Les élections municipales d'hier montrent une profonde évolution du paysage politique bourgeois hexagonal, ou plutôt une poursuite radicale de l'évolution entamée il y a déjà plusieurs années : en fait, il n'est pas vraiment possible de parler de "séisme politique", sauf dans quelques endroits précis (Marseille), de par le caractère ATTENDU de ce qu'il s'est passé.
Les trois grandes résultantes de ces élections sont (à peu près tel que nous l'avions prévu) :
1°/ Un vote SANCTION impitoyable pour la gauche bourgeoise au pouvoir, avec la perte dès le premier tour de bastion historiques comme Niort (Poitou), une défaite annoncée dans de multiples autres villes et le cas terrible de Marseille, où le PS avait jeté toutes ses forces dans la bataille (y voyant la grande ville non pas à conserver, comme Paris ou Lyon, mais à conquérir).
2°/ La poursuite de la montée continue de l'abstention, qui frôle désormais les 36% - voire 37 ou 38 selon les sources (27% en 1989, 30% en 1995, 33% aux dernières élections en 2008). Nous avons déjà dit et répété ne pas sacraliser l'abstention, reflet selon nous d'une psychologie politique tout autant propice à la conscience révolutionnaire qu'à la dérive fasciste ou à l’apathie-résignation stérile. Mais nous notons la tendance, de surcroît dans des élections plutôt réputées "résister" (comme la présidentielle) au phénomène. À l'abstention proprement dite s'ajoutent les personnes même pas inscrites sur les listes électorales, que l'on estime désormais à près de 15% de la population majeure. Autrement dit, le "peuple qui vote" ne représente d'ores et déjà qu'à peine plus de la moitié des masses populaires... Vive la représentativité de "nos" élus (et de l'offre politique en présence) !
Néanmoins, au niveau hexagonal, c'est la droite UMP et apparentée qui réalise un "carton" avec 46,5%, sans doute un de ses plus hauts scores historiques.
Quels sont les enseignements que l'on peut tirer de ces élections ? Ils sont de deux sortes.
ENSEIGNEMENTS AU PLAN GÉO-SOCIOLOGIQUE : on distingue non pas deux "Frances", comme se plaisent et se plairont à le rabâcher les commentateurs FN ou ultra-réactionnaires à la Zemmour en se basant sur les thèses du documentaire "La France en face" (qui ne font en réalité que confirmer les nôtres), mais plutôt QUATRE aux comportements politiques bien distincts.
- La "France" des "métropoles mondialisées" avec Paris bien sûr, Lyon (où la participation progresse même carrément, peut-être un des seuls cas en Hexagone), Lille, Nantes, Toulouse etc. etc. (Marseille étant un cas très particulier de "métropole périphérisée") ; où rien ne semble avoir changé depuis 2001 : (très souvent) mêmes têtes (ou alors les "dauphin-e-s"), mêmes rapports de force, mêmes enjeux, (relativement) bons scores de la "gauche radicale" et (surtout) des écologistes, etc.
- La "France" des ghettos urbains : c'est le territoire des très forts taux d'abstention ou de carrément non-inscrits ; et du caciquat politique en mode clientéliste pour ceux/celles qui votent (clientélisme généralement de "gauche" mais parfois aussi de droite, comme longtemps Serge Dassault à Corbeil-Essonne). Le Front National y est faible : forcément, la majorité de la population est constituée de ceux/celles qu'il stigmatise en permanence, immigrés et descendants, "racailles" et "assisté-e-s". Les votes "gauche radicale" et écolo y sont faibles également, car les personnes qui votent votent "utile". Pour ce qui est des listes "issues des quartiers" que nous avions évoquées, là où elles sont présentes, elles connaissent le même phénomène et ne font guère mieux : ainsi "Toulouse en Marche" d'Ahmed Chouki n'a récolté que 1,8% dans la capitale d'Òc, très en dessous des "Motivé-e-s" de 2001 qui avaient fait 12,5% - mais c'était une autre époque et déjà, ils n'avaient pas forcément "cartonné" dans les ZUP mais plutôt dans les milieux étudiants ou bobos centrurbains, bercés par le célèbre "tube" de Zebda. Dans la situation de crise profonde que nous traversons, les personnes des "quartiers" qui daignent se déplacer ne votent pas pour "se faire plaisir" mais pour des "valeurs sûres" qui mèneront une politique perçue comme "plus favorable", ou en tout cas non-hostile à leurs quartiers.
- Les périphéries rurales profondes : c'est le domaine des petites communes (moins de 5.000 habitants) dont les états-majors parisiens, il faut le dire, n'ont pas grand-chose à faire (y compris voire surtout le FN qui est totalement dans une stratégie de "coup d'éclat") ; bien que mises ensembles on arrive peut-être à un bon tiers de la population ; ces communes avec leurs candidatures "sans étiquette" de petits "notables" locaux et/ou "vouées" sociologiquement à un "divers gauche" ou un "divers droite", mais où très souvent les considérations de personnes ("c'est un bon maire") ont une certaine importance ; où très souvent aussi la population se divise entre "le clan du maire" et celui de son opposant, etc. etc. L'abstention n'y est pas particulièrement élevée car les personnes âgées, réputées "civiques", y sont nombreuses ; mais une étude par tranche d'âge révèlerait peut-être une "fracture générationnelle" à ce niveau-là. Contrairement à une idée reçue tenace, le FN y est traditionnellement très faiblement implanté et même s'il monte comme partout ("dédiabolisation" oblige), c'est en conservant ce retard historique. Dans les petites communes (aux municipales), il fait même souvent 0% vu qu'il n'est tout simplement pas présent. Il est même absent de communes beaucoup plus importantes comme Mende (12.000 habitants, chef-lieu de département) en Lozère, Millau (21.000) au pied des Grands Causses, ou carrément Tarbes en Bigorre (43.000 !) : en fait, on s'émeut de ses scores impressionnants dans certaines villes, mais le FN ne se présente tout simplement pas là où il n'a aucune chance de faire "du gros score" ! Dans une ville occitane typique de ces territoires, Rodez (24.000 habitants environ), la liste "divers droite" qu'il soutenait (Matthieu Danen) ne récolterait que 11% des suffrages... En péninsule bretonne, repaire des "abominables" Bonnets rouges qui étaient, à en croire certains, l'une des pires manifestations fascistes de ces dernières années, le FN est à son niveau le plus bas de l’État français, ne dépassant jamais les 10% là où il est présent. L'un des principaux chefs de file du mouvement, Christian Troadec ("régionaliste" sur une ligne sociale-libérale de centre-gauche), est confortablement réélu dès le premier tour dans son fief de Carhaix (avec près de 66%).
- Enfin, la "France" des "périphéries des Centres". C'est le domaine du fort voire très fort FN, ce que nous avions déjà évoqué en mettant en parallèle cette carte des "fragilités sociales" et celle du vote Marine Le Pen à la présidentielle 2012. Comme nous l'avions dit, on y voit clairement le fort vote frontiste entourer les zones blanches de la carte (zones de forte "inclusion", "métropoles mondialisées"), et non occuper les zones d'un bleu profond (zones d'"exclusion", fortement reléguées-périphérisées, y compris les taches bleues dans le blanc qui sont les ghettos urbains). Ainsi, contrairement à ce que peut affirmer un Éric Zemmour (et répéter d'autres jusqu'au mouvement "communiste"), le vote Front National n'est pas un vote périphérique, mais un vote de personnes coincées entre Centres et Périphéries, entre "inclusion arrogante" et "exclusion qui fait peur", ce qui est la sociologie historique du fascisme à discours "social" et se retrouve, naturellement, dans les données socio-géographiques... C'est notamment le cas, en Occitanie, de la "ceinture frontiste" Vallée du Rhône - pourtour méditerranéen - axe Béziers-Toulouse-Bordeaux (à l'exclusion nette de ces deux métropoles) ; là où le FN est le plus souvent arrivé en tête hier ; mais l'Occitanie "profonde" (zones alpines, pyrénéennes et massif "central"), où (soit dit en passant) la conscience "régionaliste" occitane est la plus présente, votent peu FN.
On peut classer dans ces "périphérie des centres", par assimilation, la "métropole ghettoïsée" marseillaise où, on vient de le dire, le FN passe devant le PS. C'est aussi le cas de la "ceinture FN" qui borde les frontières Nord (comme Hénin-Beaumont) et Est du pays, "périphérie proche" des métropoles parisienne et lyonnaise et de la "colonne vertébrale" européenne (axe rhénan).
ENSEIGNEMENTS POLITIQUES: le principal, nous l'avons dit, est le "triomphe" électoral du FN sur lequel nous allons nous pencher plus en détail.
Le FN/Rassemblement Bleu Marine, nous l'avons donc dit, peut considérer ce premier tour des municipales comme un grand succès, et sortira dans doute gagnant dimanche prochain dans plusieurs villes (l'étant déjà à Hénin-Beaumont). Pour autant, sans céder d'un pouce à l'aveuglement "confortable", nous considérons qu'il n'est pas encore vraiment au seuil du pouvoir et même que, seul et sans changement de sa part (ce qui revient au même), il ne le sera peut-être jamais. Car il lui manque quelque chose.
Que manque-t-il au FN de Marine Le Pen ? Prenons les choses dans l'ordre.
Un parti pouvant prétendre au gouvernement, comme le PS et l'UMP actuellement, est un parti qui réalise (éventuellement et même souvent en alliance) entre 25-30% et 45-50% des suffrages aux élections réellement représentatives du tissu politique et militant, à savoir les législatives et les municipales. À ces municipales, on l'a dit, le FN ne gagne finalement "hexagonalement" que 4,6% des voix, que l'on peut extrapoler autour de 15% en ne tenant compte que des électeurs qui avaient un bulletin FN dans leurs possibilités. L'ensemble de la droite (UMP, UDI, Modem), on l'a dit, a totalisé 46,5 % et la gauche (PS, radicaux, écologistes et Front de Gauche) un peu moins de 38%. Au premier tour des législatives de juin 2012, le PS avait obtenu 29% des suffrages et le total de la gauche soutenant Hollande (sans le FdG donc) un peu moins de 40%, l'UMP 27% et le total des droites "républicaines" 35%, tandis que le FN (présent pour le coup à peu près partout) avait recueilli 13,6% des bulletins. On peut donc estimer autour de 15% le nombre de votants qui manquent au parti fascisant pourréellement mettre en danger le "système UMPS" qu'il dénonce. En réalité, ce qui manque au Front National ce sont trois choses :
- Un véritable réseau de notables qu'il cherche justement à se constituer avec sa stratégie de "dédiabolisation" depuis 2010, son "ouverture à la société civile" à travers le Rassemblement Bleu Marine, les Collard et compagnie etc. ; lui permettant de "mailler" réellement tout le territoire hexagonal ce qui, on le voit nettement avec ces municipales, est loin d'être le cas. Mais voilà : les territoires ont une sociologie à laquelle s'ajoute (c'est très important, sauf pour les marxistes mécanistes et abstraits) une histoire, et une sociologie et une histoire cela veut dire une "psychologie politique". N'y aura-t-il pas des psychologies politiques locales irréductiblement hermétiques à toute véritable implantation lepéniste ? Nous pensons clairement que oui. Un autre problème, comme l'ont montré notamment les expériences de Marignane et Orange, c'est que lorsque les élus FN se "notabilisent" ils ont également tendance à se "pragmatiser" (sans pour autant modérer leurs idées), et à s'éloigner de la posture "antisystème-seul-contre-tous" que maintient la direction du parti.
- Des alliances et c'est très clairement, au contraire d'autres forces d'extrême-droite en Europe, un gros handicap pour lui : après quelque rapprochements esquissés dans les années 1980, puis les tentatives de 1998 dans les conseils régionaux (vite avortées et suivies de la scission-expulsion de Mégret qui en était le principal instigateur), un "rideau de fer" s'est abattu entre le Front et la droite dite "républicaine", les uns et les autres rejetant catégoriquement toute alliance, ce qui persiste encore largement aujourd'hui. C'est pourquoi pendant toute cette semaine jusqu'au deuxième tour, il faudra scruter très attentivement les "ouvertures" et autres "mains tendues" en ce sens de part et d'autre. Depuis 2012 déjà, l'abandon par l'UMP de Copé de la ligne de "front républicain" (désistement systématique au profit de la gauche, et réciproquement, en cas de risque de victoire FN dans une commune ou une circonscription) constitue un précédent historique fondamental. Car la réalité est qu'il n'y aucun exemple dans l'histoire de "France" d'instauration d'un régime fasciste par un parti monolithique et isolé, "seul contre tous" comme le NSDAP en Allemagne. Si l'on considère sans rentrer dans les détails les cas de 1940 (Pétain) et de 1958 ("coup de force" de De Gaulle, le régime instauré étant "édulcoré" par la prospérité économique de l'époque), le régime d'"exception" a été instauré sur la base d'une très large combinazione de forces politiques, allant dans les deux cas jusqu'à la "gauche" de l'époque... Nous voyons mal comment cela pourrait se passer autrement la prochaine fois (s'il y en a une).
- Enfin, on l'a dit, très simplement et mathématiquement (par soustraction), une portion du corps électoral que l'on peut estimer autour de 15% (sur, on l'a dit aussi, des élections d'implantation durable et non des élections de "coup d'éclat" comme peuvent l'être la présidentielle, les européennes, les régionales etc.). Nous avons déjà identifié socio-géographiquement les secteurs populaires où le FN est implanté et se développe : ni trop centrurbains ni trop ruraux, ni bien sûr cités-ghettos que le Front cible comme des territoires ennemis, etc. Sur le plan socio-politique, l'une des stratégies (pas la seule) du FN, qui est peut-être en passe d'avoir réussi, est d'occuper les secteurs sociaux qui formaient l'électorat du PC de Marchais dans les années 1980. C'est en réalité très clairement sa stratégie depuis plus de 20 ans, depuis la "Chute du Mur" et de l'URSS ; stratégie que cherchait notamment à contrer la ligne "national-social-républicaine" du PC autour de
Le Front National, groupusculaire à sa naissance dans les années 1970 et encore au début des années 1980, a suivi une stratégie qui lui a fait conquérir des secteurs sociaux considérables : en fin de compte, il a occupé l'espace politique laissé vide par l'effondrement du PCF de Marchais et le virage plus centriste et/ou libéral et européiste du RPR. Mais il s'est considérablement coupé d'autres : des secteurs plus aisés et éduqués (à la ville comme à la campagne, à Paris comme en "province"), plus CENTRAUX (ou "centrisés") en définitive, qui demandent plus de "responsabilité" à un parti politique pour lui accorder leur confiance. Et il n'est pas dit qu'il puisse facilement faire machine arrière. Or, en dernière analyse, dans un système BOURGEOIS, ce sont bien de tels secteurs sociaux BOURGEOIS qui sont finalement décisifs ! Par ailleurs, et pour briser une vieille "légende urbaine" (d'analystes bords-de-Seine en l'occurrence), il n'y a pas que des gens d'un "certain niveau de vie et de diplôme" qui soient ainsi rétifs au discours Le Pen : dans les "périphéries profondes" urbaines comme rurales, même sans forcément saisir la nécessité révolutionnaire, le "bon sens" ouvrier ou paysan de beaucoup de personnes voit bien que le programme du FN c'est tout et son contraire, l'incohérence voire le nihilisme total (du genre "on sort de l'euro et de l'UE" - tout en restant dans le capitalisme bien sûr - et "après on verra"), que l'on ait une vision capitaliste libérale, keynésienne, "humaniste chrétienne", républicaine sociale ou socialiste de la société "idéale"... Le FN mobilise sur l'irrationnalité de gens pris entre villes et campagnes, entre centre et périphéries, absolument coupés de tout y compris du "bon sens paysan" conservateur qui, là où il est présent, donne des scores frontistes relativement faibles.
Pour le moment, il y a des scores "coups d'éclat" (ce qui était précisément le but recherché) du Front National et la tentation de crier au loup, de céder à la panique ; mais en réalité qu'en est-il vraiment ?
Lorsque le FN monte, la droite joue les victimes, comme encore Copé et compagnie en ce moment, du haut de leurs presque 47% et de leurs victoires quasi-assurées dans des dizaines de villes, peut-être même à Paris. Mais la réalité, c'est que le FN sert surtout à la droite pour dire que "la gauche a perdu l'électorat populaire" etc. etc. ; c'est-à-dire pour bien imprimer dans le paysage politique, après la "mort du communisme", celle de la social-démocratie ; et se poser ensuite en recours, en dernier rempart de dirigeants "responsables" contre l'"extrémisme" alimenté par "la politique de la gauche". Il ne s'agit pas là de dire que le FN est un "épouvantail" sans réalité ou un "complot" de la droite UMP, mais simplement de constater dans les faits quelle est l'attitude de l'UMP vis-à-vis du phénomène frontiste, que son discours "décomplexé" n'alimente sans doute pas moins que les trahisons et l'amateurisme des sociaux-démocrates. Très prosaïquement, un FN qui "remplace" le PC de Marchais dans ses anciens bastions sociaux et géographiques, c'est un PS qui ne gagnera jamais plus une élection "nationale" sinon par accident, car si le FN décide finalement de s'allier ou de reporter ses voix sur quelqu'un, ce ne sera sûrement pas sur le PS et ses alliés, contrairement au PC d'hier. Mais cela, on l'a dit, le coupe irrémédiablement d'un électorat plus aisé-éduqué-"responsable" tout aussi important (c'est bien pour cela que le PC n'avait jamais eu la moindre chance d'arriver au pouvoir seul par des élections, ni même jamais vraiment fait plus de 20%). Dans les secteurs qui étaient l'électorat populaire du "RPR de Cochin", l'UMP sait que le pragmatisme l'emportera généralement et qu'elle sera toujours préférée aux "socialos" (perçus comme l'antichambre de la Corée du Nord). Et en attendant, avec son discours "décomplexé", ses Copé et ses Peltier, elle capitalise les "15% de Lesquen", quitte à ce que ce soit un vote "faute de mieux" !
Pour le reste, ce scrutin de dimanche montre (et confirme) la tendance à l'effondrement de la "gauche de la gauche" : après Laguiller puis Besancenot, la baudruche Mélenchon s'est dégonflée à son tour. C'est absolument logique, puisque ce que les uns comme les autres ont voulu faire c'est occuper "mécaniquement" l'espace politique du PCF du Programme Commun (Mélenchon ayant à la rigueur plus de légitimité à le faire, puisqu'il s'est allié au PC himself). Le problème, c'est que cet espace politique n'existe plus. Le terreau socio-politique sur lequel reposaient les scores du PC de 1980 ou 1985 a été capté par le FN, car son niveau politique était celui-là (soigneusement entretenu par le "produisons français", le populisme "social"-patriote et le légalisme républicain à outrance), ou alors il s'est réfugié dans l'abstentionnisme, mais ne pense en tout cas absolument pas se tourner vers une "gauche radicale" perçue comme centrurbaine, étudiante, bobo, "privilégiée" (fonctionnaires et salariés publics). Le champ politique maximal de cette dernière, ce sont donc (au niveau hexagonal) les 13-14% recueillis par Hue, Besancenot et Laguiller additionnés en 2002 : des milieux d'ores et déjà conscientisés très-à-gauche, militants, syndiqués (travailleurs ou étudiants) ou sous cette influence politique-là, et les "anciens" jusqu'au-boutistes du PC (c'est ainsi que dans les classes populaires urbaines, plus on est âgé plus on vote à gauche, tandis que les jeunes sont plus fortement abstentionnistes ou FN). Tel est le "peuple gauche-radicale". De surcroît, au niveau municipal, le PC qui pense à garder des élus voire des fauteuils de maire a pris ses distances avec la posture d'opposition radicale au PS de Mélenchon, provoquant la colère de celui-ci et (surtout) favorisant les scores piteux enregistrés. Le "communisme municipal" est de toute façon porté à bout de bras par le PS depuis au moins 20 ans, donc forcément, si celui-ci s'effondre...
Et puis, pour les personnes réellement "radicales" ayant une perception minimum de la nature de l’État, il y a une contradiction évidente entre vouloir "changer radicalement les choses" et postuler à la gestion de la dernière courroie de transmission de l’État capitaliste : cela a forcément dû en conduire beaucoup à l'abstention.
L'abstention a vraisemblablement (comme en 2002) concerné surtout des électeurs de gauche, marquant par là leur déception sans aller jusqu'à changer de bord ; de même qu'une abstention principalement de droite (ou des passages ou retours au FN sans report au second tour) avait sans doute été fatale (d'une courte tête) à Sarkozy en 2012.
Concernant un autre type de listes que nous avions évoquées, à savoir les listes d'affirmation des peuples niés sur une ligne un minimum progressiste (défi non-réactionnaire de peuple à l’État centralisateur, et "régionalistes au service de notables" pour les "maoïstes" préférant soutenir l'"antifasciste" Valls contre Dieudonné) : en Bretagne, outre (comme on l'a dit) le "bonnet rouge" Troadec définitivement seigneur en son Poher natal (mais le girouettisme du personnage le rend difficilement classable), la liste Saint-Herblain à Gauche toute (Breizhistance avec le soutien un peu surréaliste du PG mais bon) rassemble un joli score de 10% (1.500 voix) dans sa commune ; il y aura second tour (le candidat en tête n'a pas eu 50%) et nous espérons fortement qu'elle ne fera pas l'erreur de fusionner et ira au bout de sa démarche en se maintenant. Nous espérons avoir prochainement d'autres résultats. L'UDB y allait en liste commune avec les Verts et éventuellement d'autres forces de gauche ; elle suit donc la destinée de ces forces, bonne au mauvaise - en général plutôt moins mauvaise qu'ailleurs.
Il en allait de même pour les candidats de l'initiative occitane Bastir (présents sur des listes de gauche mais aussi du centre ou carrément de droite, donc pas sur une ligne progressiste claire de toute manière). Là, de plus, les listes sur lesquels ils/elles se présentaient subissent de plein fouet la montée du FN (seul parti avec lequel, pour un minimum de dignité, il était exclu de pactiser).
À Baiona (Bayonne), une liste plus ou moins social-démocrate et écologiste autonomiste (mouvement Bizi) menée par Jean-Claude Iriart remporte un respectable 10,3%. En Corse, à Bastia, l'indépendantiste Gilles Simeoni (avocat d'Yvan Colonna) talonne avec 32% le podestat local (farouchement pro-français) Émile Zuccarelli : l'indépendantisme dans ses diverses tendances (plus ou moins progressistes...) s'est définitivement ancré ces dernières années, à un très haut niveau, dans le paysage politique insulaire.
Tout cela vaut ce que ça vaut et nous ne partirons pas dans des débats sans fin : ce sont des constats et non des "hourras" (ou des "aupa" en basque). Nous constatons un mouvement continu, depuis plusieurs années, vers la réappropriation et la réaffirmation par les peuples de leur identité populaire réelle, de leur "non-francité" ; et pas uniquement (bien au contraire) sur une ligne réac-identitaire-maurrassienne (qui affirmerait la "francité" dans tous les cas), même si l'on est encore (souvent) loin d'une ligne qualifiable de "révolutionnaire". C'est un phénomène dont la moindre des choses (si l'on se prétend communiste donc "analyste concret de la situation concrète") est de prendre acte et de commencer à réfléchir ; et que nous (SLP), au regard de nos analyses développées depuis des années, jugeons plutôt positivement quelle que soit la petitesse du pas réalisé, en termes de dynamique sociale (démarche des électeurs qui mettent le bulletin dans l'urne) et non de programme des candidats (que nous ignorons généralement) et d'éventuelles manigances et "grattages" de concessions et de "places" ultérieurs...
Comme nous l'avons dit précédemment, nous n'avons pas de vision générale sur les listes "asso-militantes" issues des quartiers, mais à Toulouse c'est un fiasco (1,8%). Ce qui apparaît en réalité, c'est que ce type de démarche dans les quartiers-ghettos et les colonies intérieures semble totalement dépassé en terme d'exigence de radicalité de la population - que cette radicalité se tourne vers une voie de garage réactionnaire (intégrisme religieux, dieudonnisme) ou dans un sens progressiste-révolutionnaire (comme nous l'observons et cela est vraisemblablement le phénomène social le plus occulté de la "république" en ce moment).
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