Thursday, February 27, 2020

Canada - Les blocages ferroviaires et le combat des peuples autochtones contre le capitalisme canadien


Depuis trois semaines déjà, des blocages ferroviaires sont organisés par des militants autochtones issus de diverses nations à plusieurs endroits au pays. Des barricades construites à partir d’imposants morceaux de bois et de débris de toutes sortes sont dressées sur des chemins de fer, permettant de bloquer entièrement la circulation des trains. Des camps provisoires sont installés en bordure de ces chemins de fer pour permettre aux militants de tenir plusieurs jours et de maintenir une présence permanente sur les lieux.
Jusqu’à tout récemment, la plus importante de ces barricades se situait près de Belleville en Ontario. Elle avait été érigée par des militants mohawks de Tyendinaga. Il faut rappeler que les Warriors mohawks ont comme mot d’ordre de répliquer dès qu’il y a une entrée des forces répressives de l’État canadien sur un territoire autochtone. Leur action constituait ainsi une réponse à une intervention de la GRC sur le territoire de la nation Wet’suwet’en en Colombie-Britannique contre des militants autochtones de cette nation. Le barrage à Tyendinaga avait des répercutions économiques considérables, ce qui préoccupait énormément les capitalistes canadiens. En effet, il était situé sur l’artère centrale à partir de laquelle s’opère le transport des marchandises entre Toronto et Montréal ainsi qu’entre Toronto et Ottawa. Le blocage a ainsi amené Via Rail à interrompre son service pendant quelques jours et le CN à mettre temporairement fin au transport de marchandises vers l’Est (le Québec). Sous la pression des capitalistes, la barricade a été démantelée en début de semaine par la police provinciale de l’Ontario, occasionnant une réplique immédiate des Mohawks de Kanesatake. Un blocage routier a ainsi été dressé à Oka et la circulation sur le pont Mercier a été entravée pendant un certain temps. Les Mohawks ont également renforcé leur barricade ferroviaire à Kahnawake. La suite est à suivre avec attention.
Dans l’ensemble du pays, mis à part les actions qui viennent d’être mentionnées, il y a également eu d’autres blocages ferroviaires moins importants et plus sporadiques ainsi que diverses actions périphériques en appui au mouvement. Parmi ces actions, on peut mentionner le blocage du port de Vancouver, le blocage du pont Rainbow Bridge de Niagara Falls ainsi que des manifestations un peu partout, par exemple à Calgary, à Regina, à Winnipeg, à Toronto, à Ottawa et à Halifax.
Une réponse à l’entrée de la GRC sur le territoire Wet’suwet’en
C’est suite à l’appel à l’action des chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en, en réponse à l’intervention de la GRC sur leur territoire en Colombie-Britannique, que les blocages ont commencé. En effet, à la fin du mois de janvier et au début du mois de février de cette année, la GRC est intervenue en territoire Wet’suwet’en pour démanteler un campement autochtone bloquant la circulation sur la Morice West Forest Service Road – la seule route permettant d’accéder à la région – et empêchant ainsi le début des travaux du projet pétrolier Coastal Gaslink de la compagnie TC Energy, un projet de pipeline de 670 kilomètres. L’opération policière a mené à des arrestations musclées qui ont fait plusieurs blessés (mineurs). Un an plus tôt, en janvier 2019, il y avait eu une répétition générale des événements. Suite à l’obtention d’une injonction par l’entreprise TC Energy pour faire démanteler le même
campement, la GRC avait mené une opération de répression contre les militants autochtones et des arrestations avaient eu lieu. Cet épisode avait ensuite été suivi d’une période de négociation. Or, en janvier 2020, l’entreprise TC Energy a obtenu un nouvel ordre de la cour lui permettant de commencer les travaux. Notons que cette nouvelle injonction a été obtenue après que TC Energy ait reçu l’aval des conseils de bande autochtones pour entreprendre la construction du pipeline, ce qui témoigne bien de la complexité de la situation.
Il est important de savoir que mis à part le projet de TC Energy, plusieurs autres projets pétroliers (on peut par exemple mentionner ceux des compagnies Enbridge et Pacific Trails Pipeline) sont à l’horizon dans le même secteur, et ce, depuis plusieurs années déjà. En fait, le campement qui a été visé par la GRC le camp Unist’ot’en – est en place depuis 2010 et constitue une forme d’opposition à l’ensemble des compagnies et des projets pétroliers sur le territoire plutôt qu’à un projet en particulier. Comme mentionné plus haut, l’emplacement du campement lui permet de bloquer l’unique point d’accès à la région pour toutes les compagnies qui veulent y réaliser des projets. Le campement Unist’ot’en fait cycliquement parler de lui dans les nouvelles locales. Avec le temps, il a même gagné une certaine notoriété au Québec. Surtout, il a été régulièrement mis de l’avant dans la propagande des militants anticoloniaux et écologistes, lesquels ont vu en lui une sorte de finalité et une forme d’action à reproduire. Il faut savoir qu’en plus de servir de forme d’opposition aux projets pétroliers, le camp constitue un projet politique plus large : permettre à ceux et celles qui y prennent part de s’auto-guérir du colonialisme en retournant à des formes de vie ancestrales (construction de maisons longues, communion avec la nature, etc.) et en cultivant la fierté et l’identité autochtone.
Démêler les choses afin de soutenir la lutte de libération nationale autochtone
Les événements récents comportent plusieurs aspects auxquels les révolutionnaires au pays doivent s’intéresser. Tout d’abord, il faut se pencher sur la forme de lutte employée actuellement par les militants autochtones, soit celle des barricades sur les chemins de fer. Déjà, on peut affirmer que l’un des mérites de cette forme de lutte est qu’elle permet d’avoir un impact économique énorme proportionnellement au nombre de militants impliqués, permettant d’établir un rapport de force intéressant avec l’État bourgeois canadien. Il sera important d’étudier les forces et les faiblesses propagandistes de cette forme de lutte, de même que les moyens techniques permettant de la mettre en œuvre. Ensuite, il faut développer une juste compréhension du lien entre l’initiative des dernières semaines et le mouvement national autochtone en général. On peut par exemple comparer les formes d’action passées et actuelles du mouvement, évaluer les perspectives portées par les militants qui le composent et identifier les avancées et les reculs idéologiques en son sein. Par rapport aux événements récents, en plus de s’intéresser aux moyens de lutte employés, il faut donc se pencher sur les revendications et les objectifs derrière les actions de blocage, et se demander si ces objectifs font avancer ou pas la lutte pour la libération des nations autochtones et pour l’émancipation du prolétariat canadien dans son ensemble.
En fait, pour notre journal, les événements récents sont l’occasion de distinguer ce qui est fondamental de ce qui est secondaire dans la lutte des nations autochtones au Canada. Il s’agit également d’une occasion pour distinguer ce qui est de l’ordre des contradictions matérielles de ce qui relève du discours idéologique superflu. Ce faisant, il faut critiquer et écarter les idées qui retardent et entravent le combat révolutionnaire au sein du mouvement national autochtone et parmi les forces qui l’appuient. Parmi ces idées, on trouve notamment les idées réactionnaires mises de l’avant par l’écologie politique, idées qui obscurcissent l’enjeu réel du conflit et qui détournent le mouvement de ses objectifs progressistes. Ces idées se mêlent présentement avec les positions traditionalistes (qui représentent elles-mêmes un cul-de-sac) de certains chefs et militants autochtones, positions consistant à exalter et à fétichiser des modes de vie ancestraux ainsi qu’à rejeter la société industrialisée et la modernité. La confusion engendrée par ces idéologies se manifeste par exemple dans la perspective consistant à s’opposer par principe à tout projet de pipeline, comme si les pipelines (ou d’autres moyens de production semblables) étaient en eux-mêmes une source d’oppression. En fait, il y a un gouffre infranchissable entre la légèreté du discours écologiste et le poids de la contradiction matérielle à l’origine de l’oppression nationale des autochtones au Canada. Pour se repérer, il faut donc absolument revenir à cette contradiction réelle, laquelle constitue le moteur de l’affrontement actuel, comme de toutes les escarmouches entre les autochtones et l’État canadien.
L’oppression nationale des autochtones et sa base matérielle dans l’économie
L’oppression nationale des autochtones au Canada trouve sa forme politique et juridique dans la Loi sur les Indiens. Il faut comprendre que cette loi est le résultat de la lutte entre les nations autochtones et l’État capitaliste canadien. Elle est le produit d’une série d’événements historiques à travers lesquels le capitalisme a émergé et s’est consolidé. Elle est ainsi le produit de la colonisation européenne de l’Amérique, du pillage des ressources par les colons ainsi que des guerres et des meurtres de masse pour chasser les autochtones du territoire et ensuite mater leurs mouvements de révolte. Dans ce contexte, les réserves, qui sont au cœur de la Loi sur les indiens, sont apparues comme une solution pour la bourgeoisie canadienne et comme une tactique contre les peuples indigènes. La Loi sur les indiens permettait au capitalisme canadien naissant de régler la question des peuples autochtones en établissant le cadre juridique de leur oppression nationale. Elle était – et elle est encore – l’expression des intérêts économiques de la bourgeoisie canadienne, intérêts consistant à contrôler le territoire et ses ressources, à libérer l’espace pour donner libre cours à l’accumulation de capital canadien et à freiner l’accumulation de capital autochtone. Dans la sphère du pouvoir politique, la Loi sur les indiens permet de réduire considérablement le potentiel de contestation des autochtones en dehors d’une guerre révolutionnaire ouverte.
La Loi sur les Indiens pose des entraves insurmontables au développement d’une économie autochtone forte et unifiée et d’une bourgeoisie autochtone indépendante. Elle empêche la mise en place des leviers économiques fondamentaux qui permettraient l’accumulation de capital nécessaire pour impulser la transformation de la société dans les réserves. Elle établit un régime foncier particulier – ce que l’on appelle les réserves autochtones –, de même qu’un statut particulier parmi les citoyens canadiens – le statut d’Indien. Elle interdit la propriété à ceux ayant le statut d’Indien et ne leur accorde qu’un droit de possession. Ces entraves se répercutent ensuite sur le financement, sur l’héritage et sur l’activité économique en général. S’il n’y a pas de réel droit à la propriété privée pour les Indiens, il est presque impossible pour eux de mettre en œuvre un processus d’accumulation du capital allant en s’élargissant et capable d’agir en réelle force motrice dans la société. La Loi sur les Indiens constitue un couteau à double tranchant, car si les autochtones luttent contre elle pour l’abolir dans les conditions actuelles, la bourgeoisie canadienne va immédiatement en profiter pour ouvrir complètement le territoire à la pénétration de son capital privé. Aujourd’hui, le capital canadien privé ne peut pas accéder sans entraves aux territoires autochtones. Il reste que dans la Loi sur les Indiens, la bourgeoisie canadienne conserve un droit de regard sur le fait que l’État peut installer des forces productives (par exemple des pipelines) sur ces territoires si cela est jugé nécessaire au développement général du capitalisme canadien.
C’est une vérité incontestable que la Loi sur les Indiens doit être abolie. Cependant, en dernière instance, la finalité du combat n’est pas contre l’existence de la Loi sur les Indiens, car celle-ci n’est que le reflet des intérêts matériels de la bourgeoisie canadienne et des lois économiques de la production capitaliste au Canada (en ce qui concerne leurs rapports avec les nations autochtones) dans la superstructure juridique de la société. C’est pour cela que pour comprendre le conflit actuel et l’origine matérielle de l’oppression nationale des autochtones, il faut retourner aux lois du capitalisme – notamment la nécessité pour les bourgeois d’accumuler continuellement du profit – et étudier les particularités du capitalisme canadien. Dans la situation actuelle, il faut s’intéresser à l’accumulation de capital, c’est-à-dire au fait que la production et l’économie capitalistes tombent en crise si elles ne parviennent pas à trouver constamment de nouvelles sources de profit, ainsi qu’à la valorisation du capital, c’est-à-dire à la nécessité de vendre les marchandises pour réaliser le profit. Aujourd’hui, le territoire est l’enjeu réel au cœur du conflit entre l’État canadien et les nations autochtones, notamment en raison de l’importance qu’a pris l’industrie pétrolière dans la dernière décennie au pays. Pour la bourgeoisie canadienne, il y a la nécessité de mettre en place des forces productives pétrolières supplémentaires et d’agrandir considérablement l’infrastructure de transport pour réussir à acheminer un grand volume de pétrole vers les côtes (sans quoi la réalisation de la valeur contenue dans le pétrole ne peut se faire). Or, ces forces productives doivent nécessairement passer par les territoires autochtones.
Derrière le conflit actuel et les revendications des militants autochtones, se trouve un ensemble de tâches historiques qui n’ont pas encore été accomplies au sein des nations autochtones. En ce moment, même si les nations autochtones recevaient des redevances plus importantes sur le pétrole, cela n’enlèverait pas les entraves économiques qui empêchent l’émergence d’un véritable processus d’accumulation de capital. L’argent ne se transforme pas si facilement en capital. Si les entraves économiques n’ont pas été éliminées, les compensations monétaires parviennent difficilement à s’intégrer à une activité économique autonome et conséquente. Ainsi, l’argent ne parvient pas à alimenter un processus de reproduction large et constant du capital, capable d’impulser les transformations matérielles nécessaires dans la société. Pour faire disparaître ces entraves, il faudra une révolution capable de désarmer et d’exproprier l’État canadien. Ainsi, il sera possible pour les autochtones d’accomplir les tâches historiques encore à réaliser, par exemple l’unification économique, politique et nationale des peuples autochtones ainsi que l’émergence d’une industrie nationale autochtone.
C’est là que l’importance stratégique du mouvement national autochtone dans le processus révolutionnaire au Canada se révèle. Les autochtones ne peuvent pas régler les problèmes qui les affligent (soit des conditions matérielles d’existence exécrables, la vie dans des prisons à ciel ouvert, l’obligation de devoir choisir entre des entraves économiques, politiques et culturelles perpétuelles ou la liquidation nationale totale) sans la révolution, c’est-à-dire sans le renversement complet de l’État capitaliste canadien. Par conséquent, le prolétariat canadien et les nations autochtones sont objectivement des alliés dans leur lutte commune contre la bourgeoisie canadienne. Tout mouvement conséquent de la classe ouvrière visant à la prise du pouvoir doit établir une alliance solide avec les nations autochtones.
Cela dit, le soutien du prolétariat canadien révolutionnaire aux luttes et à la résistance autochtones ne signifie pas un appui aux perspectives et à l’idéologie défendues par les chefs traditionalistes ainsi qu’une acceptation des illusions écologistes. L’appui du prolétariat au mouvement national autochtone est essentiellement une défense du droit des nations autochtones à disposer d‘elles-mêmes. Il s’agit d’un appui à la révolution autochtone de démocratie nouvelle et d’un appui au contrôle complet par les nations autochtones de leur territoire et de leur économie. Il s’agit d’une reconnaissance de la légitimité, pour les autochtones, d’utiliser l’ensemble des formes de lutte et des moyens nécessaires pour atteindre leur pleine émancipation. Cet appui s’organise consciemment avec la reconnaissance du rôle central du mouvement national autochtone dans la stratégie de la guerre populaire prolongée au Canada.
Dans la situation actuelle, il faut appuyer sans hésitations la revendication du retrait de la GRC des territoires autochtones et dénoncer la répression policière exercée par l’État canadien contre le mouvement. Il faut également appuyer le droit des nations autochtones à décider de la manière dont le développement économique doit s’effectuer sur leurs territoires. Cependant, en tant que communistes et en tant que matérialistes, nous considérons comme quelque chose de positif les forces productives modernes et développées et nous sommes donc favorables à la construction de pipelines. Nous voulons justement voir le développement de puissants moyens de production comme les pipelines (mais aussi comme les centrales hydroélectriques, les mines et bien d’autres encore) contrôlés et détenus par les nations autochtones, et même l’émergence de grandes villes modernes au sein de ces nations. Nous voulons que les autochtones puissent bénéficier pleinement, comme n’importe quelle nation émancipée, de toutes les facettes de la grande industrie. En d’autres mots, nous sommes pour la république démocratique des peuples autochtones et non pour les illusions et les mensonges des écologistes.
Appuyons le combat pour le droit à l’autodétermination des nations autochtones et pour leur développement économique!
Soutenons la lutte pour le retrait de la police fédérale et provinciale de leurs territoires!
Continuons à développer la lutte révolutionnaire pour faire tomber l’État canadien!
Pour les lecteurs voulant en apprendre davantage, deux articles publiés dans les derniers mois abordent les thèmes dont il a été question dans ce texte : À propos de l’importance du secteur pétrolier pour le capitalisme canadien et La grève nationale des travailleurs des chemins de fer du CN : un combat inspirant ébranlant l’économie d’un océan à l’autre.
Dans ces deux articles, le journal traite de l’importance qu’a pris l’industrie pétrolière au Canada et de la manière dont celle-ci est la force motrice de l’affrontement actuel autour du contrôle du territoire entre la bourgeoisie canadienne et les nations autochtones. On y retrouve également des considérations générales sur l’importance actuelle et historique du transport de marchandises par chemins de fer au pays. 

No comments:

Post a Comment