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Maldonne
Les motivations des
manifestants
Les manifestations monstres
orchestrées par le pouvoir avec le soutien militant de tous les partis
bourgeois, des radios, de la télé et de la presse à grand tirage, ont rassemblé
des millions de personnes révoltées par le terrorisme et revendiquant la liberté
d’expression et la tolérance. Mais les souhaits des manifestants et les
objectifs du pouvoir sont sensiblement différents. C’est même un abîme qui
sépare les deux.
Déjà parmi les premiers la
volonté de tolérance et la stricte laïcité ne sont pas
identiques.
Puis le slogan « je suis
Charlie » milite pour la liberté d’expression en général mais il recouvre
des réalités très différentes. Certains défendent la ligne éditoriale de Charlie
Hebdo, d’autres non, et la plus grande part des manifestants ne l’ont jamais lu
puisqu’il tirait à 60 000 exemplaires et battait de l’aile
Et celles de la
bourgeoisie
Hollande n’a jamais vraiment
souffert des traits de Charlie et Sarkozy avait pistonné son directeur Val à
France Inter. C’est selon eux un bon placement maintenant. L’Etat verse un
million, l’audiovisuel 500 000, Google 250 000 € et un mystérieux donateur
s’engage à le financer pour plusieurs années. Fin de partie pour l’impertinence
et l’indépendance d’esprit revendiquées, mais depuis longtemps rentrées dans le
rang. Désormais Charlie hébergé par Libé est définitivement intégré au groupe de
presse socialo.
L’Union Sacrée était le
leitmotiv de la journée et ce sentiment était partagé dans la manifestation, qui
arborait des drapeaux tricolores, applaudissait la police et chantait la
Marseillaise. Mais très vite on s’est aperçu que chacun des partis bourgeois
cherchait à récupérer la recette de Dimanche.
Hollande en avait bien besoin et
l’opération terroriste lui est d’un grand secours.
Sarkozy aussi veut se faufiler au
premier rang, et Le Pen se tient dans le couloir extérieur.
Finalement l’Union Sacrée n’est
pas établie entre le FN et les autres, ni même entre Sarkozy et le PS, notamment
sur la question du FN interdit de séjour à Paris.
Les libertés individuelles
et la liberté d’expression issues de la révolution bourgeoise et de la
philosophie de Voltaire, que les journalistes ont porté aux nues Dimanche, sont
des concepts abstraits. La réalité qu’ils recouvrent réserve parfois quelques
surprises, comme le passé négrier de Voltaire justement.
Jusqu’où va la liberté
d’expression ? Où commence l’antisémitisme de Dieudonné et où s’arrête le
« second degré » de Charlie Hebdo ? Et jusqu’où vont la laïcité et sa tolérance
envers les religions?
Le port du voile est à peine
toléré mais ostracisé et interdit pour certaines professions.
Mais en même temps Valls et
Hollande lui-même représentant la France laïque ont coiffé la kipa, afin de
montrer la tolérance de notre pays.
Les caricatures de Mahomet ont
été présentées comme un exemple de la liberté d’expression qui s’exercerait
indifféremment contre toutes les religions.
Or ces caricatures renforcent
l’inégalité entre classe aisée et quartier populaire, dont la religion est un
marqueur, sans parler de l’image négative des arabes, moches, machos et cons,
comme celle des prolos d’ailleurs, dans Charlie Hebdo. Comment s’étonner ensuite
que les jeunes des banlieues ressentent de la haine ? Ils sont alors livrés par
les journalistes à la vindicte et au racisme, et les pogroms anti arabes ont
redoublé.
Enfin sous le slogan « je suis
Charlie » le droit à la parole de Charlie Hebdo se transforme en tyrannie de
sa ligne éditoriale pro OTAN, un comble pour un canard qui se voulait
anar.
Cerise sur le gâteau, la
revendication de la liberté d’expression sert maintenant à restreindre les
libertés. Et la polémique, amorcée par certains idéologues bourgeois en
s’appuyant sur la menace djihadiste, est maintenant sur le tapis. Le Patriot Act
est régulièrement évoqué et on ne discute plus de son principe mais du degré de
la surveillance. Mais rien ne garantit qu’elle ne visera que des terroristes et
non des opposants ou des syndicalistes. Ce serait bien pratique pour faire
passer des réformes anti sociales comme la loi Macron, et de nouvelles atteintes
aux ressources des retraités, des chômeurs et de l’ensemble des
salariés.
L’unanimité affichée recouvre
donc de profondes contradictions.
« Paris centre du
monde »…
On a décrété « Paris centre du
monde », mais à l’échelle mondiale les victimes du terrorisme se comptent
par centaines en Afrique et au Moyen Orient.
Il est intéressant de considérer
les pays représentés, ceux absents, et surtout les commentaires étrangers, car
il n’y a pas d’unanimité sur Charlie :
La critique
des religions n’est pas à armes égales dans le cas de l’islam puisqu’elle
s’effectue de pays riche à pays pauvre. Il en est de même pour le bashing
systématique pratiqué par l’occident envers les pays émergents. Dernier en date
« l’interview qui tue » diffusé incessamment sur les écrans. Par conséquent ces
caricatures sont considérées comme controversées ou insultantes par les pays
pauvres.
Pour les pays
anglo-saxons où la laïcité à la française n’existe pas, la relation entre la
liberté d’expression et la liberté de croyance religieuse est différente, d’où
la censure des caricatures de Charlie aux USA. A Londres les employés portent le
turban ou le voile. Les caricatures sont vues comme des provocations et une
source de désordre chez eux.
On a fait remarquer que les pays
anglo-saxons n’ont pas reproduit les caricatures de Charlie et on le leur a
reproché, en répétant qu’il faut critiquer les religions.
Paris s’est ainsi retrouvé isolé
au milieu de ses plus proches alliés : ils ne sont pas Charlie.
A l’inverse
Israël a justifié ici ouvertement la légitimité des bombardements de Gaza, en
affirmant qu’en défendant sa sécurité Israël et l’occident défendaient les mêmes
valeurs.
Cette
déclaration officielle qui n’a fait l’objet d’aucune réserve délite ainsi le
caractère universel des libertés défendues par la France et confirme le
soutien de la France aux sionistes contre le peuple palestinien.
Sarkozy avait mis la Libye à feu
et à sang, bombardant les civils, détruisant l’infrastructure économique, et
étatique : les arsenaux de Kadhafi ont rempli les pick up des
salafistes.
Hollande a financé et armé
l’opposition en Syrie, laquelle a été décimée ou s’est fondue dans les rangs de
Daech. Ainsi la France a soufflé sur les braises du terrorisme, malgré les
avertissements lancés par la communauté internationale. La Syrie, l’Iran, la
Chine, ont envoyé des condoléances en rappelant la nécessité de respecter les
conventions internationales. Avertie des retombées qu’elle risquait pour
elle-même, la France n’en a tiré aucune leçon, ni pour une collaboration avec
Assad contre le terrorisme, ni pour s’opposer au double jeu saoudien. Pourtant
l’œil du cyclone c'est la Syrie.
Mais Hollande veut toujours
déstabiliser ce pays et là encore la France est très isolée.
Le traité de
Schengen d’ouverture des frontières, dit « espace de liberté, de sécurité
et de justice », est aussi ébranlé par le terrorisme et la lutte
anti terroriste. Déjà Madrid l’a remis en question, et on notera que Le
Pen revendiquait sa suppression. C’est un échec du libéralisme européen et de
l’Europe elle-même.
Tout ça fait beaucoup de
contradictions que n’ont évidemment pas résolues les millions de manifestants.
Passé le moment d’enthousiasme et la force ressentie il faudra naturellement se
pencher sur ces contradictions et les résoudre dans la pratique et non dans les
grands principes. La bourgeoisie n’en prend pas le chemin, tout au
contraire.
Comme la déclaration de De Gaulle
aux pieds noirs « Je vous ai compris », il y a maldonne. La pommade des
socialos s’avèrera une nouvelle canaillerie dès qu’ils passeront à l’acte et
nombre de marcheurs s’estimeront alors floués.
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Communiqué
HALTE A
L’INSTRUMENTALISATION DE L’EMOTION :
REFUSONS LA
MASCARADE DE L’UNITE NATIONALE
Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires
Samedi 10 janvier
2015
Le FUIQP a condamné immédiatement
les attentats de cette semaine. L’assassinat n’est pas pour notre organisation
une forme d’action politique souhaitable, légitime ou justifiable. Nous
condamnons tout aussi fermement la multiplication des actes islamophobes (plus
de 20 actions contre des lieux de cultes ou des personnes ces trois derniers
jours) et l’instrumentalisation de l’émotion en cours, qui prend comme nom
« appel à l’unité nationale » et comme slogan « nous sommes tous Charlie ».
Nous ne pouvons pas et ne
voulons pas être Charlie
L’instrumentalisation de
l’émotion conduit à « mettre de l’huile sur le feu », à multiplier les victimes
d’actes islamophobes, à soutenir ceux qui par leurs politiques internationales
(participation à des guerres impérialistes d’agression), leurs politiques
économiques (fragilisation sans précédent des classes populaires) et leurs
politiques sociales (depuis la loi sur le foulard de 2004, les mesures
islamophobes d’Etat se sont succédées).
L’unité nationale, pour sa part,
vise à offrir une caution aux choix politiques qui se prendront en « notre nom »
au prétexte de nous protéger. Des appels à un Patriot Act à la française
se font déjà entendre. Il s’agit ni plus ni moins que d’obtenir un consentement
à la restriction de nos libertés démocratiques, d’une part, et à rendre légitime
une répression ouverte contre les récalcitrants. L’interdiction de manifester
son soutien au peuple palestinien que le gouvernement socialiste a prise cet été
doit nous servir d’avertissement. Les lourdes condamnations qui ont suivi, dans
un silence médiatique assourdissant et sans réaction importante des grandes
formations politiques, sont un autre signal d’alerte que nous devons entendre.
Enfin, au nom de l’unité nationale, on voudrait nous faire défiler avec des
dirigeants israéliens d’extrême droite coupables de crimes de masses en
Palestine.
Malgré l’atrocité de l’attentat à Charlie Hebdo, nous ne pouvons pas
oublier tout ce qui nous sépare de ce journal. Le faire serait autoriser le
déploiement encore plus fort des idées de l’hebdomadaire que nous payons déjà
chèrement quotidiennement. Le slogan « nous sommes Charlie » exige de nous, en
effet, de nous solidariser avec des propos qui ont contribué à créer la
situation dangereuse actuelle. Nous ne voulons pas être Charlie parce que nous
combattons et continuerons de combattre l’islamophobie qu’a véhiculée cet
hebdomadaire. Nous ne voulons pas être Charlie parce que nous nous sommes
toujours opposés, et nous continuerons à le faire, aux guerres impérialistes,
alors que cet hebdomadaire a soutenu toutes les guerres de l’OTAN. Nous ne
voulons pas être Charlie parce que nous apprécions l’œuvre salutaire de Noam
Chomsky sur la contribution des grands médias aux dominations contemporaines et
que l’ancien directeur de l’hebdomadaire pense lui que « Chomsky et Ben Laden :
même combat ». Sans parler des propos sexistes, homophobes et de mépris des
classes populaires réduites à l’image du « beauf », que véhicule l’hebdomadaire.
Nous refusons les politiques
de la peur
La violence qui a tué aujourd’hui
est le résultat de plusieurs causes cumulées qui ont déjà fait des millions de
victimes, victimes des guerres pour le pétrole et le minerai, de l’islamophobie
d’Etat, de la précarisation et la paupérisation des classes populaires, des
discriminations racistes, etc. C’est pourquoi nous condamnons toutes celles et
ceux (classes dominantes en tête, médias, politiques, « experts ») qui, plutôt
que de pousser à la réflexion sur les causes, suscitent une « politique de la
peur » en amplifiant la panique émotionnelle qui a suivi l’attentat.
Refusons ces logiques qui (volontairement pour certains pyromanes et
inconsciemment pour d’autres) conduisent à une « stratégie du choc » par les
classes dominantes qui ont appris à tirer profit de tous les drames. Tant de
commentaires, de directs, de discours et de réactions, sans contribuer à
augmenter notre compréhension de la situation, des causes et des effets. La
condamnation d’un acte barbare ne nous contraint pas à nous soumettre à des
idéologies qui nous détruisent.
Refuser la politique de la peur,
c’est aujourd’hui refuser l’unanimisme national que l’on nous propose/impose
politiquement et médiatiquement. Il n’y a pas de « communauté nationale » qui
réunirait toutes les classes, pas plus avant l’assassinat à Charlie Hebdo
qu’après (pas plus qu’il n’existe de « communauté musulmane » unie et homogène
d’ailleurs). L’unité nationale est un mythe visant à unir ceux qui devraient
être divisés (les classes sociales aux intérêts divergents) et à diviser ceux
qui devraient être unis (les classes populaires quelles que soient leurs
croyances ou non croyance). On ne peut pas faire communauté nationale lorsque la
nation est divisée, fracturée par des rapports inégalitaires et des rapports de
domination. La société française ne créera jamais d’appartenance ou de sentiment
à la nation à marche forcée sans poser la question de la justice sociale et des
inégalités racistes, sexistes et de classe.
Serrons-nous les coudes
Nous adressons enfin notre
soutien à celles et ceux qui, de toutes origines et de toutes religions, tout
en condamnant l’acte terroriste, « ne sont pas Charlie », n’ont pas
participé à la minute de silence, ni aux défilés, et qui ont une boule au ventre
depuis l’attentat, extrêmement inquiets pour eux ou leurs enfants, ou en colère,
à la fois contre les auteurs de l’attentat et contre une mobilisation nationale
impulsée par en haut qui ne peut avoir pour résultat que d’initier encore plus
une logique de « guerre civile » dont les premiers résultats sont la vingtaine
d’agressions contre des lieux de culte ou des concitoyens musulmans réels ou
supposés.
Nous appelons ceux qui ont
sincèrement été défiler pour défendre la « liberté d’expression » ou pour
refuser la violence meurtrière, à prendre rapidement du recul et à réfléchir aux
causes, conséquences et enjeux du contexte actuel. Nous les appelons à
s’interroger sur les bénéficiaires de la stratégie de la tension qui se met en
place et sur ses conséquences : banaliser l’islamophobie, produire une tension
permanente entre deux composantes de notre société, limiter nos droits et nos
libertés « pour nous protéger », pénaliser l’antisionisme en le présentant comme
antisémitisme, empêcher le développement de la contestation sociale qu’appelle
la fragilisation sociale et économique des classes populaires (et même des
couches moyennes).
N’ayons pas peur.
Regroupons-nous. Organisons-nous.
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