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La conférence de ce soir porte sur ce que nous avons appelé la spécificité du féminisme prolétarien.
Si cette question mérite d’être abordée en tout temps, c’est d’autant
plus opportun de le faire alors que l’on s’apprête à célébrer la journée
internationale des femmes ouvrières et qu’un effort de mobilisation
important est en cours à Montréal en vue de la manifestation appelée par
le Parti communiste révolutionnaire (PCR).
La notion ou le concept de féminisme prolétarien fait
l’objet d’appréciations et de positionnements divergents au sein du
mouvement communiste (maoïste) international. Pour ce qui est du PCR, le
terme est apparu officiellement en 2003, au moment où le deuxième
congrès ce qui était alors le PCR(co) [1] a adopté le chapitre de son programme consacré à la lutte des femmes.
Initialement, dans la version préliminaire de ce
chapitre, on ne parlait pas encore de féminisme prolétarien; au
féminisme bourgeois et réformiste, on y opposait «la construction d’un
mouvement des femmes du prolétariat, regroupant les travailleuses, les
chômeuses, les assistées sociales, mères monoparentales et immigrantes
des milieux populaires, les organisations politiques de la classe
ouvrière, les femmes des organisations de jeunes et d’immigrantes qui
ont une orientation prolétarienne». L’objectif de ce mouvement devait
être de «mobiliser toute la puissance des femmes dans la lutte contre le
capitalisme […] pour assurer le triomphe de la révolution
prolétarienne, mais aussi pour faire avancer dès aujourd’hui la lutte
idéologique contre les inégalités, le sexisme et le chauvinisme qui
existent encore chez les hommes du prolétariat»
.
.
Depuis 2003, notre programme présente la construction de ce mouvement comme la concrétisation d’une nouvelle étape: le féminisme prolétarien révolutionnaire.
Même si d’aucuns ont prétendu – à tort – que le chapitre consacré à la
lutte des femmes est «faible» et insuffisamment développé, on y retrouve
au contraire une orientation forte, apte à guider le travail et les
activités du parti et de ses militantes et militants. [2]
Cette orientation a d’ailleurs inspiré la mise de l’avant de
perspectives politiques et organisationnelles conséquentes, comme
l’appel à la création de fronts féministes prolétariens et révolutionnaires et leur éventuelle mise sur pied.
La conception du féminisme prolétarien que l’on
retrouve dans le programme du PCR n’est pas nécessairement la même que
celle qui est défendue par d’autres partis, organisations ou collectifs,
dans le mouvement maoïste ou plus largement, qui vont certes parler de
féminisme prolétarien ou révolutionnaire, voire dans certains cas de mouvement féminin populaire,
mais dans une optique plus ou moins différente. Il règne en fait une
confusion certaine, au sein du mouvement, autour de cet enjeu – que nous
allons tenter de dissiper – et une absence d’unité ou de compréhension
commune.
Le féminisme prolétarien dans l’histoire
La notion de féminisme prolétarien, la conception qui
la sous-tend et la pratique qu’elles induisent ne sont évidemment pas
apparues avec le programme du PCR – loin s’en faut! Elles existent
depuis longtemps – depuis plus d’un siècle, en fait – au sein du
mouvement communiste.
Le premier usage connu de l’expression «féminisme
prolétarien», littéralement, on le retrouve chez Mariátegui, le
fondateur du Parti communiste péruvien. José Carlos Mariátegui est un
révolutionnaire marxiste reconnu, qui s’est notamment distingué par ses
travaux sur le «problème indien» et sur l’oppression des femmes. Il
est l’auteur de deux importants essais, La Mujer y la Política («Femmes et politique») et Las Reivindicaciones Feministas («Les
revendications féministes»), dans lesquels il présente une conception
du mouvement des femmes et du féminisme dont on peut dire qu’elle est
assez proche de celle que le PCR défend aujourd’hui.
Quand il réfère au féminisme, Mariátegui n’en parle pas tant comme un corpus idéologique ou une théorie, mais comme un mouvement:
le mouvement de lutte pour l’émancipation des femmes. Ainsi, le
féminisme n’est pas apparu artificiellement ou arbitrairement; son
émergence a été «une conséquence des nouvelles formes de travail
intellectuel et manuel des femmes» [3].
Voici comment il définit l’essence de ce qu’est le mouvement féministe:
«Personne ne devrait s’étonner que les femmes ne
se rassemblent pas toutes dans un seul mouvement. Le féminisme prend
nécessairement plusieurs couleurs et se décompose en différentes
tendances. Nous pouvons distinguer, au sein du féminisme, trois
tendances – ou couleurs – fondamentales: le féminisme bourgeois, le
féminisme petit-bourgeois et le féminisme prolétarien. Chacun de ces
féminismes formule ses revendications de manière différente. Le
féminisme de la femme bourgeoise se solidarise avec les intérêts de la
classe conservatrice. La femme prolétaire associe son féminisme à la foi
des multitudes révolutionnaires dans la société future. La lutte des
classes – qui est un fait historique et non une prétention théorique –
se reflète sur le plan du féminisme. Les femmes, comme les hommes,
peuvent être réactionnaires, centristes ou révolutionnaires. Il est donc
impossible qu’elles mènent ensemble la même bataille. Dans le panorama
humain actuel, la classe différencie les individus davantage que le
sexe.» [4]
Pour l’essentiel, cela nous apparaît constituer une
définition fort juste de ce qui constitue l’essence du féminisme, et du
féminisme prolétarien plus spécialement. Retenons en particulier les
notions de mouvement et de lutte, au cœur de cette
définition. Le féminisme de Mariátegui ne se veut pas un corpus
idéologique ou théorique qui viserait à unifier un processus ou un
phénomène multi-classiste, mais un mouvement réel, ancré dans la lutte
des classes et traversé par elle. Les intérêts qui fondent les
différentiations de classes font émerger des catégories et des
mouvements tout aussi opposés et différents, d’où l’existence d’un
féminisme prolétarien.
Si Mariátegui a été le premier à en parler en ces
termes, le féminisme prolétarien, comme mouvement, a existé avant lui.
Comme bien d’autres, Mariátegui a été largement et positivement
influencé par la révolution d’Octobre et par l’action des militantes et
militants bolchéviques qui ont fait naître le premier État de dictature
du prolétariat. Or, le mouvement révolutionnaire des femmes du
prolétariat s’était fortement affirmé en Russie, avant, pendant et après
le triomphe de la révolution d’Octobre, et s’était traduit par des
avancées politiques et organisationnelles exceptionnelles.
Parallèlement, dans tous les pays où les femmes
avaient commencé à intégrer le marché du travail, les luttes des
travailleuses émergeaient là aussi à l’avant-plan des combats contre
l’exploitation. C’est d’ailleurs ce qui a donné lieu à la création de la
journée internationale des femmes, désormais célébrée le 8 mars. Que ce
soit aux plans théorique ou pratique, ce n’est évidemment pas le
mouvement maoïste contemporain qui a fondé le féminisme prolétarien; il
est issu de la lutte des classes et de l’action du mouvement communiste à
l’époque de Lénine, dont Mariátegui a été un disciple.
Quand on parle de féminisme prolétarien au PCR, c’est
à tout cet héritage que l’on se rattache. Dès la naissance du
féminisme, le mouvement des femmes s’est scindé, objectivement, donnant
naissance à des organisations et des luttes différentes, caractérisées
par des intérêts de classe divergents. Contrairement à ce que certains
laissent entendre, le féminisme prolétarien n’est pas une évolution
contemporaine d’un mouvement global et unique ayant progressé au fil du
temps. Dans le mouvement maoïste pris au sens large – y compris, voire
surtout dans le «maoïsme» opportuniste comme celui qu’on connaît au
Canada –, le féminisme prolétarien est trop souvent présenté comme une
nouvelle étape du mouvement féministe.
Les études académiques et non-marxistes sur le
mouvement des femmes présentent généralement son développement comme
ayant été le fait d’une série de «vagues» qui se seraient succédées.
Selon cette façon de voir, la première vague correspond à l’apparition
du féminisme au début du 20e siècle: on pense alors surtout
au mouvement des suffragettes, dirigé par des femmes de la bourgeoisie.
Le féminisme de la «deuxième vague», par la suite, fait référence à la
période amorcée vers la fin des années 1960, marquée par une plus grande
préoccupation à l’égard de la sexualité, la famille, la violence et la
procréation, et qui a vu l’émergence d’un féminisme dit «radical». Plus
récemment, l’inclusion au sein du féminisme de la notion d’intersectionnalité et des concepts postmodernes comme le transféminisme aurait fait naître une «troisième vague».
Aujourd’hui, certaines personnes ou organisations
associent le féminisme prolétarien à une «quatrième vague» du féminisme,
voire un «féminisme de la troisième vague» revu et amélioré. Le
féminisme prolétarien serait alors ni plus ni moins que le résultat
d’une progression, faite à la fois de continuités et de ruptures
dirions-nous, dans la lignée du féminisme originel. Cette vision des
choses postule l’existence d’un féminisme unique et totalisant, qui
s’est développé principalement sur l’axe de la contradiction femme-homme
et de la lutte contre les rapports sociaux de sexe (ou désormais de
«genre»). Le féminisme prolétarien serait ainsi, en quelque sorte, un féminisme radical radicalisé.
Il s’agit là d’une vision totalement opposée à celle que l’on retrouve
dans la tradition marxiste, pour qui il n’y a jamais eu un seul et
unique mouvement des femmes, ou un seul féminisme global et totalisant.
Le JENOTDEL, une expérience fondatrice
La première expérience de traduction du féminisme
prolétarien, tel qu’on le conçoit, sous une forme aboutie aux plans
politique, organisationnel, revendicatif et propagandiste est sans doute
celle du Jenotdel, ou le Département pour le travail parmi les femmes du Parti communiste (bolchevik) de Russie. [5]
Créé en 1919, le Jenotdel a existé pendant une dizaine d’années, avant
d’être dissous en 1930. Il a été dirigé par des femmes remarquables,
dont Inès Armand, Alexandra Kollontaï, Sofia Smidovitch, Klavdia
Nikolaïeva et Aleksandra Artioukhina.
Le but officiel du Jenotdel était d’éduquer les
femmes dans l’esprit du socialisme et de les impliquer dans la direction
de l’économie et de l’État; de coordonner le processus de
transformation des institutions du mariage et de la maternité; et de
«changer les conditions de vie». Il s’est intéressé à tous les aspects
de la vie des femmes du prolétariat et de la paysannerie dans la Russie
révolutionnaire et a acquis une énorme influence en s’affirmant comme un
lieu d’organisation, d’éducation et de mobilisation des masses
féminines.
À son apogée en 1926-1927, le Jenotdel organisait quelque 620 000 déléguées [6], dont une majorité de jeunes; il publiait une revue théorique mensuelle, La Communiste, et un magazine à grand tirage, La Travailleuse.
Il a été au centre des grandes batailles pour transformer la société,
conquérir et défendre des gains incomparables pour les femmes
prolétaires et paysannes – des gains qui n’étaient même pas
envisageables à cette époque dans les pays capitalistes, comme
l’interdiction du travail de nuit, la création d’un congé de maternité,
l’égalité du salaire minimum, le principe d’un salaire égal pour un
travail égal, le droit au divorce et à l’avortement (la République
socialiste fédérative soviétique de Russie a été le premier État au
monde à légaliser l’interruption de grossesse en 1920), etc.
Dans le contexte d’une société révolutionnaire dans
laquelle le prolétariat venait de conquérir le pouvoir, le Jenotdel a
permis aux femmes prolétaires de prendre leur place et d’impulser les
transformations que cette prise du pouvoir rendait possible. Cette
question de l’exercice du pouvoir et de la participation à la direction
de la société révolutionnaire – une société basée sur le pouvoir ouvrier
– par les femmes prolétaires est au cœur de la notion de féminisme
prolétarien.
Créé au sein du Parti communiste (bolchevik) de
Russie, le Jenotdel s’inscrivait aussi dans l’action impulsée par
l’Internationale communiste. La grande révolutionnaire allemande, Clara
Zetkin, y a joué un rôle important pour promouvoir l’organisation et la
lutte des femmes prolétaires dans l’ensemble du mouvement communiste.
Impliquée à l’origine dans la Deuxième
Internationale, Zetkin a présidé à l’organisation des deux premières
conférences internationales des femmes socialistes: la première en août
1907 à Stuttgart, la seconde en 1910 à Copenhague. C’est d’ailleurs à
cette occasion qu’elle a proposé la création de la journée
internationale des femmes. Elle devait par la suite assumer le même rôle
de direction sur la question des femmes au sein de la Troisième
Internationale, après sa création en 1919.
Sans jamais utiliser l’expression «féminisme
prolétarien», Clara Zetkin a néanmoins développé une approche similaire à
celle que devait par la suite formuler le révolutionnaire péruvien
Mariátegui, qui mettait au premier plan la question des classes. Dans un
article publié en 1896, elle écrivait déjà:
«Il y a une question féminine pour les femmes du
prolétariat, de la bourgeoisie, de l’intelligentsia et de
l’aristocratie. Elle adopte une forme différente selon la situation de
classe de chacune de ces strates. […] En ce qui concerne la femme
prolétarienne, c’est le besoin du capitalisme d’exploiter et de chercher
sans cesse une force de travail bon marché qui a créé la question
féminine. […] Par conséquent, la lutte de libération de la femme
prolétarienne ne peut pas être similaire à celle que la femme bourgeoise
mène contre le mâle de sa classe. Au contraire, ce doit être une lutte
conjointe avec le mâle de sa classe contre la classe entière des
capitalistes.» [7]
Quelles spécificités?
Comme on l’a vu, la conception du féminisme
prolétarien qui est celle du PCR est apparue, à l’origine, dans son
programme de 2003. Elle a été développée par la suite dans un certain
nombre de textes ou d’articles [8]
et bien sûr dans sa pratique. Elle reste sans doute à l’être encore
plus, bien qu’elle demeure fondamentalement juste. On y retrouve, au fil
du temps, la, ou plutôt les spécificités qui caractérisent selon nous
le féminisme prolétarien.
D’abord, il y a la question de classe, totalement déterminante.
Cela est clairement formulé dans le programme du parti: «Les femmes ne
sont pas un groupe homogène ou déterminé uniquement par leur genre:
leurs conditions matérielles d’existence sont déterminantes dans leur
conscience de classe.» Contrairement au féminisme bourgeois et
réformiste, qui a toujours situé les questions sur lesquelles il
intervient en-dehors de la lutte des classes, le PCR insiste sur la
différence fondamentale induite par les contradictions de classes. C’est
ce qui fonde sa conception du féminisme prolétarien et révolutionnaire.
Le féminisme prolétarien reconnaît que la
contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat est la
contradiction fondamentale et principale, qui détermine toutes
les autres contradictions qui traversent la société capitaliste. Les
rapports et le mode de production capitalistes sont en tous points
décisifs dans les conditions des personnes et la reproduction des
classes.
Ensuite, il y a la conception du féminisme comme un mouvement.
On l’a vu précédemment, lorsque notre programme affirme que «notre
perspective générale est celle de la construction d’un mouvement des
femmes du prolétariat». Le PCR rejette la conception d’un féminisme
conçu comme une idéologie visant à rassembler ou unifier la totalité des
femmes.
Le féminisme prolétarien, c.-à-d. le mouvement des femmes du prolétariat, participe du mouvement pour la révolution.
L’idée même de la primauté de la lutte de classes induit un horizon –
celui du socialisme et du pouvoir ouvrier – dans lequel ce sont les
femmes du prolétariat qui seront à même d’imposer leur aspiration à
l’émancipation et à l’égalité. Un mouvement basé sur les femmes
prolétaires et ancré dans la lutte de classes est nécessairement appelé à
adopter une perspective révolutionnaire et à s’inscrire dans le
mouvement plus global pour transformer la société.
Le féminisme prolétarien se traduit obligatoirement par un vaste travail d’organisation. À
la suite de la création du PCR en 2007, le parti a impulsé la création
de groupes basés sur le féminisme prolétarien; à Montréal, cela a pris
la forme du Front féministe prolétarien et révolutionnaire. Après la
mise sur pied de groupes plus ou moins similaires dans d’autres villes
et d’autres provinces, une première conférence pancanadienne a été
organisée, à la fin de l’année 2013, afin d’unifier les points de vue de
ces divers groupes et de susciter la création de fronts ou de
collectifs de femmes prolétaires dans le plus grand nombre d’endroits.
La conférence s’est conclue par l’adoption d’un
manifeste qui, pour l’essentiel, représentait une tentative positive
d’application du programme du parti et de sa conception du féminisme
prolétarien. [9]
Il était néanmoins marqué par certaines ambigüités et quelques
incohérences, à la suite d’amendements ayant été formulés de façon
spontanée à la conférence elle-même. Dans les jours qui ont suivi la
tenue de cet événement, certaines participantes, qui n’avaient pas osé
s’opposer de front au manifeste, l’ont attaqué et s’en sont dissociées,
avec l’appui de leurs camarades masculins.
Rétrospectivement, on peut dire que cette levée de
boucliers d’un certain nombre d’éléments opportunistes fut la première
salve de ce qui s’est avéré par la suite une offensive débridée contre
le programme et la ligne stratégique du parti, qui s’est conclue comme
on le sait par la scission que le PCR a connue il y a deux ans. Les
notions étrangères au marxisme, que certaines personnes ont tenté
d’introduire au sein du parti dans la foulée de la conférence de 2013
sur la question des femmes, on les a ensuite systématiquement retrouvées
dans les propositions que la clique opportuniste a présentées trois ans
plus tard, lors du congrès de 2016.
En appelant à «regrouper et unir les femmes du
prolétariat» et à reconnaître «la réalité des classes et ce faisant, la
nécessité de lier la lutte pour la libération des femmes à celle contre
l’exploitation capitaliste et impérialiste», le manifeste proposait une
orientation globalement juste au travail d’organisation des divers
groupes rassemblés à la conférence. Il appelait à l’organisation de
groupes militants de femmes prolétaires, et non à la constitution de
collectifs de réflexion sur le féminisme de troisième ou de quatrième
vague, comme certaines l’avaient souhaité.
Le manifeste exprimait aussi la volonté d’inscrire le
mouvement dans une stratégie de lutte offensive contre la bourgeoisie.
On y favorisait notamment des moyens de lutte et d’action favorisant la séparation et la confrontation entre le prolétariat et la bourgeoisie,
dans la rue et les manifestations. Il s’agit selon nous là encore d’une
spécificité du féminisme prolétarien, qui rejoint d’ailleurs la
conception de l’action révolutionnaire parmi les masses promue par le
PCR. [10]
Cela dit, le simple fait d’adopter une posture
militante n’est évidemment pas suffisant, en soi, pour caractériser le
féminisme prolétarien; si ça se traduit uniquement par un féminisme
bourgeois ou petit-bourgeois plus «radical», on ne peut parler de
féminisme prolétarien – le caractère de classe demeure fondamental pour
le définir.
Ce caractère de classe du féminisme prolétarien ne doit pas seulement exister au niveau du discours. Le
travail d’organisation et de propagande doit se déployer largement
parmi les masses, dans les lieux où les travailleuses se retrouvent et
sont concentrées, que ce soit dans les usines, les entreprises
de services, les quartiers populaires, etc. Et le contenu de cette
propagande ne doit pas seulement aborder les revendications que l’on dit
«spécifiques» aux femmes; il doit aussi embrasser toutes les questions
susceptibles de les toucher.
Cela rejoint ce qu’écrivait Clara Zetkin dans
l’article cité plus haut: «Nous ne devons pas mener une propagande
spéciale pour les femmes, mais une campagne socialiste parmi les femmes.
[…] La propagande vis-à-vis des femmes doit toucher à toutes ces
questions extrêmement importantes du mouvement prolétarien général.»
Enfin, un dernier élément à retenir, c’est qu’il
revient au parti d’avant-garde de la classe ouvrière – le parti
communiste marxiste-léniniste-maoïste – de diriger le travail
d’organisation, de propagande et de «construction d’un mouvement des
femmes du prolétariat», pour reprendre la formulation du
programme du PCR. Ce mouvement acquiert toute sa force et atteint son
potentiel lorsqu’il est dirigé par cet instrument qui est au cœur du
combat révolutionnaire et par la suite, de la construction et la
direction de la nouvelle société.
Féminisme prolétarien et opportunisme
Comme on l’a mentionné, la conférence de 2013
organisée à l’initiative du Front féministe prolétarien et
révolutionnaire de Montréal a marqué le début d’une offensive politique
prolongée contre le chapitre 8 du programme du parti, et éventuellement
contre ce qui est au cœur de tout son programme, soit sa ligne
stratégique.
Certaines participantes, provenant principalement
d’Ottawa, ont commencé à critiquer le manifeste dès le lendemain de son
adoption. À travers cette critique, elles ont tenté d’introduire dans le
parti des notions étrangères au marxisme, inspirées notamment du féminisme queer.
Même si elles n’avaient pas osé s’y attaquer frontalement à la
conférence, elles avaient néanmoins réussi à y faire inclure, à deux ou
trois endroits, des formulations ambigües sur la notion «d’identité de
genre».
Ces opportunistes s’en sont pris tout
particulièrement à la position fortement exprimée dans le manifeste
contre la prostitution, l’exploitation et le trafic sexuels, que le
capitalisme et l’impérialisme banalisent en présentant la soi-disant
«industrie du sexe» comme «une industrie comme une autre». Cette
position faisait suite à de sérieuses discussions qui avaient eu cours
et avaient permis de clarifier l’ambigüité qui persistait dans le
programme du parti, où l’on parle indistinctement de prostitution et de
«travail du sexe». [11] Il vaut la peine de citer ces extraits du manifeste portant sur cette question:
«Nous sommes conditionnées à accepter comme un
fait “naturel” de la vie, l’idée que tout soit désormais considéré comme
une marchandise à vendre, y compris les humains, y compris le corps des
femmes. C’est ainsi qu’aujourd’hui, la prostitution, la pornographie,
les bars de danseuses nues, certains salons de massage et le tourisme
sexuel font désormais partie de “l’industrie du sexe”. On veut nous
faire croire ainsi que tout, y compris notre propre corps, doit devenir
une marchandise pour laquelle on paie et avec laquelle on peut faire ce
qu’on veut.
Quand on sait que l’âge moyen d’entrée dans la
prostitution est de 14 ans au Canada et que près de 95% des femmes
prolétaires exploitées sexuellement veulent changer de vie, on comprend
que la prostitution n’est pas un métier qu’on choisit.
Le capitalisme fait aujourd’hui du sexe, de la
prostitution, de la pornographie et du tourisme sexuel, une industrie
rentable, bénéficiant à une petite minorité, sur le dos de l’immense
majorité des femmes qui en font partie. Cette industrie joue un rôle
majeur dans la reproduction de comportements sexistes et violents à
l’endroit des femmes au quotidien.
L’“industrie du sexe” reproduit non seulement les
mêmes rapports d’exploitation de la force de travail que partout
ailleurs dans la société capitaliste, mais elle reproduit aussi le
sexisme et la dégradation du corps des femmes au rang d’une marchandise,
d’un objet comme un autre.
La prostitution et les différentes formes
d’exploitation sexuelles sont principalement des rapports d’oppression
économique entre les hommes riches et les femmes pauvres. En effet, il
s’agit d’une oppression spécifique des femmes issues des couches à la
base du prolétariat: les travailleuses pauvres et exploitées; les femmes
prolétaires présentement exclues du marché du travail; les immigrantes
ou sans statut; les jeunes (y compris les enfants); les femmes
autochtones et métis.
Le capitalisme, dans sa force hégémonique,
cherche à libéraliser chaque comportement social permettant
l’accumulation de capital. Il consacre ainsi l’exploitation des unes sur
les autres. Aujourd’hui, la prostitution et le proxénétisme comptent
parmi les pires formes de l’exploitation capitaliste, ciblant
spécifiquement les femmes du prolétariat. Alors qu’un adage dépeint la
prostitution comme le plus vieux métier du monde, de plus en plus
l’idéologie néolibérale galvaude les concepts de prostitution et de
proxénétisme pour en faire des activités commerciales comme les autres.
Ces glissements sémantiques font des prolétaires exploitées
sexuellement, des “travailleurs et travailleuses du sexe” et des
proxénètes, des acteurs légitimes de l’“industrie du sexe”.
Nous nous opposons à toutes les formes
d’exploitation liées à l’industrie du sexe, que ce soit la prostitution,
la pornographie, le tourisme sexuel, les publicités basées sur le corps
des femmes. Nous nous opposons au modèle capitaliste de société qui
reproduit et entretient la marchandisation et la commercialisation du
corps des femmes.»
Cette position, totalement conséquente avec
l’approche défendue historiquement dans le mouvement communiste
international sur cette question, a tout de suite été remise en cause et
attaquée par les opportunistes, qui lui ont opposé leur ligne
postmoderne sur le «travail du sexe» et le féminisme queer. Cette lutte
de lignes, on le sait, s’est éventuellement cristallisée au congrès du
parti en 2016.
Les opportunistes ont alors ciblé le chapitre 8 du
programme du parti, ce qui a amené des militantes et militants,
principalement de la région de Montréal, à soumettre des contributions
dans le cadre des discussions pré-congrès pour préciser et défendre la
conception maoïste du féminisme prolétarien révolutionnaire. Les
opportunistes qui contrôlaient l’appareil du parti en Ontario ont
toutefois retenu la diffusion de ces textes jusqu’à la toute veille du
congrès, pour empêcher que les membres du parti sous leur contrôle
puissent en prendre connaissance.
Suite à ce congrès et à l’aboutissement en 2017 de la
lutte entre les deux lignes au sein du parti, le PCR a publié un texte
sur cet aspect du débat et rendu publiques les contributions en
question, que nous vous invitons fortement à lire et étudier, si ce
n’est déjà fait. [12]
Si, comme le souligne ce texte, «la question du féminisme prolétarien à
elle seule ne donne pas la mesure réelle de l’ampleur du gouffre» qui
sépare désormais le PCR de la clique opportuniste, elle recoupe
néanmoins les grands axes autour desquels la rupture s’est produite
(stratégie et action révolutionnaires, centralité ouvrière).
Cette question du féminisme prolétarien demeure une
ligne de démarcation entre le maoïsme révolutionnaire et le maoïsme de
pacotille: vise-t-on à développer un mouvement réellement prolétarien,
qui organise et mobilise les femmes prolétaires sur la base de leur
volonté et de leur capacité à prendre le pouvoir et à jouer un rôle
dirigeant dans la lutte pour renverser l’actuel état des choses, bâtir
le socialisme et éliminer toutes les formes d’oppression que la majorité
des femmes subissent dans la société capitaliste? Ou vise-t-on plutôt à
se rattacher aux mouvements bourgeois ou petits-bourgeois, qui ont
certes joué un rôle progressiste historiquement, mais dont les
conceptions, l’action et la direction les situent désormais à
l’extérieur du mouvement qui aboutira à la prise du pouvoir par le
prolétariat?
Féminisme prolétarien et maoïsme
Comme nous l’avons mentionné en ouverture, la
question du féminisme prolétarien fait l’objet d’appréciations et de
positionnements divergents au sein du mouvement maoïste.
Les grands partis qui mènent ou ont mené des guerres
populaires appliquent en pratique une certaine conception du féminisme
prolétarien, sans en adopter nécessairement le nom, qui s’inspire des
meilleures traditions du mouvement communiste international du dernier
siècle. C’est le cas par exemple en Inde, comme on peut le voir à
travers le travail considérable que la camarade Anuradha Ghandi a
accompli à la direction du Parti communiste de l’Inde (maoïste). C’est
le cas aussi aux Philippines, où des organisations comme GABRIELA et
MAKIBAKA mobilisent les femmes des classes révolutionnaires au sein du
mouvement national démocratique.
Pendant la période où il a mené la guerre populaire
de 1996 à 2006, l’ex-Parti communiste du Népal (maoïste) a également
réussi à mobiliser massivement les paysannes pauvres et les femmes
opprimées et à les organiser au sein de l’Armée populaire de libération.
Les essais de celle qui était alors connue sous le pseudonyme de
«Parvati» s’avèrent des contributions essentielles pour comprendre
l’importance de la participation et le rôle de direction des femmes dans
la guerre populaire, même si leur auteure a fini par abandonner la voie
de la révolution.
Plus généralement, dans le mouvement que l’on
pourrait situer en périphérie du maoïsme incarné dans les guerres
populaires, parmi les collectifs, les organisations pré-parti et les
nouveaux partis en construction, il n’y a pas de conception unifiée du
féminisme et du mouvement des femmes du prolétariat. L’influence néfaste
du postmodernisme et du transféminisme n’a pas encore été éliminée dans
la théorie et/ou la pratique de certains.
Comme c’est le cas sur plusieurs des questions
stratégiques auxquels le mouvement communiste est confronté, les
positions mises de l’avant et la pratique déployée par le Parti
communiste du Pérou (PCP) alors qu’il préparait la guerre populaire et
par la suite, lorsqu’il l’a dirigée, comptent parmi les plus éclairantes
pour notre mouvement. Sur la question des femmes, ces positions et
cette pratique se sont notamment incarnées dans la mise sur pied d’une
organisation, le Movimiento Femenino Popular («Mouvement
féminin populaire»), qui a joué un rôle central dans la mobilisation
politique des femmes. Créée au début des années 1970 après la reprise en
main du parti sous la direction d’Abimael Guzmán, cette organisation a
accompagné le PCP à toutes les étapes de la préparation, du
déclenchement et du déploiement de la guerre populaire.
Parmi la littérature publiée dans le mouvement
marxiste-léniniste apparu dans la foulée de la lutte antirévisionniste
dans les années 1960, un texte publié par le Mouvement féminin populaire
se démarque. El marxismo, Mariátegui y el movimiento femenino («Le marxisme, Mariátegui et le mouvement des femmes») [13]
est paru initialement en 1974, à la veille de l’Année internationale
des femmes décrétée par les Nations Unies. Bien que sa publication ait
été assumée collectivement par le MFP, on doit sa rédaction à une
militante du Mouvement, Catalina Adrianzen.
Selon le magazine El Diario Internacional [14],
Catalina Adrianzen est une anthropologue et une chercheuse en sciences
sociales qui s’est liée au MFP et au mouvement paysan dans les années
1970. Persécutée et accusée de nombreux délits après le déclenchement de
la guerre populaire en 1980, elle a été contrainte de quitter le pays
et de se réfugier en Suède, où elle s’est impliquée dans le travail de
solidarité avec le PCP, en dépit d’un état de santé affaibli par la
torture. Son conjoint, Antonio Díaz Martines, fut l’une des 300 victimes
du massacre du 19 juin 1986 commis par le régime alors qu’il était
détenu dans la prison de Lurigancho. Le fait qu’Adrianzen est bel et
bien l’auteure de ce texte est également confirmé par la professeure
Carol Andreas, qui vivait au Pérou à l’époque où il a été publié. [15]
Le texte d’Adrianzen est divisé en trois parties. La
première revient sur le marxisme et la question des femmes, alors que la
seconde se penche plus spécifiquement sur les apports de Mariátegui et
la situation des femmes au Pérou. La troisième et dernière partie aborde
les perspectives de développement du mouvement populaire des femmes
dans la perspective de renforcer la lutte politique du prolétariat:
«La progression et le renforcement de
l’organisation des masses féminines exigent une enquête sérieuse sur la
question des femmes et une analyse de classe des organisations
existantes ou en voie de formation; cela seul permet de définir les
caractéristiques des deux lignes qui s’affrontent, sur la question des
femmes comme dans n’importe quel autre domaine: entre la ligne
contrerévolutionnaire dirigée par l’impérialisme et la moyenne
bourgeoisie et la ligne révolutionnaire, centrée sur le prolétariat.
[Cela] nous ramène à la nécessité de «reprendre le chemin de Mariátegui
sur la question des femmes», afin de servir la formation et le
développement d’un MOUVEMENT FÉMININ POPULAIRE conçu comme un mouvement
généré par le prolétariat parmi les masses féminines, et présentant les
caractéristiques suivantes: 1) adhésion à la pensée de Mariátegui, 2)
organisation de masse de classe, 3) soumission au centralisme
démocratique.» [Notre traduction]
Les conceptions et la pratique des camarades du Pérou
ont largement influencé les partis et organisations ayant fait partie
du Mouvement révolutionnaire internationaliste (le MRI), auquel le PCP
s’est joint en 1986. Le Parti communiste maoïste – Italie, pour un,
anime depuis de nombreuses années une organisation, le Mouvement
féministe prolétarien révolutionnaire, inspirée de l’expérience
péruvienne, et dont les conceptions et la pratique sur cette question se
rapprochent de celles du PCR ici au Canada.
Féminisme prolétarien et socialisme
Nous avons identifié, plus haut, ce que nous avons présenté comme étant les spécificités du féminisme prolétarien.
Ultimement, le potentiel du mouvement des femmes du prolétariat
s’accomplira pleinement dans la mesure où il s’inscrira dans ce qui
sera l’aboutissement de la lutte pour l’émancipation de la classe
ouvrière, soit la victoire du socialisme. La perspective de la dictature
du prolétariat ou du pouvoir ouvrier – peu importe comment on l’appelle
–, soit la grande période de luttes de classes qui émergera après le
renversement du capitalisme, donne tout son sens au féminisme
prolétarien.
À partir du moment où on reconnaît la primauté de la
lutte de classes et que le socialisme, comme société de transition vers
le communisme, en est le prolongement, les limites des féminismes
bourgeois et petit-bourgeois deviennent évidentes, et la pertinence et
la nécessité du féminisme prolétarien le deviennent tout autant. Après
avoir assumé pendant des siècles le fardeau de leur oppression, les
femmes prolétaires, qui seront partie de la classe dominante, seront en
position de réellement transformer et révolutionner la société. Il leur
appartiendra, avec toute la classe, de mettre fin à toutes les formes
d’oppression et d’exploitation, y compris celles qui les ont frappées
spécifiquement. Le socialisme est l’horizon naturel du féminisme
prolétarien.
* * *
FEMMES EN GUERRE
Carol Andreas
Nous publions, pour la première fois en français, des extraits d’un article publié en 1990 dans la revue NACLA Report on the Americas
par la sociologue Carol Andreas. La professeure Andreas a vécu au Pérou
dans les années 1970 et elle y est retournée plusieurs fois dans les
années 1980. Les camarades plus âgées se souviendront de sa
participation à la conférence d’appui à la guerre populaire que le
groupe Action socialiste a organisée en janvier 1994. Après ce premier
contact, elle est demeurée une amie fidèle d’Action socialiste et du
PCR(co), jusqu’à son décès en décembre 2004.
* * *
Lors de mes recherches sur les organisations de
femmes parmi les populations pauvres du Pérou, j’ai découvert que le
Sentier lumineux, depuis sa création, a toujours attiré beaucoup plus de
femmes que d’hommes. En fait, ses commandants militaires les plus
connus sont des jeunes femmes, telle Edith Lagos, dont les discours ont
inspiré les paysans de la sierra et dont les funérailles dans la ville
montagneuse d’Ayacucho ont attiré quelque 30 000 personnes. […]
Enseignantes, avocates, travailleuses de la santé,
professeures (incluant la présidente de la faculté de l’Université San
Marcos), artistes, journalistes et militantes syndicales… toutes ces
femmes ont été indistinctement victimes de descentes de police et
accusées de «terrorisme», d’«apologie du terrorisme» ou de «complot en
vue de commettre des actes terroristes». Il y a même une occasion où pas
moins de 600 femmes ont été arrêtées en une seule journée.
L’attrait exercé par le Sentier sur les femmes n’est
compréhensible que dans le contexte de l’effondrement de la société
traditionnelle péruvienne au cours des 30 dernières années, en
particulier dans les hauts plateaux. Un grand nombre d’hommes ont été
recrutés pour travailler dans les usines, les mines et les coopératives
agricoles tournées vers l’exportation, laissant la plupart du temps aux
femmes le soin de défendre les terres communales et l’intégrité
culturelle de la vie rurale. Les quelques femmes et enfants qui ont
suivi le même parcours demeurent exclues des mécanismes établis par
lesquels on est censé pouvoir participer à la vie publique. […]
Un des éléments centraux du programme du Sentier
lumineux vise le renversement des structures de gouvernance
villageoises, qui défendent les intérêts commerciaux, et leur
remplacement par des «comités populaires», qui encouragent des
rapports de réciprocité plutôt que compétitifs entre les villageois.
C’est dans ces «comités» que la prédominance des femmes est la plus
évidente. De fait, la mise sur pied de ces comités a entraîné le
renversement des gouvernements locaux à prédominance masculine et leur
remplacement par des structures à prédominance féminine, ce qui a permis
aux femmes de «régler leurs comptes» à leur manière et de réorganiser
la vie sociale de manière plus équitable.
Outre la redistribution des terres et la promotion
des plantations et des récoltes collectives, les comités populaires ont
mis fin à la délinquance, la prostitution, la toxicomanie et la violence
domestique. Les veuves et les personnes âgées reçoivent l’assistance
nécessaire de la communauté. L’éducation est mise à la disposition de
tous et toutes. […]
Même si les adhérentes au MFP ne se sont jamais vues
comme l’avant-garde d’une lutte de classe contre les hommes, le
mouvement est apparu comme une réponse radicale à la super-subordination
des femmes autochtones, dans ce que ses représentantes décrivent comme
une société «semi-féodale et semi-coloniale». Abimael Guzmán, le
professeur qui est devenu le leader incontesté de Sendero, et sa femme,
Augusta de la Torre (réputée avoir poussé son mari à aller au-delà de la
réflexion théorique sur la révolution), n’ont jamais cessé de mettre
l’accent mis sur l’égalité des sexes au sein de l’organisation – même
lorsque la mise en œuvre de la stratégie militaire a commencé à
prévaloir sur la propagande publique. […]
Le tiers des familles péruviennes sont maintenant
dirigées par une femme, et ce chiffre est encore plus élevé en zones
rurales. En plus d’assumer la charge du maintien de l’agriculture de
subsistance, de nombreuses femmes sont devenues des entrepreneures ou
des contractuelles dans «l’économie informelle», ou perçoivent une
partie des revenus tirés de salaires, bien que pas de façon régulière ni
à plein temps. Ni le gouvernement ni les principales fédérations
syndicales n’ont offert aux femmes un quelconque soutien à ces égard.
Plusieurs femmes pauvres ont donc tendance à être sceptiques quant aux
possibilités de changement, à défaut de reconstruire la vie sociale et
économique littéralement «à partir de la base». Le Sentier lumineux leur
offre un moyen de lutter pour y arriver et encourage le leadership des
femmes dans le processus. […]
Dans les quartiers pauvres en milieu urbain, Sendero
utilise le théâtre engagé pour éduquer les gens sur la source de leur
misère. Les pièces de théâtre mettent souvent en scène des chicanes de
famille, ridiculisant les hommes qui se pavanent, se disputent avec
leurs voisins, boivent et trompent leur femme. Les femmes qui bavardent
et tentent d’imiter les gens des classes supérieures ou les personnages
de feuilletons sont également ridiculisées. Règle générale, l’héroïne
est une femme qui se rebelle, rejointe par ses enfants ou d’autres
jeunes. En fin de compte, tous scandent ensemble le slogan maoïste: «On a
raison de se révolter!» Parfois, les chants se transforment en coups de
feu tirés en l’air […].
J’ai demandé à une dirigeante du Sentier lumineux
comment elle pouvait, en tant que professionnelle instruite, se
soumettre «aveuglément» à l’autorité d’un individu tout-puissant, à plus
forte raison d’un homme. Elle n’était certainement pas soumise à
l’égard de son mari, qui n’était même pas au courant de son activité
clandestine… Elle m’a répondu que, sous la direction du «guide» – ou du
«Président Gonzalo» comme on appelle aussi Abimael Guzmán – le parti
avait fait de grands progrès, réalisant ce qu’aucune autre organisation
politique du Pérou n’avait été capable de réaliser: attaquer de manière
soutenue le «capitalisme bureaucratique» et «l’État compradore». Elle
m’a affirmé que toute l’organisation se livrait à l’autocritique, dans
le cadre de son engagement continu en faveur de la «révolution
culturelle». Mais plus important encore, elle a insisté sur le fait que
de disposer d’une direction digne de confiance était une source
d’inspiration. […]
[Ces femmes] savent qu’elles ne seront pas violées
par un soldat du Sentier lumineux; qu’elles ne seront ni humiliées ni
dégradées parce qu’elles sont pauvres, indiennes ou femmes. Le fait de
ne pas avoir eu d’éducation formelle ne sera jamais retenu contre elles
et leurs intérêts ne seront pas compromis pour le profit personnel de
quelques-uns.
NOTES:
[1]
Le Parti communiste révolutionnaire (comités d’organisation), ou
PCR(co), a été créé en novembre 2000 comme organisation pré-parti. La
fondation du PCR, le 28 janvier 2007, en a été l’aboutissement.
[2]
En fait, il est vrai que le chapitre 8 du programme du PCR comporte de
légères imprécisions, qui gagneraient à être clarifiées, et affiche même
une formulation erronée et désormais répudiée par le parti; mais ce ne
sont pas ces imprécisions – et encore moins cette erreur – que ses
critiques opportunistes ont souhaité corriger. Ainsi, un amendement
adopté trop rapidement et sans discussion préalable au congrès de 2003 a
introduit la notion petite-bourgeoise et libérale de «travail du sexe»
dans le programme du parti, en totale contradiction avec le fait que ce
même programme propose de lutter «sans pitié contre les capitalistes et
quiconque exploite les femmes comme objet sexuel». Malgré tout leur
verbiage contre le «patriarcat», les opportunistes qui ont attaqué le
programme du PCR à son congrès de 2016 s’opposent en fait à l’abolition
de la prostitution et défendent le «droit» des prostitueurs de louer le
corps des femmes à leur gré.
[3] José Carlos Mariátegui, Las reivindicaciones feministas (1924). En ligne: https://www.marxists.org/espanol/mariateg/1924/dic/19.htm [Notre traduction]
[4] Op. cit.
[5] Également connu sous sa transcription anglaise, Zhenotdel, souvent utilisée.
[6]
Le Jenotdel a rassemblé un grand nombre de femmes sans expérience
militante. Dans les régions périphériques, on rapporte que l’âge moyen
de ses déléguées n’était que de 22 ans; la majorité d’entre elles
étaient indépendantes, mobiles, célibataires et sans enfant à charge.
[7] Clara Zetkin, Ce n’est qu’en conjonction avec la femme prolétaire que le socialisme triomphera (1896). Traduction française inédite publiée par Les Cahiers du Secours rouge, n° 7, mars 2010. En ligne: https://secoursrouge.org/IMG/pdf/zetkin.pdf
[8] Voir notamment: «Conquérir la moitié du ciel», dans Socialisme Maintenant!, n° 7 (nouvelle série), été 2001, p. 19. En ligne: http://www.pcr-rcp.ca/fr/2539
[9] Le Manifeste pour un mouvement féministe prolétarien est disponible en ligne: http://www.pcr-rcp.ca/fr/3581
[10] Voir à cet effet: «Les formes objectives d’action révolutionnaire», dans Arsenal, n° 10, été 2018, p. 5. En ligne: http://www.pcr-rcp.ca/fr/4692
[11]
Parmi les textes ayant été publiés dans le cadre de ce débat,
mentionnons: «Capitalisme et proxénétisme: pour une approche féministe
prolétarienne et révolutionnaire», Le Drapeau rouge, n° 100, mai-juin 2012, p. 8. En ligne: http://www.pcr-rcp.ca/fr/3458
[12] Une lutte pour la sauvegarde du féminisme prolétarien révolutionnaire (2017). En ligne: http://www.pcr-rcp.ca/fr/4567
[13] Catalina Adrianzen, El marxismo, Mariátegui y el movimiento femenino
(1974). En ligne:
https://www.marxists.org/espanol/adrianzen/mmmf/index.htm. Une version
anglaise («Marxism, Mariategui and the Women’s Movement») est disponible
à l’adresse suivante: https://www.marxists.org/subject/women/authors/adrianzen/1974.htm
[14] «El problema femenino en Mariátegui», El Diario Internacional, publié le 27/07/2005. En ligne: http://www.eldiariointernacional.com/spip.php?article145
[15] Carol Andreas, «Women at War», NACLA Report on the Americas, Vol. 24, n° 4, décembre 1990/janvier 1991, p. 20. En ligne: https://nacla.org/article/women-war
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