Mai
68, les « maos » et la Gauche Prolétarienne
La
vie du peuple, la vie des masses, est parfois ponctué d’événements
extraordinaires, de mouvements puissants, qui rentrent dans
l'histoire. En quelques mois, ce sont des années de travail
politique qui se matérialisent ; c'est une prise de conscience
aussi violente que rapide. Pourtant, ces événements extraordinaires
ne naissent pas spontanément. Car la vie du peuple est avant tout
marquée par la répétition de gestes, de tâches, de fêtes ;
l'oppression coince les masses dans un quotidien violent ; cette
oppression forge le cœur et le corps des masses, et voit naître une
culture des opprimés.
C'est
le processus dialectique : l'accumulation de quantité provoque
un saut qualitatif ; ce saut, ce sont les grands mouvements, ce sont
les révolutions.
L'oppression
des ouvriers à fait les « événements de mai » et la
violence de juin, il y a cinquante ans, la culture des opprimés à
forgé la conscience et la volonté de révolte, et le grand
mouvement de masse à balayé toute la merde révisionniste accumulée
depuis des décennies.
« L’opportunisme
n’est pas un effet du hasard, ni un péché, ni une bévue, ni la
trahison d’individus isolés, mais le produit social de toute une
époque historique. Cependant, tout le monde ne médite pas
suffisamment sur la signification de cette vérité. L’opportunisme
est le fruit de la légalité. »
Lénine,
La faillite de la IIe Internationale,
1915
« Les
Communistes analysent toujours l’Histoire afin que le passé serve
le futur. Le territoire de l’État français a été traversé par
de nombreuses périodes de lutte de classe aiguë. Parmi celles-ci,
nous donnons priorité à l’étude de la Commune de Paris ; la
lutte partisane contre l’occupant nazi et le régime de Vichy ; Mai
68 et la décennie qui a suivi ; la révolte des banlieues de 2005. »
Textes
de Base du Parti Communiste Maoïste, 2015-2016
Dans
l’État français, les événements de 1968 ont marqué le
mouvement ouvrier en général, avec des grèves de plus de dix
millions de salariés, et le mouvement maoïste en particulier, avec
l’émergence d’organisations s’appuyant sur la Pensée Mao
Zedong ou s’inspirant des événements contemporains de l’autre
côté du monde, dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne
chinoise. Ces révoltes et les organisations qui y ont participé
contiennent évidemment un double-aspect, et il est commun dans
l’État français que la bourgeoisie et ses laquais n’évoquent
« Mai 68 », ou « l’esprit 68 » que comme un
caprice d’étudiants petits-bourgeois luttant pour la libération
sexuelle et contre les idées conservatrices de leurs parents.
Évidemment,
faire de cet aspect spécifique des événements de 68 l’aspect
principal des luttes qui ont animé le pays, c’est un choix
politique de la part de la bourgeoisie. C’est un choix politique
idéaliste, car il ne prend pas en compte la réalité d’un pays où
la production est arrêtée par les grèves et les occupations
d’usines. C’est également un choix politique mécaniste, car il
refuse de voir l’ensemble des processus révolutionnaires qui ont
déferlé sur le monde à cette époque, à commencer par la Grande
Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine en 1966. Ce choix
ignore, dans l’État français, le déroulement de 68 sur le temps
long, c’est-à-dire sur le mois de Juin en plus de Mai, car c’est
pendant ce mois-ci que la classe ouvrière a connu ses martyrs lors
des affrontements les plus déterminés. Plus de 7 camarades ont
trouvé la mort en 68, tous après le 24 mai, alors même que le
gouvernement et les directions syndicales négociaient les Accords de
Grenelle pour le retour au calme. Ceux-ci se nomment Gilles Tautin,
lycéen maoïste de 17 ans noyé dans la Seine le 10 juin 1968 alors
qu’il soutenait la lutte à l’usine Renault-Flins avec ses
camarades, Philippe Mathérion, retrouvé mort le 24 mai sur une
barricade à Paris, mort d’une grenade, Pierre Beylot, ouvrier
serrurier de 24 ans tué par un CRS d’une balle de 9mm à l’usine
Peugeot de Sochaux-Montbéliard, et Henri Blanchet, 49 ans, lui aussi
assassiné par une grenade offensive de la police dans la même usine
qui le fait tomber d’un parapet.
Contre
cette analyse idéaliste et juste bonne à remplir l’imaginaire des
bourgeois sur l’histoire de la lutte qu’ils craignent, la lutte
des classes, nous avançons une compréhension matérialiste
dialectique, qui saisit 1968 comme un mouvement prolétarien,
prolongé et internationaliste.
Pour
les maoïstes, pour les communistes de notre époque, les années
60-70 sont la plus grande bataille révolutionnaire menée par les
masses en direction de la Révolution mondiale ; c'est la grande
bataille d'après-guerre ; ce sont les expériences les plus
abouties dans la lutte contre le capitalisme au stade impérialiste
et le révisionnisme moderne, basées sur l'expérience de la Grande
Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine Populaire.
Dans
les pays semi-coloniaux semi-féodaux, ce sont des Guerres Populaires
qui ont succédé à ce mouvement, comme l’insurrection de
Naxalbari de 1967 en Inde, la fondation du TKP/ML en Turquie, la
révolution menée par le Parti Communiste des Philippines depuis
bientôt 50 ans, ainsi que la reconstruction du Parti et la lutte
armée prolongée dirigée par le Parti Communiste du Pérou à
partir des années 1970-80, alors que le capitalisme semblait
triomphant sur le socialisme factice de l’URSS révisionniste. Dans
les pays impérialistes cependant, comme l’État français, il
faudra attendre les grandes explosions dans les quartiers populaires,
dans les années 1990-2000, pour inverser la tendance. En effet, ces
révoltes, bien que non menées par des Partis Communistes, ont
prouvé une nouvelle fois au masses qu'elles peuvent repousser l’État
Bourgeois, combattre violemment sa police, et que la révolution est
toujours possible et nécessaire dans les pays impérialistes.
Dans
cet article, nous allons analyser le mouvement des « maos »
en France, qui commence au milieu des années 60, est bouleversé par
les « événements de Mai » et les grands affrontements
de Juin, et qui termine dix ans plus tard. Le but est de tirer, à
partir d'une analyse marxiste-léniniste-maoïste, des conclusions
utiles pour la lutte révolutionnaire aujourd'hui dans l’État
français et dans tous les pays impérialistes.
Dans
le monde, « le fond de l'air est rouge »
Mai
68 en France n'est pas un événement isolé. Dans le monde des
années 1960, la tempête révolutionnaire souffle, depuis
l'après-guerre, de plus en plus fort.
En
Asie, au cœur de la tempête, la Grande Révolution Culturelle
Prolétarienne Chinoise est à la tête de cet immense mouvement qui
mobilise les masses de toute la planète; l'expérience des masses
populaires de Chine, dirigées par le Parti Communiste Chinois,
approfondit l'expérience soviétique. En Chine, tous les aspects
capitalistes de la société sont remis en cause, ce qui amène à la
prolétarisation des masses paysannes, à la hausse du niveau de vie
du prolétariat et au changement total des rapports sociaux ;
l'effondrement de la division du travail amène à la remise en cause
du patriarcat, l'institution policière s'éteint, remplacée par les
masses en armes.
Au
Vietnam, le Parti Communiste mené par Ho-Chi-Minh mène la lutte de
libération nationale depuis des décennies, contre les impérialistes
français, japonais, puis américains. La guerre populaire du peuple
vietnamien est soutenue partout dans les métropoles impérialistes
et provoque de nombreux mouvements de masse ; le slogan
« Victoire pour le Vietnam ! » est la ligne rouge
entre révolutionnaires et révisionnistes qui eux scandent « Paix
pour le Vietnam ». C'est un slogan impérialiste, car les
impérialistes voudraient la paix, et non la libération, dans les
colonies et les semi-colonies.
En
URSS, le vieil appareil d’État révisionniste, social
impérialiste, est ébranlé par la révolte des masses populaires ;
en 1968, ce sont les chars d'assaut soviétiques qui sont obligés
d'intervenir à Prague et Varsovie pour écraser la révolte.
A
Cuba, le Che et Fidel Castro dirigent la lutte des masses populaires
pour la libération nationale ; en Algérie, c'est le FLN qui
dirige la lutte populaire ; politisant indirectement la jeunesse
populaire de France. En Inde, en Turquie, aux Philippines, les
grandes révoltes paysannes et ouvrières provoquent la création de
Partis marxistes-léninistes basés sur la pensée Mao Zedong, qui
développent la guerre populaire prolongée dans les pays
semi-coloniaux semi-féodaux.
Dans
les pays impérialistes, cette tempête révolutionnaire provoque la
création de nombreux Partis et mouvements anti-révisionnistes :
la jeunesse étudiante allemande fonde son Parti, aux Etats-Unis, le
Black Panther Party et le Weather Underground organisent différents
secteurs des masses ; en Italie, les mouvements armés se
développent à partir des révoltes prolétariennes parties des
grandes usines.
En
Espagne, le mouvement de masse naît de cette période et aboutira à
la révolte contre Franco. Les mouvements de libération nationale
gagneront en puissance pendant toute la période ; Euskadi Ta
Askatasuna fera par exemple trembler l’État fasciste Espagnol en
assassinant Carrero Blanco.
La
lutte contre le révisionnisme en France
En
Mai 68, il existe deux organisations anti-révisionnistes en France:
le PCMLF (financé par la Chine populaire), et l’UJC(ml).
Le
PCMLF est issu des « amitiés Franco-chinoises »,
ensemble de groupes se revendiquant proche de la pensée de Mao et de
la révolution en Chine au sein du PCF révisionniste; ils seront
exclus de ce dernier en 1964 à cause de leur lutte
antirévisionniste. Les dirigeants de la mouvance partiront en Chine
Populaire la même année, puis viendra la fondation du MCMLF en
1966, après un affrontement entre Service d’ordre "mao"
et Service d’ordre du PCF à la suite d'une manifestation contre
l'intervention impérialiste au Vietnam. Ce mouvement se cristallise
et se construit autour de sa défense contre les attaques violentes
systématiques du PCF : par exemple, jusqu'à plusieurs
centaines de membres du PCF outillés attaqueront un meeting de
soutien au Nord-Vietnam en 67. En décembre 1967, 114 délégués
représentant plusieurs centaines de membres fondent le PCMLF et le
Mouvement est alors transformé en Parti lors d’un congrès
lui-même attaqué par les révisionnistes.
Toutefois,
la ligne stratégique du PCMLF est simplement de combattre la
direction du PCF, de se réclamer comme "nouveau PCF"
légitime ; il n'y a pas de réel combat contre le révisionnisme en
tant que tel, mais simplement contre les formes qu’il prend dans le
vieux Parti.
Au
contraire, l'UJC-ML a une ligne différente et se constitue d'abord
comme centre idéologique pour combattre le révisionnisme. Dans
l'Union des Étudiants Communistes liée au PCF naît une tendance
"anti Italienne", qui combat le liquidationnisme de la
direction qui veut suivre le modèle du Parti Communiste Italien, et
qui s’organise autour des "cahiers du marxisme-léninisme".
En juillet 66, une poignée d'étudiants fondent une nouvelle
organisation autour d'une ligne anti révisionniste, "l'Union
des Jeunes Communistes – Marxiste-Léniniste"; elle sera
active dans la lutte antifasciste et pro nord-vietnamienne. Elle a
décidé d'aller vers les masses et de travailler avec la classe
ouvrière et les paysans pauvres le plus possible, de s'inspirer de
la Révolution Culturelle en Chine, avec les mots d'ordre "Servir
le Peuple", "Combattre le révisionnisme" et
"Descendre de son cheval".
Les
actions des "maos" visent à élèver le niveau théorique,
idéologique et politique des larges masses, tout en se basant sur
des pratiques préexistantes, de manière embryonnaire ou plus
massive. Aux yeux des maos, la lutte contre le révisionnisme passe
avant tout par la pratique. Par les mots, on peut tout dire, mais
c’est dans la pratique qu’on trace des lignes de démarcation.
C'est aussi par une pratique juste que l'on gagne les larges masses à
une ligne anti-révisionniste, en obtenant leur confiance et en
montrant que l'on ne lance pas des grandes phrases en l'air, mais
qu'on applique réellement sa théorie.
Il
y eu de nombreuses tentatives de construire ces embryons de front de
masse sur diverses questions, toujours en partant d’élément
positifs préexistant dans les masses.
Les
premières, ce sont les organisations pour le Vietnam et la
Palestine, à l’initiative de l'UJC(ml). Début 1967 elle tient son
congrès, puis appelle à créer des Comités Vietnam de Base (CVB),
qui naissent en février et auront un succès très grand dans la
jeunesse populaire. En mai sort Victoire pour le Vietnam,
organe qui aura six numéros jusqu'en mars 1968.
L'UJC(ml)
est également habituée aux bagarres de rue contre les fascistes.
Elle dispose de « Groupes de Protection et d'Autodéfense »,
extrêmement militarisés et formant des groupes de choc
antifascistes.
Le
but est à chaque fois, pour la Palestine comme pour le Vietnam, de
se lier largement aux masses les plus avancées, de synthétiser
ce qu'il y a de juste et de
renforcer le mouvement, "par en haut et par en bas", via la
direction communiste mais en partant toujours des besoins concrets
des masses.
Le
début de l'année 68 – un printemps chaud
Le
mouvement révolutionnaire ne se fonde pas sur du vide ; il est
relativement important, déjà avant 68, car les masses sont en
mouvement. Dès la fin de la guerre, les révoltes ouvrières se
multiplient :les automnes de 47 et 48, 20 ans plus tôt, voient
naître des grèves armées et des violents affrontements. Alors
qu'en 2018 nous nous entendons régulièrement des références aux
grandes grèves de 95, 20 ans avant 68 ce sont les ouvriers issus de
la résistance qui agissent contre le pouvoir des patrons.
Il
y a eu également l'expérience de l'Algérie Française : moins
de dix ans plus tôt, l’État Français à montré à Paris, sous
la direction de l'ancien dirigeant collabo Maurice Papon, son vrai
visage. En Algérie même, les mouvements indépendantistes ont été
réprimés dans le sang par l’État colon.
Depuis
63, et avec une intensification depuis 67, les luttes ouvrières se
multiplient et se radicalisent violemment, particulièrement dans
l'ouest de la France.
Enfin,
Mai arrive dans un contexte d'agitation virulente pour le Vietnam,
les actions antifascistes contre les fascistes partisan du sud
Vietnam se multiplient, les groupes gauchistes font leurs armes dans
des bagarres de rue du quartier Latin.
Un
exemple de ces actions arrive le dimanche 28 avril 1968 à Paris, rue
de Rennes. Une exposition d'extrême droite fait la promotion du
régime fantoche du Sud Vietnam, soutenu par les USA. Cela fait des
mois que les fascistes harcèlent les étudiants révolutionnaires
qui ont décidé de ne plus se laisser faire. Ce jour-là, à l'heure
du déjeuner, une 4L pile devant la salle. Cinquante jeunes
déboulent, ouvrent le coffre, en sortent des manches de pioche et se
ruent sur les fascistes au cri de "FNL vaincra!" Ce sont
trois commandos des Groupes de Protection et d'Autodéfense, le
service d'ordre de l'Union des Jeunesses Communistes
(marxistes-léninistes). La salle est prise et l’exposition est
ravagée après un combat bref mais très violent. Occident promet de
se venger, et les "maos" s'organisent en conséquence en se
préparant à défendre les universités visées par les fascistes.
L'escalade des menaces, des manifestions et de la répression
policière est alors la cause directe de l'explosion de Mai 68.
Ainsi,
Mai 68 n'arrive pas comme un orage dans un ciel sans nuage. Ce n'est
pas une histoire de liberté de circulation ou d’exprimer sa
sexualité qui déclenche les événements, mais une accumulation de
luttes violentes contre l'impérialisme français. En fait,
l'historiographie bourgeoise ne comprend pas les liens entre les
différents éléments. En janvier 68, de violentes émeutes ont lieu
à Nanterre contre l'expulsion du territoire de Daniel Cohn Bendit,
allemand, qui à participé à des altercations sur la question de la
liberté sexuelle. Toutefois, il n'y aurait pas eu ces émeutes sans
toutes les luttes anti impérialistes. Il s'agit d'une des multiples
étincelles qui mettent le feu à la plaine. Mais la plaine se
serait, d'une façon ou d'une autre, embrasée.
En
février 68, des grèves violentes à l'usine Saviem de Caen font 200
blessés, les ouvriers manifestent dans l'usine et cassent tout.
Si,
au début du mois, l’attaque du meeting pour le Sud-Vietnam à la
salle de la Mutualité à Paris échoue, la détermination militante
culmine dans l’affrontement de 300 activistes contre les CRS, et le
21 février 1968, où les CVB parviendront à hisser un drapeau du
FNL du Vietnam sur la façade de l'ambassade du Sud Vietnam. En mars,
il existe 120 CVB en Île-de-France et 150 en province.
Le
20 mars, 300 étudiants dont de nombreux « maos »
occupent à la suite d'une manif du Comité Vietnam National, le
siège de l'Américan Express. Deux jours plus tard, le 22 mars, une
assemblée générale étudiante appel à la libération des 6
arrêtés du 20 mars.
Le 1er mai, le mouvement du 22 mars organise un cortège violent qui affronte la police au sein du défilé des révisionnistes. Dans le même temps, les Comités Vietnam de Base appellent à la contre manifestation contre un meeting d'occident pour le Sud Vietnam autorisé à Nanterre le 3 mai. Les maos occupent le campus de manière militaire et stockent des cocktails Molotov, des casques et des bâtons, pour empêcher les fascistes d'accéder au campus. Ce même 3 mai, le groupe fasciste Occident est soupçonné d'avoir déclenché un incendie en dessous d'un local occupé par des étudiants gauchistes à la Sorbonne. Pendant les affrontements entre étudiants et ouvriers (prêts à faire intervenir leurs bulldozers) et policiers, on apprend l'arrestation de 8 étudiants de Nanterre suite aux événements du 1er mai.
Le
mouvement du 22 mars et l'UNEF, alors « gauchiste »,
appellent à une manifestation anti-répression le 6 mai. Mai 68 est
lancé. L'agitation ouvrière rejoint le mouvement étudiant, et les
maos dirigent la lutte contre l'impérialisme et pour la victoire du
peuple Vietnamien.
Pourtant,
l'UJC(ML), qui dirige plus ou moins les CVB, passera à coté du
mouvement. Ses dirigeants produisent plusieurs textes contre la
grève. Le 13 mai, l'UJC(ML) déclare que le mouvement en cours est
un mouvement social-démocrate contre révolutionnaire et appelle le
14 à un réel mouvement révolutionnaire contre le régime
gaulliste. Pourtant, la base militante de l'UJC(ML), ouvrière comme
étudiante, participe massivement aux grèves et affrontements,
qu'elle a en partie déclenché dans la lutte anti-fasciste et
anti-impérialiste.
Le
mouvement étudiant culminera par la nuit des barricades. Dans le
même temps, la main passe aux ouvriers : la grève appelée par
la CGT au lendemain du 14 devient générale. Les usines les plus
virulentes sont occupées les unes après les autres, de manière
spontanée. Le 16 et le 17 mai, les ouvriers d'usines multiplient les
séquestrations de dirigeants et de cadres, pratique qui réapparaît
depuis le début de l'année 67. C'est le cas à Sud-Aviation, à
Nantes.
Petit
à petit, les affrontements deviennent plus violents, là ou la lutte
est la plus dure depuis le plus longtemps. En effet, dans l'ouest
industriel, les contacts entre étudiants « gauchistes »
et grévistes sont nombreux et anciens, car les étudiants ont
participé à de nombreuses reprises aux grèves dures et aux
affrontements entre ouvriers et policiers ou maîtrise. Le mouvement
est beaucoup plus fort. C'est souvent le cas dans l'Est également,
comme à Sochaux ou Besançon. Le comité de grève de Besançon
déclare qu'à partir du 20 mai, les étudiants seront accueillis
pour discuter de la condition ouvrière sous le capitalisme.
A
partir du 24 mai et pendant dix jours, un comité de grève
CFDT-CGT-FO-FEN est crée qui dirigera pendant dix jours la ville. Le
30 mai, le comité est ouvert aux paysans et étudiants suite à
d'importantes manifestations. Le comité n'est plus un comité
d'organisations mais deviens un comité ouvrier-paysan-étudiants. Le
1er juin, les étudiants et ouvriers unis repoussent 500 contres
révolutionnaires gaullistes qui tentent d'envahir le centre EDF-GDF
de Nantes, centre de la contestation. Des organisations militarisées
fleurissent pour repousser les commandos d'extrème droite et la
police un peu partout ou les usines sont occupés.
En fait, avant le 30 mai et la manifestation gaulliste, les grévistes n'appliquent pas la violence contre les bourgeois, seulement contre les flics. C'est seulement après, quand la violence contre révolutionnaire se met en place, que les ouvriers vont commencer à être vraiment violents. En effet, les syndicats commencent à voter la reprise du travail, souvent sans les ouvriers eux mêmes ! Alors que la classe ouvrière est massivement en grève, les directions syndicales la trahissent, les affrontements entre ouvriers grévistes, étudiants et jaunes prennent une grande ampleur.
Les
affrontements dureront 4 jours autour de l'usine Renault Flins, où
la situation ne se calmera pas avant des années. 1000 policiers
envahissent l'usine le 5, pendant que des milliers d'ouvriers et des
centaines d'étudiants, 8000 personnes, assistent à un meeting à 10
km de là, à Elisabethville. Le bassin de la seine est en état de
siège du 8 au 10 juin, et le lycéen mao Gilles Tautin sera retrouvé
mort noyé. Autour de l'autoroute, les affrontements sont sanglants.
Plus
tard, à Sochaux, la situation explosive voit les ouvriers prendre
des armes et poursuivre les CRS. En déroute, ces derniers tuent deux
ouvriers. On raconte même qu'un ou deux CRS ont finis dans les cuves
en fusion de l'usine...
Ces
occupations et grèves ont principalement lieu au nord de la Loire,
dans la France industrielle, et beaucoup moins dans le sud, moins
ouvrier. Au final, les étudiants sont souvent bien accueillis par
les ouvriers. Parfois, les consignes de la CGT sont appliquées, et
les étudiants renvoyés chez eux. Au contraire, ce sont parfois les
ouvriers qui sollicitent les étudiants, et ces derniers, encadrés
par l'UNEF, qui refusent. Partout où les grèves virent à
l'affrontement, le sang froid et l'expérience des étudiants
d'organisations « gauchistes », en particulier «maos»
ou anarchistes, sont vus par les ouvriers comme un point central qui
leur à permis de résister.
Mai-Juin,
un soubresaut dans la luttes des classes
Mai
ne s'arrête pas brusquement le jour de la grande manifestation
gaulliste, comme le prétendent les historiens bourgeois. Mai n'est
pas une erreur de l'histoire, un événement incompris, mais un
sursaut de la lutte entre les classes. A la reprise du travail naît
une nouvelle forme d'organisation ; les comités de base.
Toutefois, sans Parti, sans Quartier Général de la Révolution,
l'expérience ouvrière est peu ou mal synthétisée ; d'autant
plus que le manque d'essence et de communications empêche un contact
massifs entre les différentes zones de grèves. L'immense majorité
des ouvriers ignore ce qu'il s'est passé dans les autres
entreprises. Sans un reportage national, personne n'aurait su comment
les accords de Grenelle ont été accueillis à Renault-Billancourt
et personne n'aurait refusé ses accords.
La
Gauche Prolétarienne est alors créée en septembre 1968 par une
quarantaine de militants et militantes du mouvement du 22 mars et de
l'UJC-ML. Elle permettra de développer le journal "La Cause du
Peuple", véritable organe de propagande mao qui regroupe autour
de lui des comités issus des masses, et qui est souvent prétexte à
des affrontements violents : diffuser la Cause du Peuple et mettre
une raclée aux révisionnistes et aux flics fait partie du même
acte, du même mouvement pour "prendre" un marché ou un
quartier populaire, une usine...
Les
maos insistent toujours sur l'aspect de la violence révolutionnaire,
et de la justice populaire : l'idée est simple, dans les
organisations de masse fondée par la Gauche Prolétarienne, ou
dirigée par elle, des organisations militarisées se forment
permettant des actions "coup de poing", faisant monter d'un
cran l'antagonisme social.
Le
premier exemple, c'est le pillage d'un magasin Fauchon, grand magasin
de luxe, par un commando étudiant de plusieurs dizaines de membres ;
les produits sont redistribués dans un bidonville de Nanterre. Le
message est clair : prenez par la force ce que la société vous
refuse !
Plus
tard, c'est l'Usine de Renaut Flins, dans les Yvelines à l'ouest de
Paris, qui est attaquée par un commando de 200 "GPistes"
équipés, qui mettent une volée à la maîtrise et à la sécurité
de l'usine et tiennent un meeting sauvage un an après la mort de
Gilles Tautin, jeune militant assassiné le 10 juin 1968 à Flins.
S'échappant par un ruisseau, ils parviendront à partir malgré la
présence d'hélicoptères de police, avec seulement une petite
poignée d’arrestations.
Cette
violence, c'est selon les maos "la dictature du prolétariat en
acte", c'est le pouvoir populaire qui se construit. Quelques
exemples de cette politique sont à noter : campagne à Renaut
Billancourt (45 000 ouvriers) pour le métro gratuit qui finit en
immense bagarre avec la police, puis par la redistribution des
tickets de métro ; mise en place des Groupes Ouvriers Anti Flics
(GOAF) qui tabassent les petits chefs les plus détestés des usines
; Groupe Antifascistes Multinationaux qui tournent dans les quartiers
du nord de Paris pour empêcher les crimes racistes de la police et
des fascistes, etc.
Les
maos de l'époque n’utilisent quasiment pas de moyens légaux, et
se tournent vers le "gauchisme". Ils déblayent,
développent des pratiques anti révisionnistes et tracent des lignes
de démarcation entre eux, la gauche révolutionnaire, et les
révisionnistes du PCF et de la CGT, même quand ceux-ci sont "durs"
dans leurs revendications.
Pour
se lier aux masses, au-delà de la violence prolétarienne, les maos
utilisent "l'établissement" : il s'agit d'aller en usine,
à l’entrepôt ou au champ pour comprendre et apprendre des
ouvriers eux même, de leur travail et de leur lutte.
Cette
stratégie mise en place par la Gauche Prolétarienne développe une
véritable base parmi les jeunes ouvriers, notamment immigrés. Les
militants mettent en avant qu’il faut comprendre les masses et
s’identifier à elles. De cette manière, le mouvement
révolutionnaire peut s’implanter et construire ses bases dans les
quartiers et les usines, et par extension les universités quand
elles existent.
La
liquidation
L’échec
essentiel des luttes du peuple de 1968 et des organisations comme la
Gauche Prolétarienne tient en général à l’absence d’un Parti
communiste capable de donner une direction juste et à même de mener
les luttes du peuple, et en particulier du refus des organisations
maoïstes à construire ce Quartier Général du prolétariat dans le
feu de la lutte des classes - en témoigne le spontanéisme de la
Gauche Prolétarienne. Dans cette organisation spécifiquement, le
parasitisme de dirigeants petits bourgeois pour qui les carrières
bourgeoises étaient à portée de main, contrairement aux nombreuses
et nombreux militants de terrain prolétaires ou établis, a conduit
à l’abandon de toute perspective révolutionnaire au cours des
années 1970. En novembre 1973, la direction opportuniste de la
Gauche Prolétarienne, menée par une clique, organise sa dissolution
et sa liquidation et abandonne la base ouvrière combative.
Cette
façon de fonctionner ne sort pas de nulle part : dès 1967,
l'UCJ-ML, dans ses objectifs stratégiques, refusait la construction
d'un Parti « par en haut » et préconisait la création
de noyaux capable de former « par en bas » le Parti. Dans
son document Édifions le Parti Communiste à l'époque de la
révolution culturelle, l'UJC(ML) explique qu'aucun parti ne peut
être fondé avant que le mouvement communiste ait la direction du
mouvement de masse, et que, sinon, il ne peut se proclamer Parti. Or,
c'est un modèle anti-dialectique, qui ne vois pas que le Parti ne
peut se construire qu'en même temps que la lutte de masse. Ainsi,
sans Parti, la direction petite-bourgeoise de la jeune Gauche
Prolétarienne délite et se coupe de sa base prolétarienne qui n'a
pas bâti d'outil pour assurer sa direction.
Conclusion :
quel héritage ?
Pour
les camarades refusant cette trahison, les années qui ont suivi ont
été des moments de lutte héroïque. En quête d’une théorie
juste et d’une pratique nouvelle ayant tiré inspiration des
victoires et échecs des « maos » de 68 et d’après,
certains se dirigent vers l’autonomie, tandis que d’autres
retournent au marxisme-léninisme anti-révisionniste. Dans
une période de reflux de la lutte prolétarienne, peu nombreux sont
ceux qui réussissent à tenir une ligne rouge. Le cas
de notre Camarade Pierre, mort en décembre dernier et dirigeant de
premier plan dans le Parti Communiste maoïste, est marquant. Bien
que militant déterminé de la base de la Gauche Prolétarienne, son
apprentissage du marxisme-léninisme-maoïsme n’a pu être
accompli que par l’assistance résolue des camarades étrangers en
exil sur le territoire français. L’implantation et le
développement de la synthèse communiste actuelle, le
marxisme-léninisme-maoïsme, n’a donc pu commencer que des années
après 68 et la Gauche Prolétarienne, et elle se nourrit des succès
et échecs des luttes de cette période pour mener les luttes de
notre temps.
Quelques
lectures recommandées :
Les
nouveaux Partisans, une histoire de la Gauche Prolétarienne
Le
Peuple Français, n°2, 2e série, avril-juin 78
Les
cahiers de Mai, série complète
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