«Seuls les gens qui ont une
vue subjective, unilatérale et superficielle des problèmes se mêlent de
donner présomptueusement des ordres ou des instructions dès qu’ils
arrivent dans un endroit nouveau, sans s’informer de l’état de la
situation, sans chercher à voir les choses dans leur ensemble (leur
histoire et leur état présent étant considéré comme un tout) ni à en
pénétrer l’essence même (leur caractère et leur liaison interne) ; il
est inévitable que de telles gens trébuchent.» Mao Zedong, le «Petit livre rouge»
Depuis
de nombreux mois se succèdent à Paris et dans plusieurs régions de la
France, des manifestations qui regroupent des milliers de personnes,
dont l’objectif commun est de mettre fin aux reculs qui sont imposés par
la bourgeoisie française à leurs conditions de vies et de travail. Loin
d’être éphémère, le mouvement qui est le moteur de cette mobilisation,
les Gilets jaunes, semble perdurer malgré les aléas de la lutte et
malgré l’importante offensive politique, juridique et policière menée
contre lui par le pouvoir bourgeois via son État.
La
mobilisation active des masses sera toujours une chose haïssable et
répugnante pour la bourgeoisie. En effet, ce que craint au plus haut
point la bourgeoisie est que la chose (la mobilisation aujourd’hui, la révolution demain) en vienne à prendre la place de la phrase.
Les communistes révolutionnaires quant à eux et elles applaudissent la
mobilisation des masses et chercheront toujours à s’y lier. Pour eux et
elles, chaque combat contre la bourgeoisie participe à la mobilisation
future des grands groupes prolétariens présents dans les sociétés
capitalistes, car en effet comme le soulignait Marx, « les
individus ne constituent une classe que pour autant qu’ils ont à
soutenir une lutte commune contre une autre classe ; pour le reste, ils
s’affrontent en ennemis dans la concurrence ».
Les Gilets jaunes, qui sont pour, qui sont contre?
Présenter initialement par les médias bourgeois comme un mouvement de la « classe moyenne »
et
des régions, les Gilets jaunes trouvent maintenant un fort écho dans
les grandes villes. En effet, malgré les inconvénients qui peuvent
découler des affrontements hebdomadaires entre manifestants et
policiers, le mouvement continu de bénéficier d’un fort appui dans la
population, ce qui suscite d’ailleurs l’incompréhension de la
bourgeoisie et de la classe politique bourgeoise dans son ensemble.
Une
chose primordiale à retenir pour comprendre la mobilisation des Gilets
jaunes, c’est qu’elle est d’abord l’expression spontanée de la juste
colère du peuple. Et, en tant qu’expression de la colère populaire, il
est normal que ce mouvement soit devenu le point de ralliement
d’éléments provenant de toutes les classes sociales qui font les frais
des mesures sociales et économiques imposées par la bourgeoisie
française sur sa population. Par ailleurs, le caractère hétérogène du
mouvement est justement ce qui en fait un mouvement réellement
populaire. Tout mouvement populaire est toutefois un phénomène
transitoire. En effet, plus la lutte va perdurer et plus les intérêts de
classes contradictoires vont ressurgir et il est fort probable que les
éléments petit-bourgeois libéraux, en particulier ceux qui sont imbus de
la légalité bourgeoise, vont de plus en plus tendance chercher à
quitter la lutte. Plus généralement, lorsque la nécessité des choses
imposera au mouvement de porter la lutte à un niveau supérieur, il est
fort probable que ces éléments vont tout faire pour que la mobilisation
ne dépasse les limites imposer par le capitalisme aux mouvements
revendicatifs, dû moins ils ne transgresseront pas eux-mêmes cette
limite. Ce phénomène se vérifie actuellement alors qu’une partie des
Gilets jaunes a tronqué la lutte active pour
participer de façon tout-à-fait moutonnière au « grand débat » national
appelé par l’exécutif bourgeois mené par le président Macron.
Comprendre la situation en révolutionnaires.
Comme
nous l’avons souligné, le mouvement des Gilets jaunes est avant tout
chose un mouvement social spontané qui a initialement pris les traits
d’une mobilisation contre l’augmentation des taxes, mais qui s’est
rapidement transformé en un large mouvement social et politique
d’envergure nationale capable de regrouper des milliers de personnes.
Cela dit, la colère des masses ne surgit pas du néant, plutôt elle
découle des contradictions mêmes du capitalisme, et à ce titre, la
mobilisation des Gilets jaunes contient nombre d’enseignements pour tous
ceux et celles qui réfléchissent aujourd’hui au moyen de s’émanciper du
système capitalisme. Par exemple, on constate que le mouvement a connu
certaines transformations; en particulier, il s’est radicalisé à travers
l’expérience de l’affrontement direct avec les instruments
d’encadrement anti-peuple du pouvoir bourgeois. De plus, dans la foulée
de ces affrontements, le mouvement en est venu à intégrer de nouvelles
revendications ayant un caractère social et politique et qui vont dans
le sens d’une remise en question de l’ordre bourgeois français lui-même.
Il est indéniable que les affrontements répétitifs ainsi que la radicalisation d’une partie du mouvement et sa combativité
accrue sont aujourd’hui perçus par la bourgeoisie comme de réelles
menaces à la réalisation de ses plans. Ce que craint surtout la
bourgeoisie c’est de voir contester les institutions bourgeoises
républicaines mises en place depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, véritables fondations pour sa domination sur la société
française et à l’aide desquelles elle a pu se constituer comme élite
financière et politique en s’enrichissant sur le dos du reste de la
société. Considérant l’urgence de la situation, on comprendra que la
bourgeoisie a été prompte à reconnaître le danger en n’hésitant pas à
recourir à tout l’arsenal répressif disponible. Pendant ce temps, le
« flanc gauche » de la bourgeoisie (les PS, les verts, les insoumis de
Mélanchon, etc.) est quant à elle demeurée spectatrice des événements,
empêtrée qu’elle est dans son respect quasi religieux de la légalité
républicaine, hésitant comme toujours à clairement ce prononcer sur la
mobilisation des masses et adoptant au final l’attitude d’un arbitre qui
se prononcerait en faveur des revendications (les phrases) mais contre
les moyens utilisés (la lutte pour matérialiser ces phrases).
Du mouvement populaire au mouvement prolétarien révolutionnaire
Ce
qui nous intéresse au plus haut point dans le mouvement des Gilets
jaunes c’est sa composition prolétarienne. En effet, bien que populaire,
le mouvement est avant-tout
l’expression de la colère des travailleurs et travailleuses. En
particulier d’une colère qui vient de dépasser le stade de la simple
résistance aux attaques du capitalisme et qui maintenant anticipe la
remise en question l’ordre bourgeois français. En effet, si la
bourgeoisie ne cesse d’en appeler au respect des institutions
républicaines, c’est qu’elle perçoit le danger que peut représenter
l’enracinement durable dans les masses des perspectives prolétariennes
et révolutionnaires. De fait, ce qu’anticipe la bourgeoise, ce qui est
l’objet de sa crainte, c’est l’organisation des prolétaires pour la
lutte autour de perspectives révolutionnaires.
Bien
que le mouvement n’ait pas atteint le degré de maturité qui lui
permettrait d’envisager la lutte à partir de perspectives
révolutionnaires, il n’en demeure pas moins que certains indices
démontrent positivement qu’il est devenu irrécupérable par la
bourgeoisie. Comme le soulignent nos camarades du Parti communiste de
maoïste de France (PCM) : « Dans leur arrogance, les bourgeois ont cru
pouvoir instrumentaliser le mouvement des Gilets jaunes à ses débuts.
Ils le croyaient inoffensif, car réduit à la question des taxes. Mais la
marmite a explosé et toutes les questions liées au coût de la vie et à
la justice sociale ont commencé à être portées par les masses. Notre
classe, les prolétaires, a refusé de rentrer à la maison quand les
petits patrons ont obtenu quelques concessions et se sont retirés.».
Une
des raisons qui explique l’incapacité des bourgeois à être en mesure de
venir neutraliser le mouvement est assurément la très haute combativité qu’exhibent les manifestants et manifestantes. De fait cette combativité
ferme toute porte d’entrée aux éléments petit-bourgeois imbus du
légalisme bourgeois. On comprendra alors pourquoi la bourgeoisie, qui
souhaite avant tout chose le « retour de l’ordre républicain »,
s’évertue à amalgamer les actions des Gilets jaunes au terrorisme et à
traiter les manifestants comme des « terroristes » en multipliant les
morts, les blessures, les arrestations arbitraires, les peines de
prison, etc. Pourtant rien n’y fait, le mouvement perdure.
Suite
à l’échec de la répression directe, la bourgeoisie a effectué un repli
tactique, en profitant pour faire quelques concessions et préparer
l’opinion publique pour la prochaine étape répressive. Pour ce faire,
elle orchestre présentement une vaste campagne de propagande, relayée
naturellement par les médias bourgeois afin de tenter de priver le
mouvement des Gilets jaunes de ses appuis populaires et ainsi mieux
l’isoler. Toutefois, cette campagne est jusqu’à présent un échec. En
effet, c’est le gouvernement qui est isolé et affaibli, de là le retour à
une politique de répression.
Le remède contre la cécité postmoderne : l’analyse concrète de la situation concrète.
Un
mouvement capable de progresser aussi rapidement, c’est-à-dire de
passer de simples blocages de routes pour se transformer en un puissant
mouvement revendicatif capable de faire reculer les plans de la
bourgeoisie, tout en affichant un caractère populaire et prolétarien
marqué, doit susciter notre intérêt. Sans chercher à idéaliser le
mouvement des Gilets jaunes, il faut comme le disent nos camarades du
Parti communiste de maoïste de France (PCM) prendre ce mouvement « pour
ce qu’il est » et construire à partir de là. C’est un point de vue
judicieux et tout à fait conforme aux exigences de la situation.
Il
est pourtant facile de constater que les Gilets jaunes bousculent
nombre d’idées qui sont véhiculées par une certaine gauche (celle qui
domine dans les université), idéaliste et subjectiviste, qui s’est
complètement désintéresser dans les dernières décennies, du sort réservé
aux masses « ordinaires » au point où elle en est venue à considérer
que seuls les éléments marginalisés de la société puisent être des
sujets révolutionnaires. Dans un premier temps, cette gauche a d’abord
rejeté le marxisme et abandonner la lutte révolutionnaire. Dans un
deuxième temps, elle s’est mise à multiplier les constructions
théoriques pour le moins douteuses, notamment en incorporant dans ses
rangs les idées et le vocabulaire du postmodernisme. Ce double mouvement
a eu pour effet de rendre aveugle cette gauche à la réalité matérielle
la rendant par le fait même incapable de toute action politique
pertinente. En effet, trop habituée à concevoir qu’il n’y a pas d’unité;
que la réalité sociale se fragmente dans des directions sans
trajectoire commune, cette gauche réformiste néo-anarchisante a été
prise au dépourvue lorsque ce sont des milliers de personnes
« ordinaires » qui ont pris d’assaut les rues du pays.
Au
moment de la création du PCR nous avions entrevu où allait nous mener
les perspectives postmodernes, en particulier nous avions souligné
qu’« idéologiquement et politiquement, la bourgeoisie exige, combat et
se démène pour que tout ce qui est exploité et opprimé dans la société
reste fragmenté et éclaté. C’est sa survie qui en dépend ». Une décennie
plus tard, force est de constater qu’ « aujourd’hui, une grande partie
de cette lutte consiste à ramener, sous des formes claires, évidentes et
puissantes, les principes d’unité et de totalité dans le combat
politique du prolétariat et des classes opprimés.»
Contrairement
à cette gauche postmoderne, les maoïstes saisissent parfaitement les
possibilités nouvelles que vient offrir la mobilisation des masses. En
ce sens, les camarades du PCM ont raison de souligner des choses qui
peuvent paraître comme étant des évidences mais qui vont dans le sens de
lutter pour que prenne forme un véritable «projet commun» de classe.
Parmi ces évidences les maoïstes insistent particulièrement sur: (1)
l’importance du rôle joué par la violence – « Pour la première fois, la
violence des masses est acceptée voire défendue par une majorité du
peuple »; (2) l’importance de nouvelles formes d’organisation – « Les
formes d’organisation prolétariennes mises en place – assemblées
générales, commissions, piquets de blocage et groupes d’action –
représentent une source inépuisable d’inspiration pour les
révolutionnaires qui se mettent à l’école des masses; et finalement (3),
la capacité à modifier la tactique selon les circonstances – « marches
des femmes, envahissements de gares, jonction avec d’autres luttes… Sur
ce dernier point, les thèses des réformistes en tout genre et des
libéraux s’évanouissent face à la réalité de la révolte prolétarienne. »
Les maoïstes ont raison d’insister sur ces « évidences ». En effet, l’affrontement avec la bourgeoisie rend bien vivante la perspective d’ouvrir des nouvelles tentatives de montées vers le pouvoir.
Toutefois, comme le démontre le mouvement des Gilets jaunes, cette
perspective pour se réaliser exige que les maoïstes s’organisent et
ensuite organisent les masses pour la lutte prolongée, c’est-à-dire en
concevant de nouveaux outils, en adoptant de nouvelles méthodes et en
fixant des objectifs en termes de totalité et d’unité.
Une
des grandes limites du mouvement des Gilets jaunes, probablement la
plus importante, est l’absence d’une direction révolutionnaire réelle,
parvenant à s’adresser à la nation entière, capable d’orienter
durablement la lutte et l’orienter à terme vers le renversement de
l’ordre bourgeois, c’est-à-dire un parti complet qui exprime une
compréhension «…claire des conditions, de la marche et des résultats
généraux du mouvement prolétarien». Cela dit, saluons les maoïstes
français et ceux et celles du monde entier qui œuvrent à ce travail.
De
fait, ce qui rendra possible dans un futur pas trop lointain
d’envisager le renversement du capitalisme s’est l’affrontement prolongé
du prolétariat avec la bourgeoisie, lequel ne peut se matérialiser que
si le prolétariat s’est d’abord doté d’un parti d’avant-garde complet,
c’est-à-dire un parti qui se construit à même la lutte des classes, et
qui adopte une stratégie adéquate : la guerre populaire prolongée.
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