’impérialisme américain ne laissera aucune chance à des réformes passant par les élections, et se radicalise. Il est alors un nationaliste qui s’intéresse au marxisme mais ne se définit pas comme communiste. Après un premier échec lui valant un séjour en prison, il rencontre Ernesto « Che » Guevara au Mexique, et les deux révolutionnaires montent une expédition avec seulement 82 hommes et un bateau pour mener la révolution à Cuba. Parmi eux, 66 sont assez rapidement tués ou capturés. Tout semble fini avant d’avoir commencé.
Pourtant, le dictateur cubain Batista ne juge pas utile de traquer les survivants de l’expédition. Castro et ses hommes se replient dans la Sierra Maestra, obtiennent de plus en plus de soutien de la part des paysans, développent des contacts puis des cellules dans les villes, les encerclant par les campagnes. Au terme d’une lutte courageuse (de décembre 1956 à décembre 1958), les révolutionnaires prennent le pouvoir à Cuba. Plusieurs raisons expliquent ce succès : la détermination des combattantes et des combattants, bien sûr, mais aussi la faiblesse du régime de Batista, miné par une corruption généralisée et lâché par les USA, les erreurs stratégiques de celui-ci, ainsi que l’excellente image médiatique dont bénéficient les troupes de Castro.
Un embryon de guerre populaire triomphant dans une situation exceptionnelle est donc transformé en légende révolutionnaire. De cette mauvaise analyse de l’expérience cubaine naîtront des théories comme le castrisme et le guevarisme (ou « foquisme »), qui iront d’échec en échec, conduisant à la mort tragique mais prévisible de Che Guevara en Bolivie.
Néanmoins, des mesures populaires sont mises en œuvre : réforme agraire au bénéfice de la paysannerie par l’expropriation des grands propriétaires terriens ; expropriations des entreprises de la bourgeoisie compradore et des impérialistes américains ; accès gratuit à l’éducation, à la santé, aux transports et à la culture ; tout le monde à accès à un logement et un travail ; lutte contre le machisme et le racisme. Ces mesures améliorent considérablement les conditions de vie de la paysannerie et de la classe ouvrière et constituent une rupture radicale avec les conditions de vie sous Batista. La méthode utilisée est cependant trop bureaucratique, reposant plus sur des décrets que sur la mobilisation des masses populaires pour leur mise en œuvre.
Ensuite vient la période de la guerre froide pour l’île, de la crise des missiles de Cuba et du choix d’une dépendance économique de plus en plus importante vis-à-vis de l’URSS : Cuba produit du sucre pour le bloc soviétique, et plus que du sucre. Des biens de base et des machines sont importées massivement. Mais Castro, s’il se prétend alors marxiste-léniniste pour faciliter son intégration dans le bloc, reste avant tout un nationaliste. Quand l’URSS et la Chine populaire s’affrontent sur la question du révisionnisme, il refuse de choisir un camp : pour les maoïstes, cette position est « centriste », coincée entre deux chaises par opportunisme. Il s’agit bien sûr d’une conséquence de la dépendance économique de Cuba. Che Guevara, peu avant sa mort, avait rendu hommage à la révolution chinoise et les choses auraient pu aller dans un autre sens. Avec sa disparition le soutien cubain aux mouvements de libération en Amérique et en Afrique diminue aussi largement.
Les réformes continuent et se généralisent durant cette période, mais il n’y a pas de direction générale, de stratégie révolutionnaire guidant le pays vers le communisme : n’étant pas autonome, il ne peut pas « marcher sur ses deux jambes » et tracer sa propre voie.
De leur côté, les impérialistes américains ne peuvent tolérer cet état socialiste à leur porte. Ils attaquent Cuba systématiquement, mettant en place un blocus très dur, tentant d’assassiner les dirigeants, sabotant des installations, désinformant massivement et allant jusqu’à organiser une invasion militaire anticastriste se concluant par une défaite lors du débarquement de la Baie des Cochons. Castro construit alors toute sa propagande autour de cette menace impérialiste, bien réelle dans les années 60. L’anti-impérialisme de Castro est donc bancal puisqu’il s’axe sur la menace impérialiste la plus directe mais ne questionne pas le social-impérialisme soviétique ni la base idéologique sur lequel celui-ci s’appuie : le révisionnisme.
Seulement, les choses changent petit à petit, et le monde évolue. Le révisionnisme soviétique finit par s’effondrer. Et la situation de Cuba se détériore. Les travailleurs ne sont plus ou mal payés, les services sont de pire en pire, toute contestation est durement réprimée, et une monnaie réservée aux touristes est mise en place, dont l’économie de l’île devient de plus en plus dépendante. Les politiques sociales se dégradent petit à petit alors que le gouvernement de Castro s’enferme dans sa tour d’ivoire, attribuant tous les problèmes à l’impérialisme américain et au violent embargo que ce dernier impose à Cuba sans reconsidérer sa stratégie.
Nous connaissons ainsi de nombreux révolutionnaires sincères, ayant visité Cuba dans les dernières décennies, pour participer aux brigades de travail ou comme simples voyageurs. Celles et ceux qui ne s’aveuglent pas volontairement sont surpris par la misère, entraînant criminalité, vente de drogue, prostitution forcée et corruption. Si la culture gratuite et populaire est encore une exception cubaine, même le système de santé qui faisait la fierté de l’île est en train de se dégrader. La libéralisation de l’économie que certains anticastristes attendaient ne signifie pas la liberté collective : comme partout, les inégalités s’accordent très bien avec un régime répressif et antipopulaire. Derrière le symbole de résistance, la réalité de l’exemple cubain a fait son temps. Les classes sociales n’ont bien sûr pas été abolies par le révisionnisme. Loin de là. La classe ouvrière et la paysannerie sont aujourd’hui durement touchées par l’ouverture du marché aux capitaux étrangers.
Nous saluons la Révolution Cubaine et le rôle qu’a joué Castro dans cette révolution anti-impérialiste et démocratique ayant permis l’émancipation de Cuba du contrôle américain et qui fut base de nombreuses avancées sociales. Nous sommes néanmoins critiques de la direction qu’a pris la direction du Parti Communiste de Cuba avec à sa tête Castro de s’aligner derrière l’URSS pour se protéger de la menace d’intervention américaine. Cette ligne erronée a rendu l’économie cubaine déséquilibrée et a empêché le développement du socialisme, conduisant nécessairement à la restauration du capitalisme. Cela a conduit Cuba à se rapprocher des impérialismes russe et chinois après la chute de l’URSS. L’exemple révolutionnaire cubain n’est ainsi pas pour nous le phare de la lutte anti-impérialiste et Cuba, dès sa mise en orbite de l’URSS, ne pouvait plus être considéré comme pays socialiste en raison de la direction stratégique adoptée. Cette lutte est par contre riche d’enseignements pour les révolutionnaires, permettant de comprendre les dynamiques brutales de l’impérialisme et les problèmes stratégiques que rencontrent toute lutte de libération nationale.