Le mouvement des Gilets Jaunes
novembre 19, 2018
Initiative individuelle devenue virale sur internet, refus des centrales syndicales d’y participer et récupérations électoralistes et fascistes de la part des parlementaristes bourgeois opposés au gouvernement, le mouvement des « Gilets Jaunes » ne laisse personne indifférent. Il touche un nombre relativement massif de personnes (comparable aux mobilisations interprofessionnelles de ces derniers mois) depuis le 17 Novembre, où les quelques dizaines de milliers de personnes du matin se sont transformées en centaines de milliers lorsque les gens ont vu que ça « avait pris ». Important dans les villes moyennes, les zones périurbaines et proches de la ruralité, et moins dans les très grands centres urbains, le mouvement des gilets jaunes est différent des mobilisations sociales récurrentes ces dernières années.
Autoproclamé « apolitique », ce mouvement est soumis à l’hégémonie bourgeoise de la société : des témoignages rapportent des mots d’ordres d’unité avec les patrons et les forces de répression contre l’État et des exemples de tracts et revendications comme « baisser les charges » ou « faire maigrir l’État ». D’un autre côté, la grogne légitime issue du prix de l’essence va bien plus loin, et les voix que l’on entend le plus sur place se soulèvent contre le coût de la vie pour les classes populaires, par rejet du gouvernement, des élections et même parfois du légalisme. Pour beaucoup de personnes, c’est une première mobilisation, pour d’autres, comme des syndicalistes locaux, c’est un mouvement à mener pour qu’il ne devienne pas dirigé par la droite ou l’extrême-droite.
En effet, la diversité de cette mobilisation se trouve dans le fait qu’elle mobilise plusieurs classes. Les bourgeois, comme les directions syndicales patronales du transport, ou les magasins qui fermaient leurs pompes à essence ce jour là, peuvent trouver un intérêt direct dans cette mobilisation contre la taxation de l’État qui rogne sur leurs marges. Leur force de classe leur permet d’avoir des leviers de négociation que les gilets jaunes n’ont pas pour gagner des programmes d’exonération des taxes sur le pétrole. La mobilisation politique de ces forces bourgeoises et petites bourgeoises est également à noter. Depuis la gauche sociale-chauvine (France Insoumise) jusqu’à la droite (LR) et aux fascistes (tant dans le parti électoraliste RN que dans les groupuscules de terrain), tous ont été présents le 17. Localement, à Rouen (génération identitaire), Marseille ou Lyon (bastion social) par exemple, les fascistes ont tenté une prise de direction en surfant sur « l’apolitisme ». Dans les deux derniers cas, ils n’ont réussi qu’à se bloquer eux-mêmes (fermant courageusement leur local en protestation!) et à être rejetés de la mobilisation.
La contradiction de classe dans le mouvement des gilets jaunes est pourtant saillante. A Nancy par exemple, la foule s’est réjouie que le blocage ait entraîné 160 000€ de pertes pour un centre commercial. Dans la région Montpelliéraine et à de nombreux autres endroits, des opérations de péage gratuits ont été mises en place, soulageant financièrement de nombreuses personnes des masses pour qui le transport est un coût majeur. Avec l’intensification du mouvement dans l’après-midi, des affrontements avec la police, plus d’une centaine d’arrestations, et des feux de protestation sur des ronds points sont également apparus localement, montrant dans certains cas les limites de la « sympathie » envers des forces de répression beaucoup moins virulentes que face aux syndicats. Sur l’île de la Réunion, des émeutes ont agité la nuit du 17 au 18, notamment dans le quartier de Vauban.
Le manque d’organisation provoque l’explosion des contradictions au sein de la société toute entière. Sous leur forme la plus violente, on a pu voir des forçages de barrage, des accidents (ayant entraîné un décès le 17), de nombreux blessés et des agressions sexistes, racistes et homophobes. Peu de jeunes ou de lycéens, mais plutôt une présence familiale, et sur certains points de blocage, principalement masculine, illustration de la société patriarcale. La parole des gilets jaunes révèle cependant plus que ce que les fascistes tentent d’imposer en poussant des mots d’ordres racistes sous prétexte d’anti-Macron. Une vraie conscience écologique par exemple, reprochant l’hypocrisie d’une taxe sur les masses, dont les industriels pourront s’extirper, et des mots d’ordres de classe comme la lutte contre les faibles salaires et les faibles retraites, qui font écho à ce qu’on entend des syndicats.
La suite des événements nous dira ce que peut et ce que ne peut pas le mouvement des gilets jaunes. La frange la plus bourgeoise et réactionnaire du mouvement, les patrons routiers et les forains, se mobilise encore contre la taxe. La base du mouvement qui a continué les blocages jusqu’à aujourd’hui a réadopté des tactiques qui rappellent celles des syndicats lors des grèves : blocages de dépôts pétroliers et nouveaux péages gratuits. La victoire large contre ce gouvernement et contre la bourgeoisie ne peut passer que par là, par la capacité des masses à lever le masque sur les intérêts des bourgeois, et à mener elles-mêmes leurs luttes, dans ce cas-ci économiques : contre la vie chère et les bas salaires.
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