Depuis
2017, les grèves de femmes de chambre se sont multipliées dans les
grands hôtels un peu partout en France. Alors que les grèves sont
habituellement rares dans ce secteur d’activité, ces trois dernières
années, des centaines de travailleuses, pour la plupart immigrées, ont
osé relever la tête et affronter directement les patrons des hôtels qui
les exploitent.
Tout
a commencé en octobre 2017, quand les femmes de chambre de l’hôtel
Holiday Inn de Porte de Clichy se sont mises en grève suite à la
mutation arbitraire de deux d’entre elles. Pendant plus de trois mois,
elles ont tenu des piquets de grève tous les jours, jusqu’à obtenir une
prime de panier repas et une hausse de salaires. Bien sûr, il y avait
déjà eu des grèves de femmes de chambre dans le passé, mais celle-ci,
par sa durée (111 jours !) et son intensité, a marqué le début d’un
mouvement dans de nombreux hôtels. Alors, un an plus tard, quand les
femmes de chambre de l’hôtel de luxe Hyatt à Paris se sont mises
massivement en grève, pour revendiquer de meilleurs salaires et de
meilleures conditions de travail, mais aussi pour contester le régime de
sous-traitance auquel elles sont soumises, d’anciennes grévistes du
Holiday Inn de Porte de Clichy sont naturellement venues les soutenir et
leur dire « si nous avons pu gagner, vous le pouvez aussi ! ».
Cette grève à l’hôtel Hyatt de Paris, tout proche de la place Vendôme,
est tout simplement historique. Elle s’est déroulée dans les quartiers
les plus riches de la capitale, sur le parvis d’un hôtel où des
bourgeois payent plus de 1500€ la nuit. Les grévistes, majoritaires
parmi les femmes de chambre, employées par la société de nettoyage STN à
qui Hyatt délègue la gestion du ménage, ont fait grève pendant 87
jours, malgré les pressions de la direction de l’hôtel, les
interventions quasi-quotidiennes de la police pour les déloger du piquet
de grève et l’agression très violente de deux grévistes par des agents
de sécurité de l’hôtel. Pour autant, ces femmes n’étaient pas seules,
car une bonne partie du personnel de l’hôtel, notamment les
réceptionnistes, étaient solidaires de leur lutte. Chaque jour, ces
femmes venaient tenir un piquet de grève de 10h à 15h, et malgré la très
importante perte de salaire, les femmes de chambre étaient encore 41 à
faire grève au bout de 87 jours, sur les 58 en grève au début du
mouvement.
Cette
grève a été vécue comme un affront tant par la direction de l’hôtel que
par les riches
clients. Habituellement, ces femmes sont invisibles, les
bourgeois, qui n’ont à leur égard que du mépris, attendent d’elles
qu’elle fassent le ménage rapidement et pour un salaire de misère. En se
mettant en grève, en tenant tous les jours des piquets de grève devant
l’hôtel, c’est à dire dans un quartier de Paris où, pour la bourgeoisie,
les prolétaires n’ont rien à faire, si ce n’est travailler à son
service, ces femmes lui ont montré que tout se paye, et que là où il y a
oppression, il y a résistance. Par leur lutte, ces femmes ont notamment
obtenu l’inscription dans leur contrat de travail avec la STN la prise
en charge à 100% de leur abonnement aux transports en commun ainsi que
le versement d’un 13ème mois de salaire.
Cette
grève héroïque des femmes de chambre de l’hôtel Hyatt de Paris-Vendôme,
comme celle du Holiday Inn de Porte de Clichy, ont donné des idées aux
travailleuses d’autres hôtels. Ainsi, en novembre 2018, les femmes de
chambre de l’hôtel Marriott à Marseille ont fait trois journées de grève
pour revendiquer un 13ème mois et le payement effectif des heures
supplémentaires avec une majoration. Soutenues par le syndicat CNT-SO,
chaque matin pendant trois jours, ces femmes se réunissaient sous les
fenêtres de l’hôtel pour un concert de casseroles, réveillant ainsi les
riches clients de l’établissement. Technique très efficace, puisque le
15 novembre, après seulement trois jours de grève, elles ont obtenu gain
de cause.
Il
n’y a pas que dans les luxueux hôtels Marriott et Hyatt que les femmes
de chambre sont entrées en lutte. Le 21 mai 2019, les femmes de chambre
des hôtels Campanile et Première Classe du Pont-de-Suresne, en banlieue
parisienne, se sont également mises en grève. Elles revendiquaient
notamment des augmentations de salaire, le passage de certains temps
partiels à temps plein et la requalification de CDD en CDI. Après 32
jours de grève, ces femmes ont obtenu gain de cause : passage à temps
plein pour plusieurs travailleuses à temps partiel, augmentation de
salaires pour les femmes à temps plein, embauche en CDI pour deux femmes
qui étaient en CDD et requalification en gouvernante d’une femme inapte
au poste de femme de chambre. Comme à l’hôtel Hyatt de Paris, ces
femmes ont montré que tout s’obtient par la lutte, et qu’il faut oser
lutter et oser vaincre, comme le disait le Président Mao Zedong.
Bien
sûr, parfois, ces femmes en lutte n’obtiennent pas gain de cause. Ça a
été le cas notamment en 2019 à l’hôtel NH Collection de Marseille. Après
167 jours de grève contre la société Elior, sous-traitant de l’hôtel NH
Collection, les femmes de chambre ont mis fin à leur grève, sans que
leur direction cède à leur revendications. Mais ce n’est pas le
principal, car ces femmes, par leur lutte, se sont organisées, ont
montré à leurs patrons qu’elles étaient prêtes à lutter pour leurs
droits et ont tenu pendant de longs mois. Elles ont relevé la tête face à
l’exploitation quotidienne, face aux conditions de travail difficiles,
face au mépris de la bourgeoisie, face aux salaires qui permettent à
peine de survivre. Par leur lutte, et bien qu’elles n’aient pas obtenu
gain de cause, elles ont montré l’exemple à tous les travailleurs.
Aujourd’hui, la lutte des femmes de chambre n’est pas terminée, puisqu’à l’hôtel Ibis
Batignolles, dans le 17ème arrondissement de Paris, les femmes de
chambre sont encore en grève, et ce après 18 mois d’un mouvement qui a
commencé en juillet 2019 et qui est d’ores et déjà la plus longue grève
de l’histoire de l’hôtellerie en France. Dans cet hôtel, 19 femmes et un
homme luttent donc depuis plus d’un an et demi pour mettre fin à la
sous-traitance, qui rime pour elles avec maltraitance. Ces femmes
souhaitent en effet être recrutées directement par l’hôtel Ibis,
propriété du groupe Accor, et non travailler pour la société STN, à qui
Ibis sous-traite le nettoyage.
Après
ces très longs mois de grève, ces femmes ne lâchent pas. Elles
continuent à tenir très régulièrement des piquets de grève devant
l’hôtel, elles organisent des évènements pour financer leur caisse de
grève, et elles participent à toutes les manifestations, aux côtés de
travailleurs d’autres secteurs en lutte. Dans un reportage du média Reporterre,
une d’elles dit qu’elle ne veut pas rentrer chez elle et dire à ses
enfants qu’elle a abandonné. Ces femmes montrent donc qu’elles sont
déterminées à lutter jusqu’au bout. Dans ce même reportage, nous voyons
d’ailleurs qu’elles ont une grande conscience de leur appartenance au
prolétariat, puisqu’une d’entre elles affirme haut et fort que la
fortune de Sébastien Bazin, patron du groupe Accor, est bâtie sur leur travail.
Cette
grève a également été l’occasion d’une intense lutte des lignes entre
ces femmes, organisées au sein de la CGT HPE (hôtels de prestige et
économique), et des bureaucrates opportunistes, notamment membres de
l’Union Départementale CGT de Paris, mais aussi de représentants
syndicaux de la CGT propreté de l’hôtel Ibis Batignolles. Au début de la
grève, la direction de l’hôtel s’est en effet appuyée sur le syndicat
CGT propreté de l’hôtel (un syndicat distinct de la CGT HPE) pour tenter
de convaincre une à une les femmes de chambre que la grève ne servait à
rien, et que si elles continuaient, elles allaient se faire licencier.
Les représentants de la CGT propreté ont même appelé les maris des
femmes de chambre, afin qu’ils convainquent leurs épouses de cesser la
grève. Du côté de l’UD CGT de Paris, cela n’est pas mieux, et des
bureaucrates haut placés dans le syndicat ont fait circuler pendant des
mois des rumeurs selon lesquelles les femmes de chambre ne souhaitaient
pas réellement faire grève mais étaient instrumentalisées par Tiziri
Kandi, membre très active de la CGT HPE.
Ce n’est pas nouveau, et cela montre la division très importante qui
existe entre la base de la CGT, composée de travailleurs souvent
déterminés à lutter, et les instances de direction de ce syndicat,
notamment les Unions Départementales, mais aussi la Confédération, et la
direction de certaines Fédérations, instances trop souvent composées de
bureaucrates qui réfléchissent et agissent comme des politiciens
opportunistes, et non comme des syndicalistes désireux de mener la lutte
des classes du côté des travailleurs. Il faut donc absolument briser ce
discours mensonger selon lequel il existerait une unité de la CGT.
Cette unité n’existe pas, et elle ne pourra pas exister tant que des
opportunistes utiliseront la CGT pour servir leurs propres intérêts,
elle ne pourra donc pas exister tant que les centaines de milliers de
travailleurs syndiqués ne se seront pas organisés pour mener la lutte
des lignes au sein du syndicat, et pour dégager les bureaucrates
opportunistes qui se construisent une carrière au détriment des intérêts
des travailleurs. Il s’agit là encore et toujours d’une question de
direction : partout où ils agissent, les révolutionnaires doivent être
capables de prendre la direction des luttes, et donc bien souvent des
syndicats, afin de retirer cette direction des mains des opportunistes.
Aujourd’hui,
à l’hôtel Ibis Batignolles, les femmes de chambre ont remporté cette
lutte des lignes contre l’UD CGT de Paris et le syndicat CGT propreté de
l’hôtel, puisqu’après un an et demi de mobilisations, malgré les
intimidations, les mensonges, les pressions, les rumeurs, elles sont
toujours là, déterminées à lutter pour leurs conditions de vie et de
travail.
Ces
nombreuses grèves dans des hôtels nous montrent que quand les femmes
prolétaires se mettent en lutte, rien ne peut les arrêter. Ces grèves,
qui sont menées très majoritairement par des femmes immigrées,
originaires d’Afrique sub-saharienne, nous montrent également que la
lutte des femmes fait partie de la lutte des classes, mais aussi que les
personnes originaires de pays dominés par l’impérialisme français sont
prêtes à lutter, que ce soit sur le territoire de ces pays comme sur le
territoire de l’État français. En effet, si ces emplois précaires,
difficiles et mal payés sont réalisés très majoritairement par des
femmes immigrées, ce n’est pas un hasard : les capitalistes, qui rendent
des pays entiers invivables par les guerres et le pillage des
ressources, sur-exploitent violemment les populations originaires de ces
pays quand celles-ci émigrent en direction du territoire des puissances
impérialistes. Ainsi, la violence de l’impérialisme touche le
prolétariat dans les pays dominés, mais également le prolétariat faisant
partie de la diaspora de ces pays.
À l’approche du 8 mars, journée internationale de lutte des femmes
prolétaires, les femmes de chambre qui relèvent la tête face aux
humiliations, face aux bas salaires, face au mépris, face aux difficiles
conditions de travail, face parfois aux agressions sexuelles de la part
de clients bourgeois, sont un exemple à suivre pour toutes les femmes
prolétaires !