L’autre parcours de Youssef Chahed
L’image
relayée par les médias dominants a omis une période importante du
parcours de Youssef Chahed : ses années en tant que chargé de missions
au département Foreign Agricultural Service à l’ambassade américaine à
Tunis.
Le ministre des Affaires locales
dans le gouvernement sortant et le président du comité de consensus
institué par le président de la République lors de la crise qui a secoué
son parti à la fin de 2015, n’est pas seulement universitaire et expert
international en politique agricole, comme le mentionne succinctement
sa biographie officielle. Avant, et longtemps après le 14 janvier 2011,
Youssef Chahed a travaillé au Foreign Agricultural Service à l’ambassade
américaine de Tunis.
Fonctionnaire de l’ambassade américaine
Cette
agence relevant du département de l’Agriculture des États-Unis est l’un
des principaux leviers de la politique économique américaine. Sa
mission cible la promotion du « secteur alimentaire et l’agriculture à
l’étranger », à travers la collecte d’informations sur le mouvement de
l’offre et de la demande mondiales et les nouvelles opportunités sur le
marché. Les activités du Foreign Agricultural Service visent en effet à
améliorer la capacité des produits américains à entrer sur le marché
mondial, à mettre en œuvre des programmes en vue de créer de nouveaux
marchés et à maintenir la compétitivité des produits américains sur les
marchés mondiaux.
La correspondance fuitée par wikileaks, datée
du 13 janvier 2010 et signée par l’ambassadeur Gordon Gray révèle les
efforts consentis par les Etats-Unis pour convaincre les autorités
tunisiennes de procéder à l’adoption, la commercialisation et
l’utilisation de la « biotechnologie » (les OGM et les pesticides) dans
le domaine de l’agriculture en Tunisie. La même correspondance met en
garde contre une éventuelle réticence des autorités tunisiennes dans
l’application de cette politique, sous la pression des partenaires
traditionnels de la Tunisie, c’est-à-dire l’Union européenne.
Représentant de commerce des « biotechnologies »La correspondance évoque aussi l’organisation d’un atelier, où sont conviés plusieurs experts américains pour effectuer des études de terrain et animer des discussions avec les acteurs clés du secteur agricole tunisien, parmi les représentants du gouvernement, les députés et les acteurs de la société civile. L’ambassadeur recommande enfin de se mettre en contact avec Youssef Chahed, chargé du suivi et de l’organisation de l’atelier et de la communication autour de l’évènement.
Le recrutement de Youssef Chahed en tant qu’expert agricole à l’ambassade des États-Unis n’a pas été fortuit. Il est l’auteur d’une thèse de doctorat soutenue à Paris en 2003 sous le titre évocateur de « ,Mesure de l’impact de la libéralisation des marchés agricoles sur les échanges et le bien-être ,».
L’économiste Mustapha Jouili a passé au peigne fin cette thèse. Il assure que Youssef Chahed y prône la nécessité de la libéralisation totale du secteur de l’agriculture en Tunisie et recommande des réformes foncières en vue de libéraliser l’investissement agricole et de permettre aux investisseurs étrangers de posséder des terres agricoles en Tunisie.
Selon Jouili, des notions comme « la protection des droits des agriculteurs » ou « la souveraineté alimentaire » sont aux yeux de Youssef Chahed des slogans obsolètes et contraires aux fondements de la science moderne. Pour l’économiste de gauche, le nouveau chef du gouvernement est étroitement lié aux institutions financières mondiales et plus particulièrement à l’Organisation mondiale du commerce.
Youssef Chahed a également assisté en tant qu’observateur, représentant les Etats-Unis d’Amérique, à la 28ème Session de la Conférence Régionale de la FAO pour l’Afrique organisée à Tunis en mars 2014.
Sous l’aile de Béji Caid Essebsi
Le parcours politique de Youssef Chahed a commencé au sein du parti Al Wifak Al Jomhouri qui s’est présenté aux élections de 2011 au sein de la coalition du Pôle démocratique moderniste. Le parti fondé par Youssef Chahed, son ami Slim Azzabi et Abdelaziz Belkodja a fusionné avec deux autres partis politiques pour former, en 2012, le parti Al Jomhouri.
Un an après, Chahed a quitté le parti d’Ahmed Nejib Chebbi, pour rejoindre, avec Saïd Aïdi, Nidaa Tounes, qui fêtait alors son premier anniversaire.
En janvier 2016, Nidaa Tounes est en pleine crise. La guerre des chefs faisait rage entre Hafedh Caid Essbsi et Mohsen Marzouk. Le président du parti Béji Caid Essbssi nomme Youssef Chahed à la tête d’« un comité du consensus » chargé d’éteindre l’incendie. Quatre des treize membres du comité ont démissionné, estimant que Youssef Chahed a fait valoir les intérêts et les dictats de Hafedh Caid Essbsi. Le groupe de Mohsen Marzouk a fini par quitter Nidaa Tounes pour former Machrou’ Tounes [Projet pour la Tunisie].
Plusieurs observateurs ont souligné la concordance entre sa mission au sein de Nidaa et sa nomination au poste de ministre des Affaires locales. Une récompense pour le rôle qu’il a joué au profit de Hafedh Caid Essebsi, fils du président de la République, d’où les craintes du retour du clan familial au sommet de l’Etat.
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